CONTE BAMBARA
(MALI)
DIYENKOROBA
"Vieux-comme-le monde"

Les contes Africains nous font pénétrer
dans une culture d'un peuple, et nous disent
quelque chose de profond sur la valeur
humaine et morale de la pensée
traditionnelle.




Ce chef de famille est un lépreux

Il y avait autrefois quelqu'un dont le nom était Diyènkoroba (Vieux-comme-le-monde). Diyènkoroba dit :
- Je vais m'en aller aujourd'hui. J'ai envie de parcourir la terre.
Diyènkoroba s'en fut... Au village où il arriva, il fut reçu dans une famille dont le chef était un lépreux couvert de plaies, ses pieds et ses mains n'étaient que des moignons. Le maître de maison dit à un enfant de donner à boire et à manger à l'étranger, qui but. Il lui demanda son nom.
- Diyènkoroba, dit- il en s'asseyant... Ils causèrent, et, pris de compassion, Diyènkoroba dit:
- Mon ami… - Oui, dit le lépreux.
- L'ingratitude des hommes est grande. J'aurais bien envie d'empor ter ta maladie, qu'elle te quitte à jamais.
- Eh ! Noble étranger… répond le lépreux. Celui qui a cette affreuse maladie, si quelqu'un vient la prendre, l'enlever, l'emporter et te guérir, comment pourrais- tu lui manifester de l'ingratitude ?
- Hum, lui dit- il, beaucoup de gens voient passer Diyènkoroba, mais hélas ne le reconnaissent pas à son retour.
- Mais si, je te reconnaîtrai !
- C'est bon, sois guéri, dit Diyènko roba. A l'instant même, sa lèpre disparut
Diyènkoroba poursuivit son voyage. Il arrive dans un autre village, entre dans une concession. Le maître de maison était assis, mais même assis, tu pouvais croire qu'une autre personne était étendue à ses pieds. Il était affligé d'une énorme hernie scrotale, comme si deux personnes étaient l'une près de l'autre.
Il cria aux enfants :
- Venez donner de l'eau à l'étranger !
Puis il le salua.
- Quel est ton nom ? dit-il. - Diyènkoroba. Il n'y a rien de spécial. Je ne fais que passer. Mais mon pauvre ami, te voilà fort handicapé ! - Oui, dit-il. C'est d'ici même qu'on m'emporte. Comme tu le vois, im- possible de me déplacer, je ne peux ni me lever ni me traîner par terre.
Diyènkoroba dit :
- L'ingratitude des gens d'aujour- d'hui est grande, sinon, je prenais ta maladie, te l'enlevais et l'emportais avec moi !
Et le hernieux de répondre: - Eh, l'ami ! Comment quelqu'un pourrait-il prendre cette hideuse infirmité, te
l'enlever et que tu lui manques de reconnaissance ? Pour moi, c'est impossible. Si tu la prends et m'en débarrasses, je ne serai pas ingrat à ton égard !
Et le hernieux de répondre: - Eh, l'ami ! Comment quelqu'un pourrait-il prendre cette hideuse infirmité, te l'enlever et que tu lui manques de reconnaissance ? Pour moi, c'est impossible. Si tu la prends et m'en débarrasses, je ne serai pas ingrat à ton égard !
- Hum, dit-il. Beaucoup de gens voient passer Diyènkoroba, mais hélas, ne le reconnaissent pas à son retour.
- Mais si ! Je te reconnaîtrai !
- Bon, tu me vois passer aujour- d'hui, tu me connais, mais à mon retour, tâche de ne pas te tromper sur mon identité.
- Je te reconnaîtrai !
Diyènkoroba lui prend son infirmité et l'en débarrasse. Au même instant, il se leva, enfila un caleçon et alla se montrer à tout le monde. Ce fut la stupéfaction générale.
Diyènkoroba poursuivit sa route... Il arrive dans un autre village, entre dans une concession dont le chef de famille est aveugle. Il est assis, il ne voit rien. Diyènkoroba le salue.- Apportez de l'eau à l'étranger, crie-t- il aux enfants. Ils lui donnent à boire. Le maître de maison le salue : - Et quel est ton nom ?







(Au même instant il se leva)
- Mon nom est Diyènkoroba... Ah, mon ami ! Quelle triste infirmité tu as ! On te prend tes yeux alors que tu es en bonne santé.
Est-il possible alors d'être heureux durant cette vie ? Vraiment l'ingratitude des hommes est grande. Sinon, j'emporterais au passage ta cécité pour que tu puisses jouir du bonheur le restant de tes jours.
L'aveugle dit :
- Ah ! Diyènkoroba ! Tu as contemplé le monde, puis il disparaît soudain à tes yeux… Celui qui te libère et te le fait revoir, tu serais ingrat envers lui ? Pour moi, ce n'est pas possible. Jamais je ne manquerai de reconnaissance.
- Hum ! dit-il, beaucoup de gens voient passer Diyènkoroba, mais,
hélas, ne le reconnaissent pas à son retour !
- C'est sûr ! Je te reconnaîtrai !
- Bon ! dit Diyènkoroba, j'emporte ta
maladie. Ses yeux s'ouvrirent. Il se leva et se mit à courir partout...

"Vieux comme le monde" s'en alla... Dix bonnes années passèrent...
Puis il revint sur ses pas... Il arriva au pays de l'aveugle, qui en était devenu le roi. A l'entrée du village, il se fait aveugle en gue nilles, marchant à tâtons, trébuchant partout.


Entendant des voix d'enfants, il les
interpelle : - Allez dire au roi que j'ai très soif ! Qu'il vienne m'apporter à boire !
Les enfants courent dire au roi :
- Majesté ! Majesté ! Il y a un pauvre aveugle, dans les champs à l'entrée du village, qui trébuche sur les souches et
se fourre dans les épines. Il dit qu'il a soif et demande que tu lui apportes à boire.
Le roi répond:
- Cet aveugle, il ne va pas très bien, non ? Il aurait dû dire que j'envoie quelqu'un lui donner à boire, au lieu de dire que je me lève pour lui appor-ter de l'eau ! Dites-lui que, puisqu'il a réussi à atteindre cet endroit, il trouvera bien l'entrée du village.
Telle fut la réponse du roi... Diyènkoroba vient à tâtons, entre dans la maison et arrive près du roi.
- Bonjour, seigneur ! dit- il. Le roi ne répond pas
- Seigneur ! Bonjour ! Le roi ne répond pas.
- Majesté ! Bonjour !
- Laisse- moi tranquille, répond-il, tu as demandé que j'aille t'apporter de l'eau. Est-ce que tu n'as pas pu toi- même arriver jusqu'ici ? Les enfants ! Allez puiser de l'eau et venez lui en donner. Les enfants obéirent.
- Majesté ! dit-il, j'ai faim. S'il te plaît, donnez-moi quelque chose à manger.
- Il y a du son. Donnez-lui en, dit-il. Ils viennent lui donner du son. Quand il a terminé le son, Diyènkoroba dit au roi :
- Hum, beaucoup de gens voient passer Diyènkoroba, mais, hélas, ne le reconnaissent pas à son retour. O roi ! L'homme qui a pris ton infirmité et t'en a débarrassé,
c'est moi... Mais puisque tu m'as accueilli de cette manière, la voici, ta maladie ! Elle est à toi !… Et le roi redevient aveugle à l'instant même...

Il continua son chemin pour arriver au pays de l'homme à la hernie scrotale. (Lui aussi était devenu roi). Arrivé aux abords du village, Diyènkoroba se fait une hernie qui traîne derrière lui sur le sol.
S'adressant aux enfants qu'il voit :
- Allez dire au roi qu'il vienne me donner de l'eau et m'envoie aussi quelqu'un pour m'aider, je suis trop fatigué.
les enfants s'approchèrent pour mieux voir. Ses bourses traînent par derrière lui, loin !...
Ils courent dire au roi :
- Ô roi ! Il y a à l'extérieur du village un hernieux qui traîne ses énormes bourses derrière lui. Il te demande de lui apporter de l'eau, il n'en peut plus. Le roi répond : - Allez lui dire de ma part qu'il est bien venu d'un endroit pour arriver ici, non ? que, s'il n'entre pas lui- même au village, mes gens ne sortiront pas d'ici pour lui donner de l'eau.... Est- ce qu'on doit remplacer autrui ? Qu'il dégage ! Les enfants vont transmettre le message. Diyènkoroba, en se traînant péniblement, arrive à l'entrée de la maison royale. Quand il veut entrer dans son vestibule où est assis le roi, celui-ci lui crie violemment: - N'entre pas ! N'entre pas ! Arrête ! Diyènkoroba lui dit alors :
- Ô roi ! Souviens-toi ! Beaucoup de gens voient Diyènkoroba passer, mais, hélas, ne le reconnaissent pas à son retour. L'homme qui a pris ta maladie, c'est moi ! Mais, puisque tu m'as accueilli de cette façon. Que ta maladie te revienne !
A l'instant même, ses parties descendirent sur le sol et s'alourdirent plus que celles d'antan. Diyènkoroba poursuivit sa route... Arrivé au village du lépreux devenu roi, il se fait lépreux, couvert de plaies, . Il avance péniblement et dit à des enfants :
- Allez dire au roi qu'il vienne me donner de l'eau, je n'en peux plus, j'ai terriblement soif. Les enfants vont dire au roi : - Ô roi ! Ô roi ! Il y a un lépreux à l'entrée du village qui te demande de venir lui donner à boire. Il n'arrive pas à marcher

.
- Vrai ? dit le roi. - Oui, c'est vrai !
- Cette maladie, j'en sais quelque chose…
Aussitôt le roi se lève, prend de l'eau, court jusqu'au lépreux, la lui donne. Puis, il lui prend la main, l'aide à entrer dans sa maison, le fait asseoir sur son siège royal, ordonne aux femmes de préparer les meilleurs plats pour qu'il soit parfaitement rassasié... Il mangea à sa faim... Ils se mettent à causer, à causer...

(N'entre pas arrête!)
- Mon ami ! dit Diyènkoroba
- Oui ! dit le roi.
- C'est moi...
Diyènkoroba ! En venant j'ai pris ta maladie et t'en ai débarrassé et tu m'as dit que tu ne serais pas ingrat à mon égard.
Vraiment, tu ne l'as pas été. Reçois mes bénédictions.
Que Dieu te comble de ses bienfaits, bien au-delà d'aujourd'hui !
Qu'il les parachève dans l'au-delà !
Avec l'aimable autorisation des Éditions Donniya Bamako Mali


 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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