CAPITAINE JOUBERT
1842 - 1927
1er texte d' Aylward Shorter M.Afr. - Second texte du Père Jacques Casier M.Afr.
Le Capitaine Léopold Louis Joubert, soldat et auxiliaire de la mission, est né à Saint Herblon en France. (dans le département de la Loire-Atlantique) Ses parents étaient Jean et Marie Rose Joubert. En juillet 1860, à l'âge de dix-huit ans, le jeune Joubert s'engagea dans l'armée, levée par le Pape Pie IX pour la défense des États Pontificaux. Il a servi pendant onze ans dans le bataillon franco-belge du Pape. Blessé à la bataille de Castelfidardo en 1860, il a dû rester pour un temps dans un hôpital Piémontais, puis est revenu à Rome en 1861.
Joubert continuera de servir dans ce bataillon jusqu'en 1865. Ensuite il choisit de rester à Rome comme Zouave pontifical lorsque la France quitte l'Italie en 1866. Joubert a vu ce qui se passa à la Porta Salaria lors de la marche sur Rome des Piémontais en 1870. Après le licenciement des Zouaves, Joubert prit le bateau pour Alger en 1880 et offrit ses services au Cardinal Lavigerie, fondateur des Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs).
Lavigerie avait besoin d'auxiliaires armés pour accompagner ses caravanes missionnaires en Afrique équatoriale et pour y organiser la défense de la mission. Le Sultan de Zanzibar a exercé une étrange hégémonie sur les pays de l'Afrique de l'Est. Les aventuriers afro-arabes de Zanzibar pouvaient opérer librement pour le commerce de l'ivoire et la traite des esclaves, dont les plus infâmes furent Tippo Tip et Rumaliza. Joubert s'est joint à la troisième caravane des Missionnaires d'Afrique en novembre 1880, pour enfin arriver à Tabora en décembre de l'année suivante.
Il est arrivé à Ujiji sur le lac Tanganyika en février 1882. Le lac traversé, il a fortifié le poste de Mission de Mulwewa avec des palissades et des fossés, et a donné une formation sur les armes à feu à la milice locale. Il a aidé alors à fonder des postes de mission au nord et au sud du lac. Joubert a surveillé la construction de la Mission-forteresse de Kibanga (Lavigerieville) qui a été assiégée par les esclavagistes pendant plusieurs semaines. Tippo Tip et Rumaliza avaient obligé à l'abandon de trois sites de Mission, en perpétrant des massacres dans la région du Haut-Congo.
Aveuglé par le venin d'un cobra cracheur, Joubert est rentré en France pour suivre un traitement en 1885. Revenu en Afrique l'année suivante, Joubert a été vexé de découvrir que le Congo supérieur faisait maintenant partie du Congo de l'État Indépendant de Léopold II, avec Tippo Tip comme gouverneur ! L'an 1887 a vu Joubert à Karema et Mpala, sur les rives est et ouest du lac Tanganyika, deux postes du fondateur de l'Association internationale africaine de Léopold, maintenant abandonnée aux Missionnaires d'Afrique pour en faire des postes de Mission. A Mpala, Joubert a fortifié la Mission et a formé une force d'élite pour sa défense. Il a aussi exercé le pouvoir civil dans la région, à tel point que Lavigerie voulait faire de Mpala la capitale d'un " Royaume chrétien ". Joubert n'avait pas l'ambition de devenir roi. Il a été surtout occupé à repousser les attaques des esclavagistes et à lutter contre eux dans de dures batailles sur terre et sur le lac.
En 1888, Joubert s'est marié avec Agnes Atakao, fille de Kalembe, originaire de Mpala. Avec elle, il a eu dix enfants, dont deux - John et Albert - sont devenus des prêtres catholiques.
De 1889 à 1890 il y eut des nouveaux combats avec deux esclavagistes, Mruturutu et Katele, alliés de Rumaliza. Après avoir fondé la nouvelle Mission " Saint Louis de Mrumbi ", Joubert est revenu pour organiser la défense de Mpala contre une attaque massive montée par Rajabu et Rumaliza à partir du lac.
L'an 1891 a vu la totalité de la rive ouest du lac Tanganyika entre les mains des esclavagistes, à l'exception de Mpala et de la plaine de Mrumbi. En 1892, Joubert s'est vu rejoindre par des officiers belges, Jacques, Vrithoff, Delcommune, Diederich et Cassart. Après une autre bataille féroce, la forteresse d'Albertville a été établie, mais a été de nouveau assiégée après seulement quelques mois par Rumaliza. Joubert et Jacques ont réagi fortement, mais ont été refoulés et battus.
Bien qu'il ne fut pas responsable de la situation, Joubert avait reçu une mauvaise presse en France pour ces exploits. En juillet 1892, le journal parisien Le Soir a critiqué les " aventures militaires du Cardinal Lavigerie ".
Joubert a demandé le soutient des comités anti-esclavagistes en Europe et finalement a été rejoint par Descamps qui est venu par le sud et le centre de l'Afrique avec davantage d'officiers belges, de l'artillerie, des fusils et des réserves de munitions. Comme résultat, ce fut la défaite finale des esclavagistes en 1893.
En 1896, Joubert a été décoré par l'Etat belge et plus tard par le Pape. Cependant, en 1898, un nouvel état d'urgence s'est présenté lors de la mutinerie massive de la Force congolaise publique. Deux mille rebelles armés, conduit par Mulamba, ont menacé la région, pour finalement se retirer au nord du Lac Kivu.
En 1910, Joubert a fondé le poste de Mission de Sainte-Marie de Moba, près de Baudouinville (Kirungu). Là il a survécu à un accident de construction, mais est devenu aveugle avant d'y mourir en mai 1927. Il est enterré au cimetière de la cathédrale de Baudouinville.
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En haut tombe du Capitaine Joubert
En dessous : en 1934 inauguration du monument Joubert.
Sur la photo de droite : Mgr Huys donne son discours, on voit sur la gauche Mgr Roellens avec étole
Traduction en français faite par Donald MacLeod M.Afr., à partir des écrits d'Aylward Shorter M.Afr.
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Ce second texte est tiré des "Souvenirs historiques" (numéro 12) du Père Jacques CASIER, PB.
Voir site LavigerieLe souvenir de cet homme, qui fut un auxiliaire de la première heure des Missionnaires Pères Blancs en Afrique Centrale, se perd. C'est devenu une figure lointaine des "Annales Missionnaires". Pourtant 1927 n'est pas encore si loin. A l'aide de quelques dates et de quelques rencontres évoquons sa figure.
Biographie :
Prénoms : Léopold-Louis, mais en famille et plus tard prévalut le prénom Ludovic.
Naissance : à Saint-Herblon (Loire-Inférieure) le 22 février 1842.
Formation : au collège d'Ancenis (1854-1858} et de Combrée {1858-1860).
Soldat du Pape :
à 18 ans, Tirailleur Pontifical ; par après membre du Corps Franco-Belge, finalement dénommé les Zouaves Pontificaux.
Bataille de Castelfidardo le 18 septembre 1860 - (Joubert est blessé, fait prisonnier et renvoyé en France).
Ré-engagement en juin 1861. Sergent en 1862.
Lieutenant le 30 décembre 1866. Capitaine le 14 décembre 1867
Chute de Rome le 20 septembre 1870 - retour en France.Guerre Franco-Allemande de 1870.
Joubert est capitaine dans le Corps des Volontaires de l'Ouest du Général de Charette.
Chute de Sedan le 2 septembre 1870.
Retour à La Sébilière à Mésanger comme paysan de 1870 a 1879.
Secrétaire du Général de Charette et précepteur de son fils en 1879.
1880 : Au service du Cardinal Lavigerie
Le 15 janvier 1880, départ de Marseille pour Alger au service du Cardinal Lavigerie ; celui-ci cherchait des anciens Zouaves Pontificaux pour assurer la protection de ses missionnaires, menacés par les esclavagistes dans la région des Grands Lacs.
Le 8 novembre 1880, départ d'Alger de la 3e caravane des missionnaires Pères Blancs. Joubert commande les six Zouaves qui accompagnent.
Premier séjour en Afrique :
3 déc. 1880 : débarquement à Bagamoyo, face à Zanzibar
7 fév. 1882 : arrivée à Ujiji sur le Lac Tanganyika
1882 : Mission de Mulwewa sur l'autre rive
10 juin 1883 : Lavigerieville (Kibanga) Congo
8 mai 1885 : retour en France pour soins des yeux
Deuxième départ en Afrique : 9 mai 1886Zanzibar juin 1886
arrivée à Mpala (Congo) sur le Lac Tanganyika le 20 mars 1887
mariage avec Agnes Atakaye 13 février 1888
naturalisation congolaise 1890
Saint Louis du Murumbi 1890 - 1910
(abandonné à cause de la maladie du sommeil)
Santa-Maria-Moba (Misembe) 1910 - 1927
Décès à Moba le 27 mai 1927.* * *
Plus de détails sur ...
Saint Louis du Murumbi 1890 - 1910
En mars 1890 Joubert résolut d'aller fonder un nouvel établissement à environ 30 km au sud de Mpala sur une colline dominant le lac Tanganyka. C'était à 10 minutes du lac au fond d'une plaine accidentée et très fertile à cause des terres d'alluvions. Il donna le nom Saint Louis à son poste qui prit lallure dune ville fortifiée du Moyen Âge, avec ses portes, ses murs crénelés et ses flanquements en briques. Joubert traça les rues de sa petite ville, la grand'place où devait s'élever l'église et à côté l'emplacement de la maison pour sa famille et toutes les dépendances nécessaires à un chef de guerre.
Ce poste devait protéger le Marungu et tout autour les villages se multiplièrent habités par des gens venant chercher aide et protection. Le plateau voisin, à 200 m. au-dessus du lac, se nomme Kirungu. C'est là que "Baudouinville" fut construite en 1893.
A cette époque, devant les attaques massives des esclavagistes, Joubert est rejoint par des officiers belges dont le Capitaine Jacques qui deviendra plus tard le Général Baron Jacques de Dixmude.
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Rencontre avec le Capitaine Jacques
Novembre 1891:
"J'ai donc vu le Capitaine et je lui ai donné l'accolade au nom de ses amis d'Europe. Cela a été un des meilleurs moments de mon existence et le Capitaine était heureux. Quel brave et saint homme. Il est vraiment bien digne de l'enthousiasme qu'il a soulevé chez nous. Il est d'une modestie rare avec cela. Jamais il ne parlait de lui et c'est très difficile de lui arracher quelques mots sur ses hauts faits d'armes. Au surplus il n'aime pas écrire, d'autant plus que sa vue devient faible...
Malgré un séjour prolongé sous les tropiques (onze ans alors) l'ancien zouave porte allégrement ses cinquante printemps. Ses durs labeurs l'ont un tantinet voûté et sa vue s'est un peu affaiblie...
J'ai été émerveillé et surpris de tout le travail que cet homme avait pu produire dans des conditions particulièrement défavorables où il s'est trouvé, continuellement inquiété par un ennemi toujours en éveil. Missionnaire en même temps que soldat, le Capitaine enseigne aux Noirs le catéchisme, leur apprend à travailler, les soigne quand ils sont malades ou éclopés. C'est une besogne dont on ne se fait pas d'idée et le brave homme la fait toute lui-même avec une patience et un dévouement vraiment angélique".
Les huit enfants du Capitaine.
* Pio, marié. Il reçut ce prénom en honneur du Pape Pie IX.
* Petro, marié. Il fut souvent le secrétaire du Capitaine.
* Joseph, marié.
* Athanase, devenu malade mental au grand séminaire.
* Albert, ordonné prêtre en 1935, tué par les rebelles à Fizi le 28 novembre 1960.
* Jean, ordonné prêtre en 1938 et mort a Kongolo en décembre 1953.
* Louiza.
* Elizabeth, mariée.
Jour du mariage de son fils Pio.
A gauche, jour de l'ordination d'Albert. A droite famille avec les 2 fils prêtres
Santa-Maria-Moba (Misembe) 1910 - 1927
La maladie de sommeil contamina la région de St. Louis de Murumbi en 1908. Hommes et femmes, enfants et vieillards mouraient en grand nombre. Les autorités belges décidèrent en 1910 de faire évacuer la plaine de Murumbi et de reconstruire les villages sur les hauteurs à l'ouest du Tanganyika.
Le Capitaine hésitait à abandonner son village : il était vieux et craignait le déplacement. Il finit par accepter de se transférer à Misembe, un plateau très sain à une demi-heure plus au sud de Baudouinville dans le voisinage de la Moba, une rivière impétueuse. Il nomma son nouveau boma : Santa-Maria-Moba ou Sainte Marie de Moba.
Au bout de neuf mois le grand village était bâti. Il y avait une église de 50 m de long, une école, un double orphelinat et un refuge pour vieilles femmes. Tout était entouré de champs et de cultures.
Rencontre avec le Père Rutten, Supérieur Général des Pères de Scheut.
(Extrait de L Avant Garde", août-décembre 1925, Paris)
24 novembre 1922.
"Nous voici sur la place centrale du village ; nous sommes devant la demeure du Capitaine. Par une petite porte aménagée dans un mur de pisé, nous pénétrons dans une cour où se trouvent plusieurs bâtiments. Le plus grand, très simple, sans étage et sans aucun ornement, mais construit en briques est celui où nous entrons. Nous sommes dans une chambre aux murs blanchis à la chaux. Un crucifix et une image du Sacré Coeur de Jésus en sont le seul ornement. Une longue table couverte d'une nappe de toile blanche et quelques chaises rustiques composent tout le mobilier.Voici Agnes, la femme du Capitaine. Assez grande, droite et svelte, drapée à la mode indigène dans un long pagne blanc. Elle nous salue de fort bonne grâce et nous fait asseoir. Ses traits sont fins et réguliers, son air intelligent et plein de dignité. Je suis surpris de son air de jeunesse ; elle a pourtant élevé huit enfants dont laîné approche la trentaine.
J'entends marcher dans la chambre voisine ; bientôt le Capitaine appuyé sur une de ses filles entre par la porte de gauche. Il se déclare heureux de la visite du fils aîné d'un ancien camarade. Pendant quil parlait j'aidai le Capitaine à s'asseoir. Puis je m'assis en face de lui et nous continuâmes la conversation.
Le Capitaine parla du court voyage quil fit en Belgique pour saluer une dernière fois ses compagnons. Ses souvenirs sont d'une précision qui m'étonne. Je fus ému dentendre le Capitaine évoquer ces souvenirs de ma petite enfance et de constater que notre famille était restée présente à son esprit durant ces 42 ans passées en Afrique. Oui, ajouta-t-il, je me rappelle très bien vous avoir vu alors, vous et votre frère. Qui aurait pu prédire que je vous aurais revu un jour au Tanganyika ? Votre frère, le Gouverneur, est déjà venu me rendre visite et vous, qui étiez parti pour la Chine, vous finissez par venir à votre tour !... Nous étions plus de 10.000 zouaves, mais nous ne sommes plus qu'un tout petit nombre. La plupart sont au ciel et mon tour à moi viendra bientôt. Il disait cela avec calme et sérénité.
Léglise est à quelques cent mètres de la maison du Capitaine. Elle est très simple, mais propre et spacieuse. En sortant on nous montre un prie-dieu : c'est la place du Capitaine. Tous les jours, soutenu par un des membres de sa famille, le vieux soldat vient ici adorer son Maître et s'entretenir longuement avec lui. J'admire l'unité de cette longue vie. Une seule idée animait ladolescent et anime aujourd'hui le vieillard : le service de Dieu. Devenu le gardien de ce petit village privé de prêtres, l'ancien défenseur du Pape et des missionnaires est toujours dans son rôle. Il garde le troupeau du Christ au sein des populations les plus misérables de la terre et il monte la garde devant l'Eucharistie.
« Voudriez-vous prier Dieu de me bénir, ainsi que toute ma famille ? » Il s'était mis genoux déjà et tous les membres de sa famille étaient agenouillés autour de lui. Je prononçai la formule latine et fis sur eux le signe de la croix. Puis nous montâmes en vélo et je méloignai en refoulant mes larmes. Le soleil se couchait quand nous rentrâmes à Baudouinville .
Les dernières années de sa vie 1925 - 1927
La vieillesse avec tous les maux qui l'accompagnent s'appesantit sur le Capitaine dont la santé, jusque là, avait été fort bonne. Avec les années sa vue baissa de plus en plus. Il avait contracté une ophtalmie, causée par la bave d'un serpent cracheur, au cours de son premier séjour en Afrique.
En 1925 ce fut la cécité presque complète. Il lui fallait l'aide de l'un ou de l'autre pour se déplacer.
À 85 ans, on le voyait encore tous les jours se rendre plusieurs fois à la chapelle de Santa Maria, guidé par l'un de ses enfants, coiffé de son grand chapeau de paille, une main au front, pour abriter ses yeux d'aveugle contre la lumière trop intense.Le 26 mai 1927, jour de l'Ascension,
JOUBERT reçut la communion à la maison parce quil ne sentait pas assez solide pour aller à léglise. Il se sentait encore plus mal le 27 mai au soir, mais il voulut présider la prière du soir de la famille comme de coutume. Après avoir souhaité le bonsoir à tous, il alla se coucher. A peine une demi-heure plus tard, il appela sa femme Agnes et il expira calmement dans ses bras vers 20 h. Un Père qui fut appelé à la hâte avait pu donner l'extrême onction au mourant
. Les funérailles.
Les funérailles, présidées par Mgr. Huys, eurent lieu le lendemain dans l'après midi. Un cortège d'acolytes, de séminaristes et de prêtres alla chercher le corps à une demi-heure de distance pour l'amener à Baudouinville. Un peloton d'honneur de soldats accompagna le cercueil et un garçon porta les décorations du défunt.
La grande église de Baudouinville ne pouvait contenir la foule qui s'était rassemblée et tous les Européens de la région avaient tenu à être présents. Le cortège funèbre arriva au chant des psaumes. Sur le chemin, pendant une heure et demi, aux relais, les hommes avaient réclamé lhonneur de pouvoir porter le cercueil.
JOUBERT fut enterré dans un caveau au cimetière de la mission.
Voilà quelques souvenirs d'un vaillant soldat, d'un courageux adversaire des esclavagistes, dun fidèle auxiliaire des missionnaires, d'un bienfaiteur et père de la population locale et d'un dévoué laïc.
De son vivant et déjà, quand il était à l'armée pontificale, on parlait de saint JOUBERT.