Voix d'Afrique N° 68


Le missionnaire aux chaussettes trouées

Raphaël Deillon, Missionnaire d'Afrique Suisse, est assistant général de la Société.
Il a longtemps œuvré au Maghreb, parmi les musulmans.
Il nous livre quelques réflexions sur la vocation missionnaire.

On s'est moqué d'eux. On dit qu'ils étaient les derniers des trois “M” : les Militaires, les Marchands et les Missionnaires.

On les a accusés d'être partis en Afrique pour convertir des païens, apporter une autre civilisation, importer la consommation. Ces troublions n'avaient maintenant que ce qu'ils méritaient. On leur a tout mis sur le dos sans réfléchir un instant, avant même de les voir, de savoir, d'écouter leur histoire.

On leur a dit que ce temps était révolu et que maintenant la mission, elle est ailleurs. Elle est même dans le pays qu'ils ont quitté quand ils étaient jeunes. Et pourtant, malgré les critiques, ils repartent contre vents et marées, forts de deux mois de congé au pays, gagnés là-bas à grosses gouttes de sueur.

Ils repartent vers une école de brousse, une paroisse aux mille succursales visitées trois fois par année sur des chemins qui soulèvent une poussière étouffante ou qui retiennent dans la boue de leurs ornières leurs frêles guimbardes, pour trois ou quatre ans de galère loin de leur famille, de leur pays : danger des routes, danger des rivières, danger des pillards, danger des guerres, danger des mercenaires à la solde des uns puis des autres.

Et pourtant ils restent parce que leur peuple est là-bas : parce qu'ils les aiment, ces hommes, ces femmes, ces enfants, comme si c'étaient les leurs. Ils ne peuvent s'en départir. Ils ont pris fait et cause pour eux au nom de Celui qui leur a dit : "Partez, ne prenez qu'un bâton, n'emportez ni sac, ni argent, ni habit de rechange. Si quelqu'un vous accueille, entrez chez lui, prenez chez lui votre repas."

Et c'est parce qu'ils croient en Lui qu'ils sont partis au Congo, en Ethiopie, et que, revenus, leur cœur est encore là-bas. Leurs chaussettes sont peut-être trouées, leurs vêtements ont du mal à rattraper la mode endiablée de nos pays, mais ils ont un peuple qui leur colle au corps, à qui ils ont donné leur parole. Ils ont trempé leur main dans leurs plats pimentés qui sentent bon l'amitié. Ils sont heureux. Si vous cherchez comme beaucoup d'autres de ce monde, des secrets pour le bonheur, demandez-leur pourquoi ils sont restés, pourquoi ils repartent. Ils vous diront que la joie ne vient pas en évitant le risque. La vraie joie vient quand on peut se donner tout entier à Dieu et aux autres. On se sent plus utile à vivre solidaire de ceux qui n'ont rien, que satisfait avec ceux qui ont tout.

Et lorsque vous écouterez leur histoire, regardez-les vibrer à ce qu'ils vous racontent, écoutez-les parler de ceux qu'ils aiment. Croyez ce qu'ils vous disent : ils l'ont vécu, ils en vivent. Pour rien au monde ils n'auraient abandonné leur pays d'adoption. Ils ont acquis le droit d'y être parce qu'ils ont senti et souffert avec leurs habitants. Ceux qui y sont encore préfèrent même y rester avec les chaussettes trouées.

Raphaël Deillon, M. Afr.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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