Voix d'Afrique N°49
Culture
CONTE BAMBARA
(MALI)

Recueilli et Traduit
par
Le Père Charles Bailleul

Illustrations: Svelta Amegankpoé
Editions: Donnya. Bamako.

"Fais- toi des amis"



.Lire ce conte de gauche à droite en suivant les couleurs.


Il était une fois
un grand chef de village
Ayant beaucoup de biens... Comme il prenait de l'âge
Il dit à son unique fils: - Je suis très vieux. Lorsque je serai mort surgiront des envieux.
Si tu n'as point d'amis, ils prendront tes richesses... Je te donne un taureau.
Pars chercher un ami Qui te sera utile après ma mort. Ça presse !
Le fils s'en est allé comme il l'avait promis.

Tout en se promenant, le voilà qui rencontre
Une troupe de singes rouges auxquels il montre
Le taureau. - Je me cherche des amis, dit-il.
C'est un cadeau pour vous... Pour moi soyez gentils Et liez amitié. Les singes ont accepté
Le remerciant beaucoup. A son retour, le père
Lui demanda: - Alors ! Tu as donc fait affaire ?
- Oui, j'ai trouvé. - Où ça ? Et le fils de conter
Son pacte d'amitié avec les singes rouges
Et leur remerciement, leur amabilité.
- Tu n'as rien fait de bon ! Ah, tu n'es qu'une courge ! Tous ces écervelés ont-ils utilité ?
Autre taureau voici pour chercher des amis !
Le lendemain matin, le fils a pris la route
Pour trouver cette fois un peuple de fourmis
Au travail. Il leur dit: - Mes sœurs fourmis ! Vous toutes !
Prenez ce gros taureau. Accueillez ma requête. Devenez mes amies ! - Oh ! C'est bien volontiers Merci ! Lui dirent-elles en acceptant la bête.
Au retour, le roi dit: - Tu as fait amitié
Avec qui cette fois ? - Avec la fourmilière.
- C'est tout ce que tu as trouvé, lui dit son père.
- Je te donne un taureau. Le dernier ce sera. Cherche un ami, un vrai, qui te dépannera.
Pour sûr, après ma mort, ta vie même en dépend. Le lendemain, l'enfant repart avec la bête.
Tout en se promenant, il tombe tête à tête
Avec une vipère et dit: - Frère serpent,
Accepte ce taureau et deviens mon ami.
- Merci, merci beaucoup, dit le serpent minute... Au retour, papa dit: - As qui l'as-tu remis ?
- A la jolie vipère au sifflement de flûte.
- Hélas, mon fils, ton avenir, tu l'as gâté.
Après ma mort, ils te prendront ton héritage.


Peu après, le vieux meurt... Ce dont il se doutait Arriva. Le nouveau chef placé au village
Fait savoir sans tarder qu'il veut accaparer
Tous ses biens, prétendant qu'en l'absence du père
Un aussi jeune enfant ne peut pas les gérer...
Une vieille, là-bas, au regard de sorcière
Dit alors: - On ne peut l'occire sans motif. Donnons-lui un travail qu'il ne pourra pas faire.
S'il y échoue ou si nous le trouvons fautif Nous pourrons le tuer. Cela eut l'air de plaire Au roi qui dit: -De quoi s'agit-il ? - Eh, grand roi !
Derrière ta maison, dit-elle, maléfique,
Il est un baobab en fruits, si gros, si droit Qu'on ne peut y grimper sans formule magique.
D'ici demain matin, qu'il cueille tous les fruits, Les pose sur le sol, sans qu'aucun ne se fende.
S'il n'y arrive pas, c'en sera fait de lui
Qu'on lui coupe la tête ou alors qu'on le pende.

. - Bonne idée, dit le roi, qu'on aille le lui dire !
Le message est transmis... L'enfant, tout éploré,
Agité, part en brousse, imaginant le pire.



Un singe le rencontre et dit: - Pourquoi pleurer, Mon ami ? Qu'y a-t-il ?
- Demain, je vais mourir !
- Mourir ! Et comment ça ? Tu es d'humeur
macabre ! -

C'est que le roi m'a dit que je dois parvenir
A cueillir tous les fruits du baobab, cet arbre
Derrière sa maison, d'ici demain matin,
Les ayant déposés sans qu'aucun ne se casse.
Sinon, ils me tueront. Tel sera mon destin.
Le singe dit: - Pars dormir sans que ça te tracasse. Tout cela ne vaut pas un motif de pleurer.
Demain, tu iras voir. Aussitôt le message
Est transmis à tous les singes dans les parages.
Au point du jour, le baobab en est bourré.
Les uns cueillent les fruits, d'autres les acheminent
De main en main pour les poser jusqu'au dernier
Au pied du baobab... Un vrai jeu ! Ils terminent
Et s'en vont prestement leur brousse regagner.
. Ils viennent de partir, quand les gens sont allés Réveiller l'orphelin. En courant, ils l'entraînent Au pied du gros arbre... Ils en sont pour leur peine !
Pas un fruit dans le ciel, au sol, nul fruit fêlé...
Ils ont dû l'épargner... La sorcière a pesté...
Le chef lui dit: - As-tu vu son habileté ?
Tout est cueilli, rien n'est fendu !
- Ah ! Roi, dit-elle,
Je connais autre chose où il y resterait: Un panier de fonio (éleusine), dans lequel on y mêle
Un panier de sanyo (petit mil). On lui demanderait
D'en séparer les grains. S'il n'y arrive pas

D'ici l'aube... On le tue... De la deuxième épreuve Ils courent l'informer, de moqueries l'abreuvent:
- Ton échec est certain tout comme ton trépas


L'enfant ne peut dormir. Ruminant son malheur
Il s'en va dans la brousse en ne sachant que faire. Tout en marchant, il arrive à la fourmilière.
La reine des fourmis lui dit: - Pourquoi ces pleurs Mon bon ami ? - C'est que le roi a mélangé
Du fonio au sanyo, deux paniers ! A l'aurore,
Si je n'ai pas trié les grains et tout rangé
A part, il dit qu'il me tue et mes biens dévore.
Elle dit:-Mon ami, ce n'est pas difficile.
Montre-nous donc l'endroit, et puis pars te coucher.
Et pendant que l'enfant dormait son soûl, tranquille,
Les fourmis ont trié, et sans se relâcher,
Grain par grain ont rangé à part les deux semences.
- Il est trop fort. Comment a-t-il pu procéder ? Disent-ils. Et le roi d'appeler la sorcière.
-Va voir le fonio et le mil. Tout est trié à part.
- Ah ! Roi ! Même aujourd'hui ! .. .
Quelque chose il faut faire.
Ce gamin ne peut rester ainsi sous ton regard Avec ses biens... Après réflexion, elle dit:
- Ton taureau étalon, là-bas, si tu l'attaches Demain matin, en plein milieu du parc à vaches Et que nous demandions à ce jeune étourdi
De le fixer des yeux par trois fois à distance
Pour le faire tomber, s'il échoue, c'est sa mort ! Ô roi tu le sais bien, on a gagné d'avance !
Le roi répond: - C'est bon, vous avez mon accord,
Bien que ce beau taureau, ce soit mon préféré. Allez lui signifier à quoi se préparer.

C'est vite fait... L'enfant dans sa désespérance
.
Erre dans la forêt. Angoissé, il avance
En pleurant. Le serpent, caché, le reconnaît
Et lui dit: - Mon ami quel air de condamné ! Pourquoi donc pleures-tu ? - C'est le cas de le dire,
Répond l'enfant. Ils m'ont bien condamné à mort. - Comment ca ?
- Ils m'ont dit: - Tu seras point de mire
De tous demain matin, quand tu fixeras fort
Par trois fois et de loin le gros taureau du roi Debout dans le grand parc pour provoquer sa chute. Sinon... On te tuera. - N'aies donc pas peur de moi
Mon bon ami, prends-moi dit le serpent minute
Et va me déposer dans l'enclos. Tout ira bien.

Il l'a mis dans le parc... Quand l'aube se lève,
La sorcière elle-même est pressée, ô combien !
- O roi c'est le moment, l'affaire sera brève.
On rassemble les gens non loin du parc à vaches.
Tous debout. Le taureau dans l'enclos, à l'attache.
L'enfant est au milieu des gens. - C'est le moment,
Lui dit-on, par trois fois fixe-le fortement.
Et s'il ne tombe pas... Tu connais bien ton sort.

Dès le premier regard, la vipère le pique.
L'enfant ferme les yeux... Cet instant est tragique !
Quand il les a rouverts... Patapoum ! Il est mort
Le taureau ! ...Courroucé, le roi dit: - Eh ! Sorcière
Comme tu as perdu, que tu as tout gâté,
C'est toi que tout de suite on va décapiter !
Sitôt dit, sitôt fait... Et tous les biens du père
Furent laissés au fils, grâce à ses bons amis.


Bonnes gens, ces amis,
les auriez-vous admis?...


 

 

 

 

 

 

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