Voix d'Afrique N°98.

Ils se “défoncent”
à la colle !


Les enfants des rues ? Ils n’aiment pas qu’on les appelle ainsi, ces gamins, souvent petits, qui vivent, ou plutôt survivent, en rupture totale avec leur famille sur les décharges publiques, les terrains vagues, dans les gares routières de la plupart des grandes villes d’Afrique. Ils ont fui l’indifférence, la négligence, les mauvais traitements, parfois les abus sexuels de leurs familles pour se retrouver, faute de mieux, dans la rue. Ils y trouvent là leur refuge et leur bande, une nouvelle famille. Leurs conditions de vie sont rudes et les menaces, nombreuses, qui compromettent leur survie à chaque instant. Si certains survivent grâce à de petits boulots, livrés à eux-mêmes, beaucoup tombent dans la délinquance, la prostitution ou la drogue. Cette drogue - quelle drogue ?- les « aident » à surmonter le quotidien. La plupart ne dépasseront pas les 25 ans.

Ces enfants de la rue,
qui sont-ils ?

Nairobi, Kinshasa, Ouagadougou ou Abidjan, chaque grande ville des pays d’Afrique connaît ces bandes de gamins vêtus de lo-ques, sales, pieds nus, traînant et mendiant. Ils viennent dans la rue pour bien des raisons : la pauvreté est une des causes principales. Il faut remédier à la misère de la famille. Puis viennent les conflits familiaux ainsi que les sévices physiques, émotionnels et sexuels infligés par les parents, et souvent par les beaux-parents. Beaucoup d’enfants viennent aussi de la campagne. Ils pensent qu’ils pourront facilement gagner leur vie dans la ville. Enfin, dans bien des pays, les orphelins du SIDA et les rescapés des enfants soldats vont dans les rues pour survivre. L’enfant part vivre dans la rue parce qu’il n’a pas d’autre alternative face aux problèmes qu’il rencontre dans sa famille. Ce départ se fait rarement avant l’âge de 7 ans.

« Une fois à la rue et livrés à eux-mêmes, ces enfants doivent survivre à la misère et à la violence quotidienne. Ils dorment à même le trottoir ou dans des abris en carton. Pour trouver de quoi subsister, ils mendient ou exercent une multitude de petits métiers : porteur, livreur, cireur de chaussures, gardiens de motos ou de véhicules, apprentis mécaniciens, porteurs de paniers... Mais beaucoup aussi empruntent la voie de la criminalité. Libérés de toutes contraintes sociales, rejetant lois et institutions, de véritables gangs d’enfants vivent de cambriolages et d’agressions et deviennent de véritables fléaux sociaux.

Sans défense, malgré leur dérive délinquante, les enfants sont aussi victimes d’abus de toutes sortes. Ils doivent affronter coups et insultes des commerçants, mais aussi des forces de l’ordre qui les rackettent sous prétexte d’assurer leur protection. Beaucoup tombent dans la prostitution. Quoiqu’illégale, la prostitution infantile est une industrie florissante qui se banalise sur le continent africain. Les petites filles des rues sont sollicitées très jeunes, parfois enlevées pour être placées dans des bordels. » (Le Magazine.Info)

Une vie centrée
sur le groupe

Dans la rue l’enfant ne vit pas seul ; il intègre une bande qui rassemble d’autres enfants et des jeunes plus âgés. Le groupe permet d’affronter plus facilement les difficultés quotidiennes et de répondre aux besoins de base. Le groupe va aussi compenser les énormes carences affectives dont souffre la majorité. Il comble un vide et devient une véritable fa-mille de substitution. Pour marquer ces liens quasi fraternels qui s’instaurent entre eux, chacun se voit attribuer un surnom sous lequel il sera désormais connu.

Tous ces enfants ne s’adonnent pas à la prostitution ou au vol. Ces dérives ne viennent que si la conjoncture est favorable : proximité d’une zone de prostitution ou bien contrainte venue des plus grands du groupe. Il faut dire aussi que plus l’enfant grandit, plus son corps change et la pitié qu’il provoque fait place à la méfiance, à la crainte, voire au rejet. La population se montre moins généreuse dans ses dons et il est obligé de chercher de nouveaux moyens pour survivre.

Souffrant de malnutrition, de maladies de peau ou pulmonaires ou encore de maladies sexuel-lement transmissibles, les enfants des rues risquent aussi des accidents, soit qu’ils les provoquent eux-mêmes par des paris insensés, soit que l’insalubrité des lieux d’habitation et la consommation de drogues viennent diminuer leur vigilance et leurs réflexes.

Autre grave menace pour l’enfant : l’homme. La rue est souvent un milieu violent où il est nécessaire de démontrer sa force en permanence. Mal vu par la société et repéré pour sa vulnérabilité, l’enfant de la rue est exposé à toutes sortes d’exactions qu’il doit affronter seul sans espoir de protection. Qui s’inquiétera de son arrestation, de sa disparition et, s’il est retrouvé battu à mort, qui s’indignera ? C’est donc avec ses copains de bande qu’il doit lutter pour sa survie, protéger son lieu d’habitation, se défendre lors d’agressions, échapper aux rafles de la police, etc.

Tout enfant, pour grandir et se développer harmonieusement, doit pouvoir se nourrir d’affection et de reconnaissance. Dans la rue, l’image de lui-même qui lui est renvoyée est négative, dévalorisante. Aussi, pour tous, le niveau d’estime de soi est extrêmement bas, et leur carence affective énorme.


Cependant, malgré tous ces handicaps, les enfants de la rue manifestent des qualités extraordinaires : capacité d’adaptation, résistance à l’hostilité, débrouillardise, sens du réel, ingéniosité, capacité d’initiative, sens de la solidarité, du partage, grande générosité, sens de l’honneur et de la parole donnée, loyauté avec leurs pairs, volonté de vivre envers et contre tout.
Il n’en reste pas moins que les enfants de la rue sont la honte des nantis, mais ceux-là s’en débarrassent sans état d’âme d’un geste de la main ou grâce à quelques pièces de monnaie. La honte n’atteint pas leur propre satisfaction, la misère ne salit pas leurs beaux costumes, la boue ne colle pas aux roues de leurs luxueuses voitures.

Comment arrivent-ils
à survivre ?

Survivre ! c’est le problème quotidien des enfants de la rue. Pour eux, « être un enfant de la rue, c’est ne pas manger à sa faim, dormir dans des lieux insalubres, affronter la violence des plus grands ou le fouet des forces de l’ordre et quelquefois devenir une victime expiatoire, c’est grandir sans être accompagné, aimé ni protégé, c’est ne pas avoir accès à l’éducation ni aux services de santé, c’est perdre toute dignité et devenir adulte avant même d’avoir été un enfant. »

Dans la rue devenue espace de vie, comment accomplir les gestes les plus intimes du quotidien ? Aucun enfant ne peut défendre en permanence un espace délimité, réservé à son sommeil, à sa toilette, à ses relations sexuelles. Les enfants possèdent avant tout et en dernier ressort leur corps, devenu leur unique patrimoine. Malgré eux, ils l’exposent aux plaisirs et à la souffrance dans l’espace public.

La nuit, ils préfèrent souvent déambuler, se cachant au moindre danger et trompant leur peur et leur solitude dans « l’ambiance » nocturne, quand musique, sexe et alcool changent le visage des capitales. Les enfants préfèrent dormir sous la lumière des néons des magasins du centre-ville que de s’abandonner à la pénombre inquiétante de la nuit. Ainsi, les enfants ne sont pas libres dans la rue. Libérés des contraintes communautaires, rescapés des violences familiales, ils s’étourdissent au cœur de l’agitation urbaine.

Ils se défoncent à la colle

Consommer de la drogue est une autre stratégie de survie. On estime qu’elle touche la majorité des enfants de la rue. Parce que leurs moyens sont limités, les enfants se tournent vers des produits bon marché et d’accès facile. Ce sont, en premier lieu, les substances volatiles qui sont ‘’sniffées’,’ voire avalées, puis l’alcool et le tabac et, dans une moindre mesure, le cannabis et certains médicaments. Ils inhalent en particulier des colles, des diluants ou du carburant, la tête enfouie dans un sac plastique. Ces derniers ne font l’objet d’aucune réglementation ou restriction à la vente ou à la consomma-tion puisque ce ne sont pas des drogues mais des produits de consommation courante dont l’usage est ici détourné. Chacun sait où s’en procurer.

Pourquoi le font-ils ? Les raisons sont multiples : les enfants utilisent des drogues pour couper la faim lorsqu’il n’y a rien à manger, diminuer la douleur d’une blessure qui ne guérit pas, se donner du courage et ôter la honte de fouiller dans les poubelles, se sentir fort et invulnérable face aux menaces, lors d’affrontements, et pour avoir envie de rire et de se détendre avec les copains.

Dès qu’un enfant est dépendant à la colle, ce qui est facile et rapide, son usage réduit ses craintes (sa confiance en lui-même se fortifie et ses références aux règles de la vie en société s’atténuent) autorisant ainsi le passage à l’acte vers la petite délinquance.

Trois facteurs principaux sont à l’origine de la popularité de la colle auprès des enfants des rues sur tous les continents : son prix, sa grande disponibilité et sa non pénalisation, un « flash » très puissant et quasi instantané, avec des effets similaires à ceux d’une forte consommation d’alcool. Ils imbibent de colle de petits morceaux de chiffon qu’ils portent en main toute la journée. Les effets sont immédiats et modifient la perception de la réalité.
La colle détruit leur capacité de s’en sortir et maintient les enfants emprisonnés dans les rues.

Comment agir ?

Il est certaines erreurs à éviter : informer sur les méfaits et les risques de l’abus de drogues ne suffit pas pour amener à des changements de comportement. De plus, il faut éviter de transmettre les messages à travers la peur, l’angoisse et la culpabilisation. Pour des adolescents, l’interdit peut rendre attirants les comportements à risque. Enfin l’information doit être adaptée au public : il existe souvent un abîme entre ce qui est proposé à l’enfant et ce qu’il demande et nécessite.

Les obstacles à la réinsertion sont nombreux. « L’enfant ne s’investit dans un projet de réinsertion que lorsqu’il est convaincu des bénéfices qu’il peut en tirer ; or, s’il est enfermé de force, il n’a qu’une envie : s’enfuir et rejoindre sa bande. Il n’y a pas qu’une alternative pour aider les enfants à sortir de la rue ; il en existe autant que d’histoires personnelles. »
« L’objectif de la réinsertion est de rendre l’enfant autonome et en mesure de s’assumer seul. Un des meilleurs moyens d’y parvenir est de le former professionnellement et l’aider à acquérir des compétences professionnelles qu’il pourra faire valoir sur le marché du travail.

Abandonner la rue et surtout réussir la transition de la rue à un centre d’accueil est particulièrement difficile. Intégrer un centre exige un changement de comportement et l’acceptation de certaines règles auxquelles l’enfant a du mal à se soumettre : il doit consentir à ne plus se droguer, respecter des horaires, participer à des activités et s’accommoder d’un nouveau mode de vie en communauté. Alors que, dans le même temps, l’appel de la rue, où il a noué des liens affectifs forts et qui lui offre, malgré tout, des avantages comme une grande sécurité affective, reste très fort. Les expériences de terrain prouvent qu’un des principaux obstacles à la réinsertion est souvent la détresse psychique des enfants. Ils souffrent souvent du constat de leurs faiblesses, de leur incapacité à surmonter certaines difficultés et, parce qu’ils estiment ne rien valoir et ne pas mériter une vie meilleure, ils se découragent, abandonnent le processus de réinsertion et retournent dans la rue. » (Dossier UNESCO ‘Les enfants de la rue et le VIH/-sida’)

Il s’agit surtout de modifier le regard qu’on porte sur eux et de partir du constat de leurs points forts. Ceux-ci tendent à être noyés dans des considérations négatives telles que leur caractère « violent », « agressif », « asocial », « insoumis », leur apparence « sale », « de drogués », etc.

L’enfant de la rue n’est pas « agressif », « violent », « associal », « insoumis » par nature ; il le devient parce que le milieu dans lequel il évolue l’exige pour rester en vie. Ne pas en tenir compte c’est l’enfermer dans la condamnation et tenter uniquement de le remettre « sur le droit chemin ». Pourtant, si l’enfant de la rue est considéré à partir de son histoire et de ses conditions de vie, il révèle des qualités rares qui ne demandent qu’à être exploitées.


Beaucoup n’atteindront pas l’âge adulte !

Marginalisés pendant l’enfance, rares sont ceux qui arrivent, arriveront, à se réinsérer correctement une fois adultes. Sans éducation, leurs perspectives d’avenir sont limitées. Pourtant, ces enfants sont loin d’être prioritaires pour les gouvernements débordés par les crises économiques et politiques, le sida et les autres pandémies. Beaucoup préfèrent abandonner le fardeau aux ONG, oubliant que les enfants des rues d’aujourd’hui seront aussi des adultes demain.

Malheureusement, du fait souvent d’un manque de moyens mais aussi du faible bagage scolaire des enfants, les activités pro-fessionnelles proposées sont limitées : mécanicien, menuisier, couturier… et ne les attirent pas. L’offre dépasse la demande. Le vol puis le recel d’un téléphone portable offre un revenu supérieur à celui attendu de l’exercice d’un de ces métiers.

D’après des sources diverses
Voix d’Afrique


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