Les missionnaires et "la plaie hideuse de l'esclavage"

Un choix de textes du cardinal Lavigerie communiquant aux Missionnaires d'Afrique ses vues et directives sur l'apostolat, sous l'aspect de la "proximité aux gens" et du "service aux pauvres", ne peut pas passer sous silence la question de l'esclavage. Nous citerons donc quelques textes à propos de ce qu'il appelait une "plaie hideuse".


En réalité, la vraie campagne anti-esclavagiste, le Cardinal l'a réalisée en Europe. C'est là où se trouvaient les puissances politiques et économiques dont l'influence pouvait amener effectivement à l'abolition l'esclavage. En Afrique, par les missionnaires, le Cardinal agissait dans le même but, mais sa méthode était différente, adaptée à la situation concrète. La force des esclavagistes arabes et noirs - surtout des premiers - était trop forte et trop dangereuse pour l'attaquer de front. Ce n'est donc pas une campagne de sensibilisation par la parole et les écrits qu'il a fait en Afrique, mais des actions concrètes, grâce auxquelles il croyait pouvoir porter la mission en avant.

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Dessins dans les journaux de l'époque. La première représente le discours à St Sulpice (Paris)

Comme homme pratique qu'il était, il a commandé des actions et il a pris des positions qui peuvent nous étonner aujourd'hui - nous le verrons -, mais dont le but était claire : finir avec la "plaie hideuse de l'esclavage". Nous avons déjà cité plus haut un texte, bien connu, sur le sujet : l'allocution qu'il prononça à l'église du Gesù à Rome le 28 décembre 1888.

"Je ne m'adresse pas seulement à la foi, je m'adresse à la raison, à la justice, au respect, à l'amour de la liberté, ce bien suprême de l'homme, comme l'a dit encore notre Pontife. Sans doute, je plaide aujourd'hui cette cause dans un temple et devant des autels, mais je suis prêt à la plaider partout. Je l'ai plaidée, dans le Prince's Hall, devant les protestants d'Angleterre, dans les salons, devant les philosophes, devant les impies, et toujours j'ai trouvé dans les coeurs l'écho de ce sentiment que traduisait le poète antique: 'Homo sum et nihil humani a me alienum puto'. Je suis homme, et rien de ce qui est humain ne m'est étranger'.

C'est un cri qui est parti de Rome, et qui lui aussi, a son écho dans tout l'univers. Je suis homme, l'injustice envers d'autres hommes révolte mon coeur. Je suis homme, l'oppression indigne ma nature. Je suis homme, les cruautés contre un si grand nombre de mes semblables ne m'inspirent que de l'horreur. Je suis homme, et ce que je voudrais que l'on fit pour me rendre la liberté, l'honneur, les liens sacrés de la famille, je veux le faire pour rendre aux fils de cette race infortunée la famille, l'honneur, la liberté.

Ce que je dis des hommes isolés, de chacun de vous, en particulier, je le dis des peuples, et je ne fais, je le sais, qu'interpréter leurs voeux, en criant : ' Assez de sang! Assez de captures impies! Assez de larmes; assez d'enfants enlevés à leurs mères; assez d'hommes arrachés à leurs villages, à la paix du foyer domestique, pour être jetés à la discrétion d'un maître cruel, aux infamies de la débauche! Assez, non seulement au nom de la religion, mais aussi au nom de la justice, de la solidarité, de la nature humaine et de Celui qui a tracé sa loi dans nos coeurs".

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Ci-dessous quelques directives qu'il donna aux missionnaires. Elles manifestent une stratégie, étrange peut-être, mais qui nous aidera à comprendre comment il a essayé de tirer le bien d'un mal évident.

Déjà en 1869, dans le Manuel des Constitutions Règles et Directoire, nous trouvons une réflexion qui vient certainement du Cardinal et qui nous fait connaître son plan pour une évangélisation solide et durable en Afrique.

Le Cardinal pensait qu'il y avait deux obstacles majeurs pour cette évangélisation. D'une part, l'incapacité des missionnaires étrangers - malgré leur bonne volonté - à s'adapter de façon convenable au pays tant au point de vue des forces physiques qu'au point de vue culturel ; et d'autre part, la situation morale des gens, fortement marqués soit par l'Islam soit par le paganisme, et qui les rendait très faibles face aux exigences d'une vie chrétienne authentique. Il fallait aux adultes une force de volonté extraordinaire pour pouvoir se maintenir fidèles aux engagements pris au baptême. Le Cardinal pensait - avec Mgr Comboni - que l'évangélisation de l'Afrique devait être faite par les Africains eux-mêmes, et il était persuadé que l'une des oeuvres les plus importantes de la Mission serait la formation des enfants. Ceux-ci, devenus chrétiens, apôtres et capables d'influencer leur milieu propre, pourraient mener à bon terme ce que les missionnaires ne feraient que difficilement et de façon imparfaite. Le projet du Cardinal était donc de rassembler des enfants, de les former solidement, pour qu'ils deviennent les apôtres de leur propre pays. C'est ici où trouvent une place de choix les orphelins et les esclaves rachetés. Aussi le Cardinal écrit:


"Il est donc très important, dès leur arrivée dans une Mission, que les Pères s'occupent de recueillir et de grouper autour d'eux, les petits enfants. Cela leur sera d'autant plus facile que presque partout l'esclavage existe en Afrique, et qu'ils pourront, par ce moyen, s'en procurer autant que leur permettront leurs ressources" (Instr. p.17).

Sa pensé n'a pas encore atteint son sommet dans ce domaine. Il sait l'importance de la formation de ces enfants ; il prévoit même la possibilité du sacerdoce pour quelques-uns, mais ce n'est que plus tard qu'il pensera, et qu'il mettra en marche, le projet de faire d'un bon nombre d'entre eux des "médecins apôtres".

Le 1er cours de l'Institut de Malte. En 1876 Mgr Lavigerie avait fondé à Carthage(Tunisie) un institut
pour les jeunes esclaves rachetés au Sahara. Cet Institut s'établit ensuite à La Marsa en 1880 et enfin
à Malte en juillet 1881. Dans la pensée de Mgr Lavigerie, ces jeunes étaient destinés à devenir des médecins-cathéchistes.

Le projet de formation des médecins apôtres est longuement développé dans les "Nouvelles Instructions aux Missionnaires de l'Afrique Equatoriale" de 1879. (cf. Instr. p. 95-107). Nous y avons déjà fait allusion plus haut, nous n'y revenons pas. Ce que nous intéresse ici ce sont les indications qu'il donne en relation à l'esclavage. Il dit d'acheter des esclaves et il se doit de justifier l'action. A ce propos il dit :

"Et d'abord il faut, pour former des médecins parmi les jeunes Nègres de l'Afrique Equatoriale, avoir à sa disposition un nombre suffisant de jeunes. Cette condition est malheureusement la plus facile à remplir. Je dis malheureusement, parce que cette facilité provient du plus affreux des maux qui pèsent sur la pauvre Afrique, de l'esclavage. Chaque année on vend dans l'Afrique Equatoriale, qui est le centre même des pays à esclaves, des centaines de mille de ces Noirs, hommes, femmes et enfants. Leur prix est tellement vil que sur la Côte même, à Zanzibar par exemple, où ils coûtent nécessairement plus cher que dans l'intérieur, on a des enfants de dix à douze ans pour cinquante, quarante et même trente francs chacun. On voit donc que se procurer des enfants n'est pas chose difficile, et que les arracher à une telle misère, pour leur rendre la liberté, les élever, les instruire et sauver leur âme, leur préparer une vie heureuse et honorable dans leur propre pays, auquel on les rendra un jour, est une oeuvre sainte, qui doit être bénie de Dieu et des hommes, surtout lorsque son but ultérieur et certain est la destruction de l'esclavage. C'est en effet faire sortir le bien du mal lui-même" (Ibid, p.103-104).

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L'ordre d'achat est répété continuellement:

"Telle est la première oeuvre à laquelle les Pères devront s'appliquer. Il faudra prendre, dans chaque station, le plus grand nombre possible d'enfants, eu égard aux ressources, et commencer à les élever. Je ferai observer que c'est là une obligation de conscience, la Sainte Enfance ayant contribué par une allocation..." (Ibid. p.105).

Dans ses Instructions aux Pères de l'Afrique Equatoriale, en avril 1880, on lit:

"J'ai vu avec une grande joie que la mission proprement dite a été commencée, tant au Tanganika qu'au Nyanza. Deux lettres du P. Dromaux et du P. Deniaud nous ont appris que, dans la première de ces missions, on avait déjà racheté plusieurs enfants nègres, et commencé à les instruire... J'ai été aussi très frappé des détails donnés par le P. Dromaux, d'où il ressort qu'avec une dépense évaluée à deux ou trois sous par jour, on pouvait nourrir un de ces enfants. Cela étant, je trouve qu'on ne saurait trop multiplier les rachats des petits Nègres. C'est une oeuvre excellente par elle-même. Elle ne l'est pas moins pour l'avenir de la mission..." (Instr. p. 131).

En juillet 1880, il écrit au P. Jamet : "Je suis, comme vous, de l'avis qu'il faut acheter et non pas se faire donner les enfants nègres. Prenez vos précautions pour en acheter le plus possible" (Instr. p. 142).

Dans sa lettre au P. Guillet, en avril de 1881, on trouve la réflexion suivante, faite à propos de l'achat d'enfants par le P. Livinhac, alors que les circonstances de vénalité du vendeur lui faisaient hésiter:

"... le frère du gouverneur arabe de Tabora ... lui a promis de lui vendre autant de petits enfants Noirs que l'on en voudrait. Le Père ajoute, il est vrai, (il s'agit du P. Livinhac) qu'il pense que c'est l'appât de cette marchandise humaine à placer, qui a décidé ce riche Arabe à lui faire ces ouvertures (la possibilité de fonder un orphelinat), à cause de l'impossibilité où ils sont maintenant d'envoyer leurs esclaves, grands et petits, à la Côte. Mais ce n'est pas à nous de sonder les intentions de ces gens-là. Ce que je vois dans cette communication, c'est un moyen de former un orphelinat qui peut avoir, pour l'avenir, des résultats considérables, et aussi un moyen d'entretenir avec les Arabes des relations de bonne amitié, sans lesquelles, jusqu'à nouvel ordre, tout établissement sérieux est impossible, pour nous, dans une grande partie de l'Afrique Equatoriale" (Instr. p. 172-173).

Avec ce dernier texte nous sommes en face d'un nouvel élément, étonnant sous certains aspects, dans les directives du Cardinal par rapport à sa tactique missionnaire. Il était certainement engagé à plein dans la lutte contre l'esclavage et, sous cet aspect, les Arabes esclavagistes étaient ses grands ennemis. Il faisait tout ce qu'il pouvait pour leur enlever la possibilité d'action, et cependant, à cause de sa vision d'ensemble et de sa perspective de futur, non seulement il achetait des esclaves chez eux, mais, en plus, il conseillait aux missionnaires de chercher avec eux une certaine amitié et de ne pas trop parler sur l'esclavage.

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Tous, peut-être, ne seraient pas aujourd'hui d'accord avec cette tactique. Ci-dessous un texte capital qui nous éclaire sur sa pensée:

"Ce que vous me dites des Arabes ne me surprend aucunement. Dès que j'ai su, d'une manière certaine, que ces esclavagistes musulmans étaient établis sur le territoire de nos Missions, j'ai pensé que vous auriez, de ce côté, des embarras considérables. A ces motifs de fanatisme et d'esclavage, il s'en joint un autre que vous ne connaissez pas. Ils sont exaspérés de la fondation d'une agence européenne à Tabora... ils voient ainsi disparaître l'espoir des gains qu'ils comptaient réaliser sur nos caravanes, celles des Belges et des Anglais qu'ils pouvaient rançonner à merci, faute de toute concurrence. Enfin les Pères Ganachau et Moinet les ont blessés grièvement à Tabora, en ne s'adressant pas, non plus, à eux, pour organiser leur expéditions d'Oujiji. Ils l'ont payé bien cher, car ce sont les Arabes qui ont amené la dispersion des pagazis et tous les malheurs qui l'ont suivie.

Ce sont toutes ces causes réunies, dont la principale est la crainte de l'abolition de l'esclavage, qui leur font chercher les moyens de se débarrasser des Européens. Il faut donc, mon cher Enfant, jusqu'à nouvel ordre:

1º - Vivre avec eux politiquement, (en italique dans le texte) c'est-à-dire ne pas leur faire une opposition directe visible comme font les Anglais à Oujiji.
2º. - Se servir de leur intermédiaire pour les ravitaillements, alors même que l'on saurait devoir payer plus cher.
3º. - Ne rien dire extérieurement contre l'esclavage; affirmer, au contraire, que vous ne vous mêler ni de politique, ni de guerre, mais seulement de religion.
4º. - Eviter de s'établir là où ils sont établis eux-mêmes d'une manière permanente.
C'est la règle de conduite que je vous trace, pour vos missions. Quand à moi, je fais mon profit de tout ce que vous m'avez écrit comme de ce qui m'ont écrit les Pères du Tanganika. Je me suis empressé d'en informer le roi des Belges qui en était déjà lui-même partiellement saisi par ses explorateurs. Je lui déclare que l'intérieur de l'Afrique équatoriale nous sera, de nouveau prochainement fermée si l'on n'en balaye pas les marchants arabes esclavagistes et je le prie de provoquer, à cet égard, une action décisive de l'Angleterre auprès de Saïd-Bargash" (Lettre au P. Livinhac du 10 février 1881. Instr. p. 167-168).

Le Cardinal fait ensuite la louange du P. Deniaud qui

"paraît avoir habilement tourné la question et s'être fait accepter des Arabes, en leur déclarant, comme je vous le conseillais plus haut, que lui et ses collègues ne venaient nullement s'occuper de leurs affaires ou du commerce, qu'ils ne faisaient pas cause commune avec les Anglais, au contraire, qu'ils achèteraient tous les enfants esclaves qu'on voudrait leur vendre. Aussi sont-ils, à ce qu'ils disent, en paix complète avec les Arabes..." (Ibid.)

Malgré ces consignes, compréhensibles mais surprenantes, le but est claire: il s'agit de racheter pour donner la liberté; il s'agit de ne pas s'attirer inutilement l'inimité puissante de ceux qui pouvaient détruire la mission; et il s'agit d'une action concertée à plusieurs nivaux qui visait la destruction finale de l'esclavage. Voici une page de ses Instructions d'avril 1880:

"Ici se présente à nouveau la question de l'esclavage, car vous aurez, sans doute, non seulement des enfants rachetés, mais vous pourrez encore vous trouver dans le cas de racheter utilement des adultes, et je vous le conseille même. Vous me faites observer dans vos lettres, qu'aborder la question de front avec les princes indigènes, comme le font les Anglais, c'est vous créer, dès l'abord, des difficultés considérables, et par conséquent arrêter l'oeuvre dès le début. Je conçois qu'il y a là une question de tactique délicate et importante à résoudre.

Je pense que vous avez raison de travailler à destruction de l'esclavage d'une manière plus éloignée, mais très efficace, en commençant par gagner la confiance des populations indigènes, et en arrivant ainsi à leur inspirer plus tard l'horreur profonde du fléau dont elles sont elles-mêmes les victimes.

Pour le moment, contentez-vous de racheter des enfants, que vous élèverez, de racheter même les esclaves adultes, si vous en trouvez l'occasion, pour en faire vos aides, vos serviteurs et vos néophytes. Traitez-les alors avec une grande bonté, de façon à gagner leur coeur et à ce que l'on voit bien que vous les considérez comme des frères et non comme esclaves. Rappelez-vous, en effet, qu'à dater du moment où ils sont entre vos mains, l'esclavage est fini pour eux; et si vous avez des mesures de coercition ou de châtiment à prendre à leur égard, faites-le non comme envers des esclaves, mais comme envers des enfants ou des frères dont on ne veut que le bien spirituel et temporel" (Instr. pp.132-133)

On se trouve ici devant une situation délicate, qui pourrait prêter à des malentendus ou à des accusations malveillantes. Ce qui ne manqua pas d'arriver. Voici l'attitude du Cardinal dans sa lettre au P. Guillet du 4 juillet 1881 :

"Un dernier avis, d'une nature grave, est nécessaire. Le Foreing-Office de Londres, c'est-à-dire le Gouvernement anglais, vient de faire au Gouvernement français des plaintes officielles sur ce que les missionnaires français établis au Tanganika se sont fait négriers et esclavagistes. Ils sont accusés, non pas de racheter des enfants pour les délivrer comme je les y avais autorisés et engagés, mais d'acheter aussi des adultes pour les garder dans l'esclavage et s'en servir dans cette condition. Si une telle accusation était prouvée, elle nous comblerait de honte devant le monde chrétien et civilisé tout entier. J'ai la certitude qu'il n'en est rien pour le fond, et qu'aucun de nos Pères n'aura été assez malheureux ou assez insensé pour commettre un semblable crime. Mais il ne faut pas qu'aucune apparence puisse donner libre lieu à de telles accusations. Vous y veillerez donc avec soin, et vous vous rappellerez que je frappe d'excommunication majeure, encourue par le fait même, tous ceux d'entre vous qui oserait acheter des esclaves autrement que pour les délivrer et s'en servir comme de frères rachetés par le sang même de Notre-Seigneur" (Instr. p.181).

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Pour finir nous citons une longue et excellente page de l'allocution que le Cardinal prononça le 20 juin 1879 à l'occasion du départ de la deuxième caravane en Afrique Equatoriale. Il décrit les horreurs de l'esclavage et la tâche des missionnaires :

"De tous les points de l'immense continent... s'élève, depuis des siècles, un long cri de douleur, où se rencontrent et se mêlent les souffrances les plus cruelles de l'humanité : des mères, à qui des ravisseurs farouches arrachent leurs enfants pour les conduire à la servitude, et qui, comme Rachel, font entendre leurs inconsolables gémissements; de peuplades paisibles, prises, la nuit, dans leur sommeil, et qui voient mettre en feu leurs demeures, massacrer tout ce qui résiste et traîner le reste sur les marchés où l'homme se vend comme un bétail; de longues troupes des captifs, hommes, femmes, enfants, succombant à la faim, à la soif , au désespoir, agonissant lentement dans les déserts, lorsqu'on les abandonne déjà demi-morts pour épargner leur maigre nourriture, ou tombant sous les coups du maître, lorsqu'il est devenu sa proie;

des créatures humaines, livrées sans défense à la rage et à la débauche; les routes intérieures de l'Afrique bordées d'ossements blanchis, de telle sorte que, si on les perdait jamais, on les retrouverait, comme on l'a dit, par les tristes restes qui les couvrent; et tout cela, multiplié, chaque jour, par l'avarice, par la vengeance, par les guerres; chaque année, plus d'un million d'hommes subissent ce sort effroyable et dans des conditions telles que l'un des témoins de cette traite infâme a pu dire que l'on accumulerait toutes les horreurs, toutes les souffrances, sans jamais arriver à la vérité, lorsqu'il s'agit de l'esclavage. (Card. Lavigerie. Instr. p 359).

J'ai vu les tristes victimes de ce commerce impie. J'ai entendu de leur bouche, les récits de leurs maux; j'ai entendu les enfants raconter, avec la simplicité de leur âge, qui augmentait encore notre effroi, la mort sanglante de leur pères, et les tortures de leurs voyages à travers les régions brûlées par le soleil, assistant en rêve à ces scènes impies, se réveillaient avec de longs cris de terreur! ... Lorsqu'on voit à quel point de cruauté l'esclavage africain mène le bourreau, à quel degré de souffrance et d'abaissement il condamne la victime, il ne peut y avoir qu'un seul cri, un cri d'horreur et de réprobation, sur des lèvres humaines... Je le dénonce, en face des saints autels, avec la liberté de mon ministère, et..., au nom de mon Dieu, je lui voue une guerre sans merci et je le déclare anathème.

O mes Enfants! (il s'adresse aux missionnaires en partance) soyez bénis, vous avez entendu de loin le cri de votre Père! Vous qui trouvez dans votre foi assez de force, dans votre amour pour ces pauvres Noirs, que vous ne connaissez que par le récit de leurs malheurs, assez de dévouement pour vous sacrifier à l'oeuvre de leur délivrance!

..."Voilà l'esclavage africain. On lui a fermé les mers ...; il s'est multiplié sur les voies de l'intérieur, et il y est devenu plus meurtrier.

C'est en vain que les puissances se sont liguées pour abolir ce commerce inhumain qui ensanglante l'Afrique. Leurs efforts sont impuissants. La lèpre continue, elle étend ses ravages.

... Ce ne sont plus des étrangers seuls, ce sont les Noirs eux-mêmes, qui, formés au mépris de l'homme, deviennent les artisans de leur ruine. Tant l'âme humaine s'abaisse, lorsqu'elle ne trouve pas, dans une lumière plus pure, la force de combattre les brutalités de la nature!

Ce qu'il faut donc, c'est de faire comprendre à ces populations, hélas! dégradées, l'impiété de leur erreur; c'est leur apprendre que l'homme est le frère de l'homme, que Dieu, en le créant, lui a donné la liberté de son âme et de son corps, que Jésus-Christ les lui a rendues, lorsque le monde était courbé sous un universel esclavage, et qu'il n'a pas cru acheter trop cher la restauration de cette liberté sainte en la payant au prix de son sang.

Allez, mes Fils, allez leur enseigner cette doctrine. Dites-leur que ce Jésus dont vous montrerez la croix, est mort sur elle pour porter toutes les libertés au monde, la liberté des âmes contre le joug du mal, la liberté des peuples contre le joug de la tyrannie, la liberté des consciences contre le joug des persécuteurs, la liberté des corps contre le joug de l'esclavage!

C'est cette liberté que saint Paul proclamait dans Rome où régnait Néron et où deux millions d'esclaves étaient dans les fers 'Il n'y a plus parmi vous, disait-il, ni Grecs, ni Barbares, ni esclaves, ni citoyens; vous êtes tous frères, vous êtes tous libres de la liberté que vous tenez du Christ'.

Vous la proclamerez à la suite du Grand Apôtre, au milieu de tant de peuples courbés sous le joug, la sainte liberté qui vient de Jésus-Christ. Votre voix retentira comme un tonnerre, ou plutôt elle fera lever, dans ces ténèbres sanglantes, l'espérance et l'amour!" ( (Instr. p. 359-361).

 

Texte de Jesús Salas M.Afr.
Rome

Crédit Photos Nos archives et notre bibliothèque Livre de M. Trulin 1894

Mgr Lavigerie et
la traite des esclaves
Article Voix d'Afrique:
Pèlerinage à l'Ile de Gorée
Petit Echo N°946 (réservé)
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