Voix d'Afrique N°67

LA MISSION :




Une Société internationale : c'était la volonté de Lavigerie.
Thomas Bahmer est bavarois ; avant son ordination, il s'est arrêté à Paris.
Il nous parle de sa vocation et de son cheminement.

Le Lac Victoria, sur l'équateur

Les eaux du lac Victoria se confondent avec le ciel, bleu pâle, légèrement brumeux. Le soleil brille à peine, comme s'il voulait atténuer ses rayons à travers un voile diaphane, mais la chaleur est presque accablante. Les coteaux de Kahangala descendent doucement vers la plage où quelques barques se balancent doucement au rythme des vagues ; des canots, creusés dans un tronc d'arbre, sillonnent légèrement l'étendue d'un gris métallique. Au loin, quelques cris, quelques aboiements, quelques coassements, des charognards se mêlent à la pétarade d'une camionnette sur la route. Des cigales et des criquets meublent le silence de cris lancinants impossibles à localiser.

Près du village de Kahangala, quelques constructions imposantes s'étendent à flanc de colline, autour de quelques arbres, leur frondaison horizontale pour mieux capter le soleil. A l'ombre des vérandas, quelques jeunes lisent ou discutent, assis à même le sol. Ils sont une douzaine, venus d'Ouganda, de Tanzanie, de Zambie, d'Ethiopie ou du Burkina Faso ; ils ont des allures d'étudiants, mais ils ne sont pas ici pour préparer un examen : c'est l'année spirituelle. Dans le groupe, un seul européen : Thomas, un allemand, a eu un long cheminement avant d'arriver ici.

Responsable commercial

C. & A. vous connaissez ? Dans beaucoup de villes de France, le logo est connu. C'est une chaîne de grands magasins d'habillement. Elle a été fondée, le saviez-vous, par deux frères allemands Clemens et Auguste, fervents catholiques, commerçants honnêtes et industrieux. Après des études commerciales, il est embauché dans le service de gestion et franchit tous les échelons jusqu'à être responsable des achats de cette compagnie internationale, à Düsseldorf. Il pense avoir trouvé sa place, tranquille et confortable. Il a tout pour être heureux… et pourtant il ne l'est pas ! Il s'est engagé dans une brillante carrière commerciale, mais au fond de lui-même, il désire autre chose, comme un sens pour sa vie.

"Que veut-Il de moi ? "

Né en 1961 dans une famille bavaroise chrétienne, il poursuit des études sans histoire ; ses parents sont fiers de la carrière qu'il commence. Il a appris la prière et répète souvent, tout seul ou en communauté : "Notre Père… que ta volonté soit faite…" Petit à petit, comme une lente semence, cette parole s'enracine et grandit en lui, jusqu'à devenir une question vitale : "Quelle est la volonté de Dieu sur moi ?"

Thomas est un calme. Il ne s'affole jamais ; il aime prendre son temps pour réfléchir avant de prendre une décision. Il rencontre les Jésuites et chemine avec eux dans la pédagogie des Exercices de St. Ignace. Il apprend à chercher, prier, discerner quel est le plan de Dieu pour lui. Quand on lui propose : "Il faut savoir ce que tu veux"…, il corrige : "Il faut savoir ce que Dieu veut pour moi." Doit-il entrer chez les Jésuites ? Il a trouvé chez eux un accompagnement qui l'aide à y voir clair. Mais il préfère la vie de communauté. Il partage l'enthousiasme de Lavigerie pour l'aventure missionnaire. Après deux ans de philosophie à Trèves, il "passe la mer". Kahangala, sur les bords du lac Victoria, est le "noviciat" des Missionnaires d'Afrique ; c'est le lieu idéal pour consacrer tout son temps à répondre à la question : "Que veut-Il de moi ?". Il réfléchit, prie, discute avec son accompagnateur pendant des heures, partage avec ses compagnons sur son histoire et son projet. Il visite les pauvres et les malades, apprend à s'exprimer dans la langue locale, sans autre but que "d'être-avec" ceux qui sont le plus démunis. Il découvre que Lavigerie a lancé l'aventure missionnaire, il y a un siècle et demi, non par goût de l'aventure, mais par la conviction que c'était là la volonté de Dieu, et donc que Dieu lui-même, le Père de Jésus Christ, est partie prenante de l'aventure où il est appelé à s'engager. "Sans moi vous ne pouvez rien faire" et aussi : "Allez ! de toutes les nations faites des disciples, enseignez, baptisez…" ; car en définitive : "Je suis avec vous !"

Au pays de Jésus.

Il ne s'y attendait pas ! c'est à Jérusalem qu'il est envoyé pour sa première expérience missionnaire, le stage. Il est un peu dérouté au début. Mais il n'a pas le choix : il faut plonger dans le bain. Encouragé par les anciens, il trouve vite son engagement : les pauvres, Israéliens ou Palestiniens, à Jérusalem ou à Gaza. Il commence à apprendre l'arabe pour pouvoir communiquer. Il n'a pas à prendre parti dans le conflit qui agite le pays ; sa seule préférence est celle des pau-vres, ceux-là même qui ont été les premiers auditeurs du Sermon sur la montagne : "Heureux les pauvres, les doux, les artisans de paix…"

Il rencontre l'Islam, non plus dans des livres, mais par des amis qui partagent volontiers sur le sens de la vie, sur le Dieu du Livre, la loi de l'amour. à Jérusalem, il ne peut pas éviter non plus les différentes confessions chrétiennes : elles sont au moins quatorze. De Jérusalem au lac de Tibériade, les chrétiens suivent les traces de Jésus, écoutent comme en écho les paraboles, contemplent en passant les "fleurs des champs" et les semences qui poussent. Thomas aime aller au Mont des Oliviers, ou passer des heures de silence au Saint Sépulcre, là où le corps du Christ a été déposé après la Croix, là d'où il a surgi au matin de Pâques. Pour les Juifs comme pour les musulmans et les chrétiens, c'est vraiment une Terre Sainte.

Encore la rencontre

Deux ans pour une première rencontre, dans la lumière du Christ, avec les enfants l'Abraham, Palestiniens chrétiens ou musulmans, Juifs fervents ou peu pratiquants, chrétiens orientaux, riches d'une longue tradition, et aussi les pèlerins venus du monde entier (c'est l'année sainte 2000), deux ans de prière et d'action : l'essai est concluant.


Nairobi Thomas 3ème en partant de la gauche au fond(Clic)

Thomas décide de poursuivre ses études de théologie, en vue de devenir prêtre. Il est envoyé à Nairobi, au Kenya. Les étudiants viennent de toute l'Afrique. Thomas étudie, réfléchit et partage. Mais les pauvres l'accompagnent. Une paroisse populaire jouxte le foyer des étudiants missionnaires. Il se souvient encore du kiswahili qu'il a pratiqué pendant son année spirituelle à Kahangala. Il visite régulièrement les malades dans un hôpital. Il accompagne un groupe de catéchumènes jusqu'à la célébration de l'initiation chrétienne, baptême, confirmation et eucharistie. Il participe aux réunions hebdomadaires d'une communauté chrétienne de quartier pour prier, échanger sur la vie du bidonville, mettre au point quelques projets.

Bilan

Faut-il faire un bilan ? Thomas n'hésite pas : "J'ignore ce que j'ai pu leur apporter ; mais je suis sûr d'une chose, c'est que eux, ils m'ont beaucoup donné !" Il ne doute plus : c'est là que le conduit la volonté de Dieu.


Voir

Thomas est venu à Paris pour mettre améliorer son français. C'est là que je l'ai rencontré pour cet entretien. Il a été ordonné prêtre en avril. Il a déjà sa nomination : il fallait s'y attendre, il repart pour Jérusalem. Selon le désir de Lavigerie, c'est là le cœur de la mission, sur les traces du Christ à la rencontre des pauvres.

Gérard Guirauden

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