Voix d'Afrique N°84

SOLIDARITE

GUÉRIR LES GUÉRISSEURS




Le Père Ludwig Peschen, Missionnaire d’Afrique, Allemand de 59 ans, est médecin et psychothérapeute. Présent en Afrique depuis bon nombre d’années, il a été témoin de plusieurs crises et guerres, dont celles du Burundi et du Sud-Soudan. En 2001, il fonde « Healing the Healers », littéralement « Guérir les guérisseurs », aujourd’hui chapeauté par la Conférence des évêques catholiques du Soudan et supporté principalement par “Aide à l’Église en Détresse”. Le programme veut fournir une aide au personnel de l’Église parce que ces «aidants naturels», toujours en première ligne quand un conflit éclate dans un pays, subissent, eux aussi, des traumatismes. Il nous donne ici quelques explications.

Le programme « Guérir les guérisseurs » (HTH, Healing the Healers, en anglais) a été mis sur pied en 2001. Son but premier était de fournir une aide au personnel de l’Église et aux laïcs Soudanais. Les traumatismes vécus par la plupart des évêques, prêtres, frères, religieuses et laïcs, ont conduit, dans certains cas, à des crises, des échecs, des dépressions et même des maladies addictives.

Un programme
pour les évêques !

Au départ, HTH était un programme pour les évêques eux-mêmes. En effet, ils ont été particulièrement exposés, en tant que responsables, aux conséquences de la guerre. Pendant 21 ans, le Soudan a connu la guer-re et les violences continuelles. À ce moment-là, on ne voyait pas la fin de ce désastre.

Un renouveau holistique (*) pour le personnel d’Église
Célébration avec un groupe de formateursEnsuite, 73 personnes, surtout des prêtres, des frères, des religieuses et des catéchistes, ont bénéficié du programme pour rebâtir leur vie. Il s’agit d’une approche psychothérapique, spirituelle et médicale, pour apprendre à gérer ses traumatismes et leurs effets. Ils avaient été invités à différentes activités en vue de leur « guérison » et de leur formation continue. Certains parmi eux avaient, en effet, développé des problèmes d’alcoolisme. Cette maladie apparaît plus souvent chez des personnes qui ont vécu des situations traumatisantes que chez celles qui n’ont jamais connu de telles situations.

Bureau à Nairobi
de guérison. À Nairobi, nous continuons à recevoir individuellement le personnel d’Église pour la guérison des traumatismes, chaque fois que les évêques nous demandent ce service. Ici, il y a beaucoup de possibilités pour offrir les interventions né-cessaires.

Nouveaux besoins
Après diverses visites au Soudan, nous avons vu le besoin d’écoute et d’accompagnement, non seulement des personnes traumatisées mais aussi de divers groupes de la population. Il y a là une contribution au retour de la paix et à sa consolidation dans le pays. Nous pensons aux prêtres et aux religieux, aux catéchistes, au personnel médical, aux officiers de prisons, aux soldats, aux responsables de groupes de femmes ou de jeunes et tout autre groupe qui aurait besoin d’assistance.

En lien avec les grandes orientations du synode à venir, « l’Église en Afrique au service de la réconciliation, de la justice et de la paix », nous sommes conscients d’un besoin général croissant d’éducation au pardon, à la réconciliation et à la paix, particulièrement au Soudan où nous avons plus d’expérience. Parfois, on peut avoir l’impression qu’à la fin d’une guerre, les divers groupes ethniques se cherchent d’autres ennemis à combattre. Dans nos sessions de formation au Soudan, nous avons entendu parler de bien des problèmes de cette sorte et nous incluons des éléments d’éducation à la paix dans notre programme.

Même dans notre société des Missionnaires d’Afrique, nous parlons souvent des valeurs de la réconciliation, de justice et de la paix, et cela est bien. Mais, parfois, nous oublions qu’il faut commencer plus à la base, par une prise de conscience des problèmes liés à la guérison des traumatismes et, plus important, par une option, une décision de pardonner. Une personne seule peut toujours pardonner même quand toute forme de réconciliation, engageant les deux partis, n’est pas encore possible.

Un projet pilote
En février 2006, sur l’invitation de Mgr. C. Mazzolari, évêque de Rumbek, un projet pilote en accompagnement psycho-traumatique a démarré dans son diocèse… C’est le départ pour une première filiale de HTH au Soudan.

Il y a 4 étapes :
* L’information et la prise de conscience par les responsables de l’Église et les différentes struc-tures de la société au sujet des traumatismes : faire comprendre qu’avoir des réactions bizarres et anormales après des situations de guerre et de violence est tout à fait normal. La personne est normale, mais pas les conditions de vie et de guerre dans lesquelles elle a vécu. C’est là l’information importante. Ces responsables seront, par la suite, invités à identifier leurs candidats pour suivre une formation en trauma- conseil. Ces candidats viendront des groupes professionnels à aider. Notre formation est reconnue par un certificat d’une université du Kenya.

* Ensuite, nous offrons la formation, normalement pour une trentaine de personnes. Notre cours est proposé deux fois en deux semaines. Ceci permet aux participants de rentrer à la maison, à mi-parcours, pour appliquer les nouvelles techniques apprises et de revenir avec des questions plutôt pratiques et basées sur la vie de tous les jours.

Pouvoir dire ce qui a été vécu* Avec cette formation, nos futurs « conseillers » peuvent commencer leur service d’écoute et de conseil. Notre programme de formation a visé à équiper les participants des techniques de base d’accompagnement et du traitement des traumatismes. Ils doivent pouvoir donner les services psychologiques nécessaires aux agents pastoraux et aux laïcs, individuellement ou en communauté. Nos accompagnateurs semi-professionnels en traumatismes et conflits possèdent les éléments de base pour assister les personnes et les communautés traumatisées par la guerre, les aider à briser le cercle de la haine et de la violence.

* La quatrième étape consiste à établir une structure, un petit bureau, sur place en vue d’organiser les travaux et surtout d’organiser la supervision de nouveaux conseillers. Ils ont régulièrement besoin de cette supervision pour la qualité de leurs services et pour leur propre bien : nos accompagnateurs semi-professionnels sont continuellement exposés aux situations et faits les plus atroces de leurs clients. Nous devons donc veiller à les protéger contre des traumatismes secondaires causés par leur travail. Autre aspect très important dans le travail de ce bureau : pouvoir organiser régulièrement une formation continue. Chaque année, nous organisons des cours aux sujets spécifiques, comme la thérapie de familles, la communication non-violente ou le changement de comportement (« education for life ») en vue de la prévention du SIDA. C’est à partir de ce petit bureau que notre collaborateur, M. Samuel Dut Deng, a déjà commencé ses activités dans les écoles, les hôpitaux, auprès de divers groupes communautaires de femmes et de jeunes, se rendant même dans les paroisses du sud de Rumbek. Il vise à sensibiliser et à informer les gens sur les services d’accompagnement disponibles au Centre.

Ces expériences à Rumbek nous ont beaucoup appris sur les possibilités d’intervention dans d’autres diocèses du Soudan. Dans la suite, le HTH a ouvert un autre Centre d’accompagnement à El Obeid, au Nord du Soudan. D’autres diocèses se préparent à cela. Nous avons déjà commencé des formations dans les diocèses de Torit Tombura Yambio et de Khartoum.

Vision d’avenir : L’éducation à la paix par le sport, plus qu’un rêve…
“Par le sport même, on abat les préjugés et les antagonismes entre individus...”Les expériences vécues ailleurs, comme celle du «Centre Jeunes à Kamenge» à Bujumbura, montrent l’efficacité de la promotion du sport comme moyen d’éducation à la paix, particulièrement pour les jeunes de divers groupes ethniques en conflit. D’abord, les activités sportives rapprochent des gens de différents groupes ethniques, sociaux et religieux. Souvent ces gens ne se connaissent pas et ne se rencontrent pas : on vit sur des préjugés. Par le sport même, on abat les préjugés et les antagonismes entre individus et l’on aide les participants à cultiver respect et amitié dans une interaction pacifique. Suite à nos diverses expériences au Soudan, nous espérons voir le sport jouer un rôle semblable. Les jeunes ont besoin de cadre, de normes et de règles pour s’occuper et se mesurer de façon pacifique, au lieu de traîner, oisifs, pour en arriver à jouer avec des fusils et se battre. L’année prochaine sera une grande occasion pour organiser des activités dans la ligne « éducation à la paix à travers le sport », puisque le Mondial du football aura lieu, pour la première fois, en terre africaine, en Afrique du Sud.

Observations
personnelles

Le service HTH a bien dé-marré dans divers diocèses du Soudan. Les évêques ont transmis la responsabilité au P. Justin Atit, prêtre diocésain Soudanais du diocèse de WAU. Je suis heureux que ce travail soit aux mains d’un Africain ; beaucoup d’aspects de notre travail nécessitent la connaissance de la culture ou de la langue locale. Nous avons semé ; maintenant la petite plante HTH doit pousser…

Notre vocation est merveilleuse : « Bénis les artisans de paix ! Ils seront appelés fils et filles de Dieu » (Matthieu 5, 9.) n

Ludwig Peschen
MD, M. Afr.
Directeur de programme HTH

(*) Holistique : médecine qui considère l’individu comme un tout et traite le corps comme une entité unique et non par organes distincts, en privilégiant les interactions qui unissent le physique et le spirituel.

Voir aussi sur ce programme pageweb site international


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