Voix d'Afrique N° 89

Culture
DES HOMMES ET DES DIEUX


Des hommes et des dieux

Réalisateur : Xavier Beauvois
Acteurs : Lambert Wilson, Michael Lonsdale, Olivier Rabourdin, Jacques Herlin…
Durée : 2h
Sortie : 8 septembre 2010


L’histoire

A 90 kilomètres au sud d’Alger, au flanc d’une montagne, le monastère trappiste de Tibéhirine semble, par son altitude, vouloir se rapprocher de Dieu... et s’éloigner un peu des hommes. Nous sommes dans les années 1990. Les huit moines français vivent en harmonie avec leurs frères musulmans. Ils s’entretiennent quotidiennement sur la vie du village, ils sont aussi docteurs, confidents, dépanneurs. Ce ne sont pas des hommes comme les autres : ils n’ont besoin ni de confort ni de télévision. Ce qui nous est nécessaire leur était inutile, et même encombrant. Quand une équipe de travailleurs étrangers est massacrée par un groupe islamiste, la terreur s’installe dans la région. La petite communauté religieuse est en danger, elle le sait. Elle sait que l’étau se resserre autour d’elle.

Après bien des hésitations, les moines décident pourtant, sous l’impulsion de leur prieur, Christian de Chergé, de rester là, pour ne pas abandonner les villageois, qui, eux, n’ont pas le loisir de fuir, et pour porter jusqu’au bout leur témoignage de foi et de fraternité : « Le bon berger, dit l’un des frères, n’abandonne pas son troupeau à l’heure où arrive le loup. » Malgré les propositions de protection de l’armée, les moines déclinent toute manœuvre de défense contraire à leurs vertus.

Les semaines passent sans que la menace ne s’essouffle un instant. Combien de temps leur est imparti pour quitter Tibhirine, avant que le pire n’advienne ?

Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, un groupe d’extrémistes islamistes investira cet humble paradis terrestre et kidnappera sept moines. Seules leurs têtes seront retrouvées deux mois plus tard. Ce film n’a pas pour projet de braquer un projecteur indécent sur le martyre de ces religieux, mais de nous aider à appréhender leur quotidien, leurs doutes, leurs joies et la force de leur foi.

Le réalisateur
Qui est-il ?

Xavier Beauvois nait le 20 mars 1967 à Auchel dans le Pas de Calais. Enfant du Nord et de la classe ouvrière, il décide très jeune de se tourner vers le cinéma. Au cours d’une conférence, il fait la rencontre de Jean Douchet, fameux historien du cinéma. Touché par la personnalité et le caractère du jeune homme, celui-ci l’aidera à effectuer ses premiers pas à Paris. Après avoir obtenu le Prix de Rome section cinéma, Beauvois tourne son premier (et unique) court métrage, Le matou (1986), qui se déroule dans une cellule de prison. Il devient ensuite assistant réalisateur. En 1991, il réalise son premier film, Nord, chronique familiale douloureuse (inspiré largement de sa propre vie, et ce n’est pas pour rien qu’il en tient le rôle principal), confrontation brutale entre un fils et son père alcoolique. Le film sera nommé aux Césars. Bien accueilli par la critique, le film reçoit un accueil public beaucoup plus nuancé.

Après avoir été acteur dans Aux Petits Bonheurs de Michel Deville, il tourne, 1995, son deuxième long métrage, N’oublie pas que tu vas mourir. C’est le récit d’un jeune homme (à nouveau joué par Beauvois) qui, se découvrant séropositif, va faire l’expérience, en très peu de temps, du spectre de la vie : la drogue, l’amour, la guerre. Présenté en Sélection officielle à Cannes où il obtient le prix du jury, le film est hélas boudé par la critique, puis par le public.

Toujours comédien intérimaire dans plusieurs films, c’est finalement avec son troisième film, Selon Matthieu (2000) que Xavier Beauvois va rencontrer le public. Plus accessible, ce film raconte comment un jeune ouvrier va tomber amoureux de la femme de son patron (incarnée par Nathalie Baye). Nouveau succès avec Le Petit Lieutenant, pour lequel Xavier Beauvois retrouve Nathalie Baye, à qui il confie le rôle d’une inspectrice de police alcoolique qui va s’attacher à une jeune recrue. Un polar à la fois sanguin et psychologique, sélectionné au Festival de Venise.

En 2008, le cinéaste Benoît Jacquot le dirige dans le drame Villa Amalia ; Beauvois y interprète l’amant infidèle d’Isabelle Huppert. Finalement, le Festival de Cannes de 2010 lui attribue le Grand Prix du jury pour Des hommes et des dieux, une chronique inspirée de l’histoire vraie de moines cisterciens menacés par un groupe islamiste, en Algérie.

Avis critiques

Foi et doute

« Tout au long du film, le spectateur est pris par les rituels de ces moines : prières, travaux manuels et intellectuels, repas, aide apportée aux villageois, discussions avec leurs frères musulmans… Leur quotidien est aussi rythmé par des chants à l’unisson qui confèrent une atmosphère toute particulière au film faite de grâce et d’harmonie.
Il est touchant de constater la force qui émane de la solidarité et du respect qu’ils ont les uns envers les autres. Dans leur situation périlleuse où la terreur règne, ils gardent foi en Dieu mais aussi en leur communauté et n’ont de cesse de s’écouter s’exprimer sur leur doute et leur choix. »

Un sacrifice de fraternité

« Le film ne tranche pas, après avoir seulement montré que les moines s’étaient attiré non seulement l’hostilité des terroristes, mais aussi celles des militaires, pour qui leur obstination à soigner les islamistes, mais aussi à prier pour leurs ennemis, était un véritable scandale.
L’essentiel du film est dans l’attention portée à la vie de ces moines et à leur mission, qui conduit le cinéaste incroyant à s’approcher du cœur intime du mystère de la foi. … « Notre mission ici, c’est d’être frères de tous », dit Christian. Ce n’est pas sans une certaine gêne, sachant leur destin final, qu’on les voit s’associer à la prière d’un imam qui psalmodie : « Tu es notre maître, accorde-nous donc la victoire sur les peuples infidèles. » Laurent Dandrieu

Plaidoyer
pour le “vivre ensemble”

« C’est plus qu’un film, c’est un magnifique plaidoyer humaniste pour le «vivre ensemble» au jour le jour, durement, simplement, courageusement, au delà des clivages, des idées. … Des hommes et des dieux n’est pas un film religieux au sens strict du terme, il a à voir avec le spirituel, bien sûr, mais surtout avec la part d’humanité, de lâcheté ou de courage qui est en chacun de nous. Athées et agnostiques peuvent le voir sans appréhension, ils seront eux aussi touchés par cette histoire d’hommes qui sont leurs frères de doute. »

L’Anonyme

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