Voix d'Afrique N°91.

 

Forum Social Mondial
Dakar 2011


La 11ème édition du Forum Social Mondial (FSM) a réuni dans la grande Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Sénégal), du 6 au 11 février 2011, plus de 50 000 participants venus de 123 pays, ainsi que des milliers d’étudiants sénégalais. C’est la deuxième fois depuis sa création en 2001 à Porto-Alegre, au Brésil, que le Forum a lieu en Afrique après celui de Nairobi en 2007. Vaste rassemblement d’altermondialistes, le Forum qui s’est tenu cette année sur fond de contestations populaires dans le monde arabe, mais aussi au Sénégal, s’est ouvert par une marche de quelque dix mille personnes. Le Forum se tient chaque année juste après le Forum économique mondial de Davos, et il se présente comme le contre-point à cette réunion du gotha politique et économique mondial dans la station de ski huppée des Alpes suisses.

 

Qu’est-ce que le Forum Social Mondial ?

Le Forum veut être un lieu d’échanges et non d’actions, il se veut « espace ouvert » sans propriétaire, où les organisateurs ne sont pas des dirigeants mais des facilitateurs de rencontres et d’échanges. Il rassemble des acteurs de la société civile, sans étiquette pour certains et réunis au sein d’organisations (ONG, associations, syndicats…) pour la plupart. Tous ces altermondialistes sont convaincus qu’il faut trouver de nouvelles formes de culture politique et de “vivre ensemble”. Depuis le premier Forum en 2001, leur slogan est : “Un autre monde est possible”.

Thèmes

Le thème général de ce 11ème Forum (“Les crises du système et des civilisations”) semble s’effacer derrière des éléments propres à l’Afrique dans un contexte de changements majeurs du continent. Les Africains s’approprient le Forum pour parler « d’une révolution africaine ».

Droit à la Souveraineté alimentaire
Dès la marche du 6 février, la revendication du Droit à la Souveraineté Alimentaire a été omniprésente, et laissait voir qu’elle serait un des thèmes majeurs du Forum. La première banderole, portée par des participants issus de plusieurs continents, donnait le ton : « Non à la marchandise agriculture – Promouvoir un système monétaire et financier démocratique, transparent et responsable. » On pouvait entendre aussi d’autres slogans comme « Touche pas à ma terre ! », « La terre, c’est la vie ! » ou encore « La terre, c’est ma vie ! ».

De fait, la question de l’accaparement des terres, surtout en Afrique, est une grande menace sur la sécurité alimentaire pour des millions de personnes.

Les migrations

Les migrations ont fait l’objet d’une rencontre sur l’île de Gorée et de la finalisation d’une ‘Charte des migrants’ qui a été adoptée. Cette île proche de Dakar est tristement célèbre, car elle fut le point de départ de milliers d’esclaves vers les Amériques.

Les paradis fiscaux

Ce Forum a permis encore d’élargir la mobilisation en vue de la régularisation financière et de la lutte contre les paradis fiscaux. Un appel en direction du prochain G20 qui se tiendra à Cannes les 3-4 novembre a été discuté et adopté. Ce G20, présidé par la France, reprendra de nombreuses propositions issues des courants altermondialistes initiateurs des premiers Forums (taxation des transactions financières et régulation des marchés agricoles).

L’annulation de la dette du Tiers Monde

Autre proposition discutée à Dakar : l’annulation de la dette du tiers monde. Pauline Imbach, secrétaire du bureau général du CADTM (Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde) explique : « On considère que la dette est un point central d’oppression des peuples au nord comme au sud. L’annulation de la dette, c’est un point de départ-clé, car cela garantit une indépendance économique et politique des peuples du Tiers Monde ».

La défense des enfants et des jeunes

Étonnante a été la grande mobilisation des enfants et des jeunes, et de ceux qui défendent leurs droits. En tête venaient les « défenseurs » des talibés avec leurs slogans : « Non à la mendicité des enfants, Oui aux daaras (écoles coraniques) modernes, Stop : ne donnons plus aux enfants dans la rue. » Ce thème intéresse tout spécialement le Sénégal, mais aussi d’autres pays comme le Mali, le Burkina Faso, le Niger. De nombreux jeunes ont participé à la Marche d’ouverture du Forum avec ces pancartes : « Le droit à une formation pour apprendre un métier » « Le droit à être respecté » « Le droit à être écouté »…

La place des femmes

Une jeune femme arborait fièrement sa pancarte « Investir dans l’éducation des filles et des femmes pour changer le monde ! », et sur son T-shirt on pouvait lire : « Un autre monde est possible, construisons-le avec les femmes ! »

C’est bien un fait marquant de ce forum. Les femmes ont été nombreuses et actives. Elles n’acceptent plus que le monde se construise sans elles. Elles refusent la guerre et se proposent de participer activement aux règlements des conflits. Elles refusent toute violence faite aux femmes. « Dans toutes les sociétés, à des degrés divers, les femmes et les petites filles sont victimes de discriminations économiques et de violences physiques, sexuelles et psychologi-ques (…). Violences domestiques, traite d’êtres humains, harcèlement sexuel, mutilations génitales, aliments interdits aux femmes, mariages forcés ou précoces, crimes ‘d’honneur’, fémicides (meurtre d’une femme parce qu’elle est une femme) et viols comme armes de guerre, viennent s’ajouter à cet effroyable tableau.» Via Campesina

Des bémols et des couacs

Le Forum a souffert de l’organisation chaotique dans l’Université et de l’absence de réelle structure. En effet, trouver la bonne salle pour une conférence relevait du parcours du combattant, quand celle-ci n’avait pas été déplacée ou annulée à la dernière minute. En fait, le responsable de l’Université avait changé un mois avant le Forum, et n’en était plus partie prenante comme son prédécesseur.

Un autre élément ‘perturbateur’ restera les nombreuses tensions entre Sahraouis venus en délégation officielle et représentants marocains présents à l’évènement. De nombreuses organisations se sont massivement mobilisées pour défendre les Sahraouis, violemment pris à partie et parfois agressés pendant leurs conférences par des groupes de marocains hostiles à leur cause.
Abdoulaye Wade, président du Sénégal, a lui aussi refroidi les enthousiasmes et créé la polémique au sein du Forum : « Depuis 2000, je suis votre mouvement. Mais je me pose la question de savoir ce qu’il y a de nouveau. Vous n’avez pas changé le monde. Je suis un libéral. Je suis un partisan de l’économie de marché et non de l’économie d’État. (…) Si je vous reçois ici, c’est parce que j’estime que tous les hommes ont le droit de s’exprimer où ils veulent. Je suis un libéral et mon désaccord avec vous est profond. »

Conclusion

Ce sont les membres ou représentants d’organisations qui semblent véritablement avoir trouvé leur compte dans ce Forum, grâce à la création de réseaux internationaux de communication et d’échanges. Pour une association africaine perdue dans la brousse, cela permet de prendre des contacts avec d’autres associations du monde entier. Cela leur permet d’avoir plus de relations, de bases, et de continuer plus fort et mieux leur combat.

La grande présence des femmes reste aussi l’un des points très positifs et encourageants du Forum. En effet la place occupée par les femmes, notamment africaines et sénégalaises, était au premier plan. Une volonté de prendre leurs destins en main, pour ces femmes du monde entier ; pas de solutions concrètes, mais des « pas en avant »

La foule est restée fortement dominée par les couleurs chaudes des délégations africaines, venues en masse. Les questions d’altermondialisme et de développement durable ne semblent plus être l’apanage des populations alternatives des pays riches.
On pourra garder en mémoire le discours très enthousiaste du président bolivien Evo Morales : « Le monde change », a-t-il affirmé à la foule multicolore qui se tenait devant lui. « Malgré les grandes inégalités, je suis persuadé que les peuples du monde sont en train de se soulever pour un monde meilleur. »

Voix d’Afrique

Des Missionnaires d'Afrique au Forum social de Dakar

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