Jacques aime citer
cette réflexion que lui avait faite un noir sud-africain
: “Si vous, les blancs, commencez à nous aimer, nous, les
noirs, nous vous surpasserons dans cet amour.”

Voici, pour témoignage,
quelques exemples concrets de la participation de notre confrère,
Jacques Amyot d’Inville, à des efforts de réconciliation
et de lutte en faveur de plus de justice en Afrique dans les années
écoulées. Jacques est en ce moment le Directeur de
la maison de retraite de Billère.
La
première scène se passe en Afrique du Sud en 1997
Madame D.M., femme zélée mais parfois imprudente,
vient à moi en tremblant. Elle me dit avoir appris que les
gens de son village veulent la tuer. Elle a, en effet, manqué
de discrétion ; elle n’a pas caché que c’est elle
qui a conseillé à trois femmes de venir me rencontrer
en tant que rapporteur officiel de la « Commission Vérité
et Réconciliation » pour notre région,
c’est-à-dire pour l’ancien bantoustan situé près
du Swaziland et du Mozambique. Je l’exhorte à être
désormais beaucoup plus prudente et je lui dis que j’ai dû
moi-même prêter un serment de confidentialité
à cause des dangers qui se présentent encore en Afrique
du Sud malgré la fin de l’apartheid en 1994 ; dans ce cas
précis, certains assassins des maris des trois femmes sont
en effet encore bien présents dans son village.
Cette « Commission
Vérité et Réconciliation » avait
été chargée de recenser toutes les violations
des droits de l’homme pendant le temps de l’apartheid depuis 1960
jusqu’en 1993 ; son but était d’aider à connaître
le plus possible de la vérité des crimes et exactions
politiques commis par les partisans de tous bords, de soulager certaines
souffrances encore très fortes et ainsi de contribuer peu
à peu à la réconciliation dans le pays.
Quoique cette Commission
ne soit pas parfaite en tous points, elle a permis à de nombreuses
victimes de connaître la vérité sur les exactions
commises sur elles-mêmes ou sur les leurs décédés
et, dans de nombreux cas, elle a permis aussi de pardonner ; elle
a également permis à des criminels d’obtenir une amnistie
et, dans certains cas, de chercher à réparer leurs
torts. Ce n’est pas un hasard si de nombreux pays ont voulu l’utiliser
comme modèle.
Je m’étais porté
volontaire pour participer au travail de la Commission. J’avais
été accepté après un entraînement,
un examen et un serment de confidentialité. J’ai entendu
à cette occasion le récit de bien des souffrances
causées par divers groupes liés aux combats politiques
d’alors : par exemple, la mise en cage régulière,
par le gouvernement de l’apartheid, d’un homme avec un singe entraîné
à se battre ; de même, les trois assassinats mentionnés
plus haut par des jeunes opposés à l’apartheid.
Le monde entier sait
que le “miracle de la naissance de la nation arc-en-ciel” a
bien eu lieu en 1994 et que la création de la Commission
Vérité et Réconciliation a été
une de ses très bonnes initiatives. A juste titre, l’Afrique
du Sud a été citée en exemple à suivre
dans la résolution d’autres situations difficiles à
travers le monde.
Je crois que pour compléter le miracle, il faut maintenant
que les noirs et les blancs puissent participer encore davantage
ensemble à la vie politique et donc éviter qu’il n’y
ait plus qu’ un seul parti trop dominant à majorité
noire.
La
deuxième scène se passe au Zimbabwe le jeudi saint
2007.
Les évêques catholiques du pays publient une lettre
pastorale d’une grande beauté, car elle fait preuve d’un
courage et d’une espérance sans faille dans les conditions
douloureuses que traverse leur pays. Ils condamnent en termes clairs
le régime du président du pays, Robert Mugabe.
En 2002, cinq d’entre
nous avions représenté incognito l’Église Catholique
d’Afrique du Sud lors des élections présidentielles
du Zimbabwe. J’étais le seul prêtre du groupe et le
seul à la peau blanche. Nous avions tous constaté
une intimidation et une peur extrêmes et nous les avions signalées
dans notre rapport aux évêques du Zimbabwe.
Voici, parmi bien d’autres
événements, certains de ceux dont j’avais été
le témoin :
- Une femme vient me dire qu’elle a peur de confier à ses
propres enfants qu’une maison appartenant à une personne
de l’opposition vient d’être brûlée ; elle craint
d’être dénoncée par eux.
- Trois hommes sont battus et l’un d’eux poignardé par une
trentaine de jeunes ; les policiers auxquels ils s’adressent ne
font rien pour les protéger ; je constate que les jeunes
les attendent à nouveau en embuscade à la sortie.
- Un jeune prêtre me dit : « Je sens la peur, je
vois la peur, j’entends… la peur. »
- Un jeune homme est arrêté, battu et forcé
de signer qu’il appartient au parti d’opposition ; il mentionne
le nom d’un ami ; celui-ci doit alors se cacher et nous ne réussissons
pas à nous rencontrer avec lui comme prévu initialement.
- Le journal indépendant est introuvable là où
je suis envoyé.
- Le chauffeur de taxi qui nous prend est forcé d’avoir une
affiche du parti du président.
- Ceux qui m’accompagnent ont une peur constante pour ma sécurité
; ils auraient aimé que je reste à Harare ; ils me
recommandent de m’éloigner de tout groupe, de ne saluer aucun
inconnu, de ne rien écrire ouvertement, etc.
C’est avec stupéfaction
et une grande tristesse que nous avions entendu alors les chefs
d’État africains reconnaître l’élection du président
Mugabe comme juste et libre.
Le 24 juin 2008,
la conférence des évêques catholiques d’Afrique
Australe a, de son côté, demandé aux États
membres de l’Union Africaine de ne pas reconnaître Robert
Mugabe et son parti comme le gouvernement légitime.
Comme ils n’ont pas
été écoutés par la plupart des chefs
d’État, Mugabe est toujours en place comme président
et donc « le loup est toujours dans la bergerie ».
À l’heure où j’écris ces lignes, les souffrances
du peuple de Zimbabwe sont extrêmes et je condamne l’attitude
de ces chefs d’État comme une cruauté criminelle.
Les efforts de tous
les citoyens du Zimbabwe qui continuent, eux, à s’entraider
et à lutter pour la justice et la paix -et ils sont légion-
sont tout simplement admirables.
La
troisième scène se passe au Kivu en RDC
le dimanche 16 septembre 2007.
Une messe est célébrée au grand air à
Bukavu car il y a une très grande assemblée : soleil
radieux, habits et uniformes multicolores, chants et utilisation
de tambours, jusqu’à 4 danses simultanées à
certains moments, présence de trois évêques.
Pendant son homélie, le cardinal Napier, venu d’Afrique du
Sud, se réjouit avec les Congolais de la nouvelle Constitution,
signe d’un progrès politique ; il souligne l’importance égale
du progrès économique et de l’utilisation de l’argent
public comme argent public : par exemple, il est maintenant impératif
et urgent que les soldats, ainsi que les autres fonctionnaires,
soient payés avec cet argent public.
Le cardinal est là
: en effet, nous sommes venus à quatre de l’Afrique du Sud,
deux évêques et deux prêtres, au nom d’un Institut
de Paix fondé par la conférence épiscopale
d’Afrique Australe. Cet Institut a vu le jour afin de favoriser
les rencontres entre l’Église d’Afrique du Sud et les autres
Églises d’Afrique dans le domaine “Justice et Paix”.
Nous rencontrons à cette occasion un grand nombre de Congolais
courageux décidés à faire progresser leur pays
; nous rencontrons également certaines des victimes du drame
qui a fait des millions de morts dans les dernières années.
À la suite de
notre rencontre et des événements antérieurs
et postérieurs, quatre des priorités urgentes qui
me paraissent évidentes sont les suivantes :
- Que le gouvernement congolais soit assez fort et désireux
de servir pour faire face à ses principaux défis et
qu’il paie ses soldats.
- Que l’importante force de l’ONU présente au Congo protège
effectivement les populations
civiles sans défense.
- Que les pays et organismes étrangers qui cherchent à
profiter des richesses du Congo soient ouvertement identifiés
et dénoncés.
- Que les violences de toutes sortes soient condamnées et
punies effectivement.
Il est important que
les Congolais si courageux sachent que bien des personnes du monde
extérieur se sentent, elles aussi, concernées par
leurs difficultés et cherchent à les aider à
les résoudre.
Je rends grâce
au Seigneur pour les multitudes d’Africains et d’Africaines qui
vivent présentement de manière admirable en cherchant
au maximum à vivre d’amour quoi qu’il arrive. Ils existent
véritablement et cela mérite d’être souligné
à temps et à contretemps.
Jacques
Amyot d’Inville

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Jacques
Amyot d’Inville a donné une conférence sur les défis
actuels de l’Afrique du Sud durant les Journées d’Amitié
des AAPB de Paris. La salle était comble et a applaudi l’engagement
de notre confrère.
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