Voix d'Afrique N°107.

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CONSTRUIRE DES PONTS D’AMITIÉ
DANS UN BIDONVILLE


Sœur Birgitta Gremm – SMNDA allemande – est actuellement en mission au Kenya. Depuis un an, elle travaille à Mukuru, dans un des plus grands bidonvilles de Nairobi, la capitale. Suivons-la dans ses rencontres au quotidien.

 

Sr Birgitta à Mukuru

Plus de la moitié de la population de Nairobi, soit quelque deux millions de personnes, vit dans des bidonvilles, quartiers et secteurs non délimités. Des familles comptant jusqu’à six ou sept enfants, vivent entassées dans des cabanes de fortune recouvertes de tôles. Beaucoup n’ont pas accès à l’eau, ni aux services publics essentiels : hôpitaux, écoles… Leurs chances d’éducation restent faibles et leur avenir bien sombre.

Les catholiques de Mukuru sont rattachés à la paroisse Notre-Dame Reine de la Paix, confiée aux Missionnaires d’Afrique. Ces derniers, nos frères en religion, m’ont accueillie chaleureusement dans leur équipe pastorale, et de leur côté, les gens m’ont acceptée aussitôt. Depuis que je travaille dans ce milieu où misère et pauvreté se côtoient, une de mes grandes préoccupations est d’ ETRE AVEC, pour répondre à un besoin fondamental de cette population : avoir une présence à ses côtés, quelqu’un qui puisse comprendre ses soucis et lui offrir une écoute attentive. Les paroles du pape François sont devenues un moteur dans ma vie quotidienne : « L’Eglise doit être attractive. Réveillez le monde ! Soyez témoins d’une façon différente de faire, d’agir, de vivre ! Il est possible de vivre autrement en ce monde. »

Parmi les nombreuses expériences que j’ai vécues, j’aimerais en partager deux, qui illustrent plusieurs façons de cheminer dans la vie.
* Claire est une jeune femme de 35 ans, atteinte d’un cancer. À la suite de cette maladie, elle a dû être amputée des deux jambes, et qui plus est, après cette opération, son mari l’a abandonnée. De plus, Claire est porteuse du VIH… Après sept mois d’hospitalisation, elle retourne dans un des quartiers de Mukuru. Sa « maison » est un petit magasin sans fenêtre. Pendant quatre mois, elle reste là, faute de pouvoir se déplacer seule. Trouver de l’aide est très difficile et Claire n’est pas une personne qui en demande facilement. En outre, durant quatre semaines, elle fut privée d’électricité, car un transformateur était tombé en panne. Prisonnière et isolée, sa situation était vraiment désespérée.


Claire dans son magasin

Alors, peu avant Noël, je décide de solliciter quelques paroissiens, et je les invite à se mobiliser pour trouver une autre maison à Claire. Je suis convaincue qu’il est important de sensibiliser les gens plus favorisés que les autres, et de leur faire prendre conscience des besoins de leurs frères, qui ont peu ou pas de moyens. C’est possible ! Il faut avoir le courage de faire le premier pas, d’aller vers les autres, et très souvent, une fois au courant d'une situation qu'ils ignoraient, leur réponse est alors positive… Ainsi, avec la contribution de nombreux paroissiens, Claire a retrouvé l’espoir de se remettre un jour debout, grâce à des prothèses de jambes, et de pouvoir de ce fait, revenir à une vie normale.

* Chaque vendredi, je vais visiter les malades dans les bidonvilles, accompagnée d’un Missionnaire d’Afrique et d’un laïc de la paroisse. Les malades sont heureux de nous voir et nous remercient d'être venus, car ils sentent ainsi qu’ils ne sont pas seuls. Souvent ils nous disent : "Nous ne pouvons pas aller à l'église, mais l'Église vient chez nous !"

Un vendredi, après l’eucharistie du matin, je me suis approchée d’un jeune couple afin de lui demander une participation pour le groupe de justice et paix de l’université de Tangaza à Nairobi. Cela nous a amenés dans une longue conversation. Paul, le jeune homme professeur d’université, s’est informé lui-même sur mon travail dans la paroisse. Parmi mes activités, j’ai mentionné les visites au bidonville de Mukuru. Il voulait en savoir plus et tandis que nous parlions encore, il a dit spontanément qu’il allait m’accompagner ce même jour. Il n’y était jamais allé, mais à partir de cette rencontre, il est venu tous les vendredis avec notre équipe. Puis, il a amené d’autres personnes, des étudiants de l’université et d’autres jeunes gens qui, comme lui pour la plupart, n’avaient encore jamais mis les pieds dans le bidonville. Le nombre croissant de visiteurs a eu un impact important sur nos visites : elles sont devenues plus animées et pendant la célébration de la communion, là où nous nous rendions, résonnaient les belles voix de la chorale des jeunes.

Ces expériences sont inoubliables. Je sens fortement qu'il nous faut sortir, nous mêler aux riches comme aux pauvres, conscientiser et rassembler les gens. Je vous l'assure : "ça marche" ! Je me suis rendu compte que derrière l’indifférence de beaucoup, il y avait la peur de l’inconnu. Nombreux étaient ceux qui disaient : « Nous ne sommes encore jamais allés dans les bidonvilles, cela nous fait tellement peur ! » Pourtant ce bidonville est à 5 minutes à pied de notre maison ! N’est-ce pas surprenant d’être tout proches des autres et de ne pas oser aller à leur rencontre ?…


Conscients de cette difficulté, nous essayons, dans notre paroisse, de construire des ponts entre les riches et les pauvres. Dans cette mission vécue au quotidien, j’ai beaucoup appris des Missionnaires d’Afrique. Par ailleurs, j’ai mesuré que la présence des Sœurs dans les bidonvilles est très importante, surtout pour les femmes. Lorsque je visite les communautés ecclésiales de base le dimanche après-midi, je rencontre notamment des jeunes filles, qui voudraient être religieuses comme moi, comme nous. Un samedi, nous les avons invitées chez nous, et nous avons vécu ensemble un bon moment de partage. Nous leur avons donné un petit livret présentant les grandes lignes de notre congrégation, et nous avons promis de garder le contact avec elles.

Pour conclure, j'insisterai sur la nécessité d’aller vers les périphéries, vers ceux qui sont abandonnés par la société. Il faut les aider à découvrir leurs propres potentialités pour changer leur vie, et notre rôle est d’être avec eux, pour leur montrer notre amour et notre intérêt. Alors nous serons prêtes à nous laisser pénétrer de l’odeur des brebis comme disait le Pape François : « Je vous demande d'être des pasteurs qui portent l'odeur des brebis. On ne peut pas les sentir si on les regarde seulement de loin ! »

Tournons-nous vers Jésus et découvrons-le dans le visage de celles et ceux que nous rencontrons. Nous sommes femmes apôtres, disciples de Jésus. Et par Lui, une vie nouvelle peut toujours surgir. En Lui, nous avons le meilleur des compagnons, car avec Lui tout est possible !

Sœur Birgitta Gremm


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