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La beauté d’un Dieu proche
L’art, un chemin vers l’autre !
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J’ai rencontré plusieurs artistes, surtout algériens, depuis mon arrivée ici en 2009. À travers mes rencontres, j’ai pu pénétrer un peu plus dans ce monde où l’art devient un lieu de partage, lieu de silence et de contemplation, lieu de détente devant l’inattendu, la nouveauté et l’unique visage de l’œuvre contemplée. Un véritable défi ! Lieu qui parle de la beauté de Dieu dans toute sa Création, beauté des personnes, de la richesse de nos différences, beauté de la nature « réinventée, remodelée » par l’artiste. Un art qui nous révèle un peuple, sa culture, sa sensibilité, ses souffrances aussi, et sa soif de vivre, un art qui contribue à embellir le monde et à l’enrichir de sa nouveauté.
Comment approcher l’autre, différent et précieux, dans le cœur de Dieu ? « Évangéliser, c’est dire à l’autre, ‘Tu es aimé de Dieu’, … et pas seulement le lui dire, mais le penser réellement … se comporter avec cette personne de telle manière qu’elle sente et découvre qu’il y a en elle quelque chose de sauvé… Tu ne peux le faire qu’en lui offrant ton amitié, une amitié réelle, désintéressée, sans condescendance, faite de confiance et d’estime profonde. La tâche est délicate… » L’artiste a soif d’exprimer une réalité, sa foi, un sentiment, une émotion qui surgit, et en même temps, il sent cet élan à créer de l’harmonie ; celle-ci prend forme sur la toile pour dire le beau, le vrai à travers des couleurs, des formes, des lignes. Il y a là un engagement, une mission pour celui, celle qui crée. Un défi pour la personne qui regarde et voit…
Parfois, c’est un cri qui surgit. Dans notre monde de violence et de guerre, comment laisser sous silence les artistes qui, par leurs œuvres, dénoncent les situations d’injustice, tel ce jeune étudiant algérien dont les peintures aux couleurs vives sur fond bleu acier ressemblent à un cri. Ce cri, il le peint ! Et avec quel acharnement ! Des coups de pinceaux abrupts tracent des visages d’un blanc cadavérique et montrent des êtres jeunes aux traits déformés, en crise profonde. Que dire à celui qui vient vers moi avec ces images de souffrance profonde ? Comment le réconforter ? J’ai regardé longuement ses œuvres en silence et l’ai invité à revenir à la bibliothèque pour causer. » (Malek Haddad au sujet du peintre algérien Issiakhem).
L’art : « participation et communication ». « Chacun apprend à habiter chez l’autre ». (Maurice Pivot) Le 17 février dernier, nous étions trois artistes à exposer nos œuvres d’art à la maison Dar es Salem (Maison d’écoute et d’accueil pour les migrants à Alger), en réponse à une invitation de Caritas. À travers une BD (bande dessinée) de sa création, Vali, artiste ivoirien, raconte son long voyage de fugitif, ses séjours dans différents camps de réfugiés, ses tribulations dans les palabres avec les passeurs et autres, les turbulences d’un long périple à travers le désert, etc. À part cette BD en train de prendre forme, il peint des masques avec des couleurs chaudes comme celles des dunes du Sahara.
Un après-midi, il m’a raconté un peu de son vécu, sa fuite, son voyage, un véritable « chemin de croix ». J’ai écouté avec compassion, dans un silence respectueux, ce qu’il voulait bien partager avec moi. Vali vient nous interpeller, nous faire prendre conscience des droits les plus élémentaires des migrants. De s’exposer ainsi demande du courage, de la confiance. Des mots, des regards, des gestes, des dessins, tout concourt à révéler celui qui nous arrive. Il nous faut voir, sentir les besoins qu’il exprime en paroles et artistiquement. Puisse cette BD, en sortant de l’ombre, contribuer à lui rendre le respect, la dignité dont il a besoin pour continuer le chemin.
Quant à Jogona, artiste kinois (RDC), ses peintures sont un véritable hymne à la femme. Il la peint avec beaucoup de tendresse ; les lignes sont somptueuses; les silhouettes élancées semblent traverser la toile, se perdant en douceur dans un fond brun marron et beige. Dans d’autres de ses toiles, le rouge, le bleu et le jaune se marient allègrement pour former des figures à découvrir. Jogona a fait ses études d’art à Alger. Plusieurs galeries ont exposé ses œuvres. Il se sent bien en Algérie où il contribue avec générosité et talent à ouvrir de nouveaux horizons dans le domaine de la peinture et de la sculpture.
«Plus l’artiste est conscient du don qu’il possède, plus il est incité à regarder tout le créé, avec des yeux capables de contempler et de remercier, en élevant vers Dieu son hymne de louange. C’est seulement ainsi qu’il peut se comprendre lui-même en profondeur, et comprendre sa vocation et sa mission » (Pape Jean Paul II, Lettre de 1999).
J’ai rencontré Aïcha pour la première fois il y a deux ans, alors qu’elle dessinait un portrait en plein air et s’était installée dans les premières marches d’un escalier conduisant au marché. Je me suis arrêtée pour la saluer et la complimenter sur son travail. « Je gagne ma vie », me dit- elle ! Mais un jour, j’ai vu ses vêtements sur une corde à linge contre les murs de l’escalier. Je suis restée perplexe. Plus tard, j’ai appris qu’elle fut abandonnée à la naissance et déposée dans un orphelinat tenu par des Sœurs. Quand ces dernières ont dû céder l’orphelinat, elle a demandé de quitter avec du matériel pour le dessin, puis elle est partie. Elle avait entre-temps découvert son talent ! Depuis, elle vit de son art dans la rue, beau temps, mauvais temps. Des voisins du marché l’aident en conservant son matériel de dessin et ses portraits. Elle me confie que parfois elle est agressée par des hommes ; alors elle devient comme une lionne! J’en ai été témoin il y a quelques jours. Je lui ai proposé d’exposer ses œuvres dans notre bibliothèque. Elle m’a répondu qu’elle n’a pas encore assez de peintures. Partie remise!
« Le Seigneur m’a donné une langue de disciple pour que je sache répondre à l’épuisée. Tous les matins, il éveille mon oreille pour que j’écoute comme les disciples » (Is 50,4).
Je vois l’art comme lieu de rencontre, lieu d’écoute, lieu de partage, lieu pour vivre des attitudes d’Évangile. Comme Jésus, regarder, écouter, compatir avec ! Tout est dans le regard que je porte sur l’autre, différent, et en qui je veux respecter le mystère : oui, somme toute, une invitation au respect.
Gys Dubé
Les Palmiers, Alger
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