Voix d'Afrique N°93.

Mali
Aumônier des Migrants

Un confrère ne cesse jamais de me rappeler « qu’il ne faut pas faire, c’est de l’activisme, qu’il ne faut pas avoir des choses, c’est du matérialisme, et que l’ac-tivisme et le matérialisme ne sont pas bons pour la mission : cela donne un sentiment de pouvoir et en-courage la recherche de résultats. Pour être un bon missionnaire, il faut être avec les gens ! Juste être présent. »

Anselm MahweraSouvent, avant de sortir rencontrer des migrants, je pense aux paroles de mon confrère, et je me dis qu’il a raison, que je ne dois pas chercher à faire ni à donner, mais à être présent auprès d’eux. Cet apostolat n’est pas seulement dans la ligne de Justice et Paix ou geste de charité comme on le dit souvent, mais aussi dans la ligne de la présence !

Être là, présent

L’important c’est d’abord “d’être avec”Être là, c’est comme un puits au bord de la route pour que les gens qui passent puissent y puiser un peu de Parole de Dieu, trouver un objet de prières et de dévotions populaires, un peu de solidarité et d’amour fraternel.
Être là, c’est être prêt à prêter sa voix à ceux qui sont sans voix, prêt à partager son temps, à partager son savoir-faire, son expérience et ses connaissances. Être là, c’est partager la joie, les peines et les rêves des gens qui passent, c’est vivre avec eux, faire de leur problème notre problème, de leur joie notre joie, bref c’est être simplement là avec eux !

Quand on vit dans un pays dont les gens, à cause de situations climatiques, politiques et économiques, sont obligés de quitter pour aller s’installer ailleurs, en laissant leurs familles derrière eux... Quand on vit dans un pays où les universités et autres grands instituts d’éducation sont centralisés à la capitale où tout le monde est obligé d’aller, alors qu’en même temps les structures d’accueil ne suivent pas le mouvement...

Quand on vit dans un pays où il y a une grande différence de niveau de vie entre les villes et les villages et où les gens se sentent obligés d’aller en ville pour mieux vivre...

Quand on vit dans un pays que des gens traversent pour aller ailleurs et qu’il arrive que ces gens soient victimes de maltraitance et de corruption... Quand on vit dans un pays où des gens viennent s’installer pour gagner leur vie... Et surtout quand on vit dans un pays, et en particulier une paroisse, où les gens sont refoulés, la présence auprès des gens qui “passent”, les migrants, nous est imposée : nous ne pouvons pas ne pas être présents auprès d’eux.

Je crois sincèrement que l’aumônerie des migrants est une nécessité au Mali. Un missionnaire qui décide de travailler pour et avec les migrants ne fait que répondre à une manière de vivre sa vocation missionnaire, surtout en faisant sienne les paroles de notre fondateur : “Je suis homme, l’injustice envers d’autres hommes révolte mon cœur.” Nous ne pouvons pas non plus oublier cette parole de Jésus : “J’étais un étranger et vous m’avez accueilli.” Un missionnaire doit pouvoir lire les signes des temps, et je suis certain que, vu le mouvement migratoire des gens en Afrique avec toutes les conséquences qui en découlent, être présent auprès des migrants c’est répondre à un des signes de notre temps !

Les catégories de migration au Mali sont diverses. Un missionnaire qui veut être présent auprès des migrants doit les accompagner, qu’ils soient de migration externe ou interne. Accompagnement des Maliens qui sont loin de leur région d’origine, (dans les grandes villes comme Bamako), comme les étudiants, les filles de ménage (petites bonnes) ou les travailleurs saisonniers. Il faut savoir accompagner les étrangers dans nos pays et les ressortissants de nos pays qui se trouvent à l’étranger.

Pour le moment, la communauté anglophone, surtout des Nigerians et des Ghanéens, est accompagnée par une équipe de prêtres à Bamako. Il y a la migration Sud-Nord, mais aussi Nord- Sud. On voit que souvent rien n’est proposé aux Européens qui se trouvent dans notre pays.

Des migrants potentiels

Beaucoup de gens, surtout des jeunes, sont des migrants potentiels. L’Église peut les accompagner en leur donnant des informations, en les préparant à faire face à ce qui les attend, pour leur éviter le choc culturel et des abus comme l’escroquerie.

Et il y a ceux qui ont échoué. Beaucoup ne réussissent pas à atteindre le but de leur migration. Ils se trouvent refoulés ou dans la rue parce qu’ils n’ont pas pu s’intégrer ou trouver du travail dans leur voyage.
Être présent ou accompagner des migrants, c’est d’abord être à leur écoute, accueillant et à la recherche d’une solution s’il y a un problème ou un besoin. Être présent, c’est aussi donner une adresse, devenir une famille d’accueil pour ces gens-là, simplement être là pour le pire et pour le meilleur ; être là, tout comme on le ferait pour un membre de notre propre famille.

“Être présent pour le meilleur et le pire...”A Gao, nous prêtons une attention spéciale aux immigrés de passage, surtout aux refoulés des pays maghrébins, car, comme dans toute famille, on prête une attention spéciale aux membres souffrants.
J’avoue que cet apostolat de présence auprès des migrants m’a beaucoup apporté et m’a évangélisé. Spirituellement, je suis toujours frappé par la confiance que ces migrants ont en Dieu, surtout en la providence de Dieu. La dévotion populaire qui les habite me surprend toujours : combien de chapelets et de bibles j’ai dû donner, même à des non-chrétiens ! Étonné par leur désir d’approfondir leur foi, à combien de questions sur la foi j’ai eu à répondre ! Parfois je dois aller fouiller dans mes cantines pour retrouver mes livres de théologie.

Humainement, je suis impressionné par la solidarité entre eux (on partage tout quand on n’a rien), et par la solidarité de tous ces gens et associations qui m’ont soutenu financièrement, moralement et spirituellement pour que je puisse être présent d’une manière efficace ; je suis frappé par leur courage et leur détermination à aller jusqu’au bout de leur “mission”.

À travers mes rencontres avec les migrants, j’ai appris comment mieux écouter les autres et surtout comment ne pas proposer mes solutions, surtout quand je ne les connais pas assez. Je peux dire que je suis devenu plus sensible aux injustices, à la corruption et surtout à la pauvreté, qui sont à l’origine de la souffrance de beaucoup de ces migrants. J’ai appris comment “plaidoyer”, négocier, comment défendre les droits des migrants.

Au moment d’évaluer mon action, un sentiment d’humilité m’envahit. Je vois que, malgré tout le temps, tous les moyens financiers utilisés, on ne peut pas montrer un résultat du travail accompli. Les migrants ont continué leur voyage et ma vie missionnaire continue ; et je pense que mon confrère a raison : dans cet apostolat auprès des gens qui passent, il vaut mieux compter sur ma présence et non sur ce que j’ai ou sur ce que j’ai fait. Il faut juste chercher à être là et à faire siennes les paroles de Jésus : “Je suis un serviteur inutile, je n’ai fait que ce qu’il fallait faire.”

La meilleure manière de faire ce qu’il faut faire, c’est d’être toujours prêt à répondre à un autre signe des temps, car la mission est la même, mais elle change de visage suivant le temps et le lieu.

Anselm Mahwera
M.Afr

Autre Page du même auteur
ou encore


.............. Suite