Voix d'Afrique N°59

L'AVENTURE MISSIONNAIRE...

En Afrique du Sud

En Afrique du Sud, l'aventure missionnaire est assez récente ; les Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs) y ont été appelés dans les années 80.

Jacques Amyot d'Inville, après plus de vingt ans en Zambie, fait partie du groupe de pionniers dans un pays marqué par l'apartheid.


MAROC , BRETAGNE , CANADA , ZAMBIE

Il vient d'une famille de militaires. Son père était officier dans la Légion étrangère, au Maroc ; il fut tué au combat en 1943. Ils étaient cinq frères et sœurs aux soins de leur mère, en Afrique du Nord jusqu'à la fin de la 2ème guerre mondiale. En 1945 toute la famille rentre en Bretagne. Jacques pense d'abord à reprendre le flambeau de son père : à la fin de ses études secondaires, il entre au Prytanée militaire de La Flèche. Mais son idéal est ailleurs : au service du Seigneur, en Afrique. Il commence ses études au séminaire d'Issy les Moulineaux. Il renoue contact avec l'Afrique pendant son service militaire, où il côtoie des élèves officiers qui prendront une place importante dans la vie politique du Mali et de la Haute Volta (aujourd'hui Burkina Faso) après l'indépendance. Il est accepté au noviciat des Pères Blancs, à Gap, en 1960 ; pour sa formation théologique, il est envoyé au Canada. Après son ordination, en 1965, il est envoyé en Zambie.

La mission, vieille de plus de soixante ans, commence à porter des fruits ; les communautés chrétiennes sont importantes ; le laïcat s'organise ; la vie de l'Eglise, pendant le concile du Vatican II, est florissante. Il y passe 23 ans, parfaitement heureux… trop heureux peut-être ?

MISSION EN AFRIQUE DU SUD

Il participe au chapitre de 1986 (c'est un peu comme le " Parlement " de la Société, qui se tient chaque six ans à Rome). On y parle beaucoup de l'Afrique du Sud : c'est un grand pays en ébullition ; le problème racial y est crucial. Il est resté en marge de l'élan missionnaire des temps modernes, mais les évêques demandent instamment des missionnaires pour les populations africaines noires. Avec d'autres Pères Blancs, Jacques se porte volontaire ; en 1988, il arrive à Soweto, l'immense bidonville de la banlieue de Johannesburg ; les missionnaires se rencontrent souvent mais résident au milieu de la population d'ouvriers et mineurs. L'ambiance est tendue. L'administration blanche est réticente à voir les missionnaires s'établir parmi les noirs, et les noirs ont de la peine à comprendre cette implantation. Les patrouilles de police sont quotidiennes ou presque. La violence est partout, latente ou explosive, mais petit à petit, les missionnaires sont acceptés


Sud-Africaines en tenue Traditionnelle

TEMPS DE CRISE

"16 août 1991 : avant le lever du soleil, attaque dans un train puis dans une gare de chemin de fer, près de Naledi (la partie sud de Soweto). Plusieurs morts sont de la paroisse. Jours suivants : excitation, tension, routes bloquées, bagarres, tueries.
" Soir du 6 septembre : des hommes armés de haches, de couteaux et de barres de fer attaquent silencieusement les habitants d'une rue entière de Naledi. Bilan : au moins cinq morts.
" Soir du 8 septembre : des hommes armés d'armes à feu attaquent dans plusieurs rues du bidonville de Tladi, situé près de Naledi. Après et avant diverses péripéties, je suis dans le bidonville de 21h. à 23 h. Nombreux contacts avec les multitudes de jeunes armés et en colère, prêts à se battre avec un ennemi qu'ils cherchent en vain. On me montre les morts à l'endroit même où ils ont été massacrés (rue, maisons) et la façon dont ils ont été tués ; je parle avec certains des blessés. Soirée inoubliable. Il y a 11 morts.
" Dans les jours qui suivent, tension énorme dans une grande partie de Soweto. Très nombreux barrages de routes. Nombreux incidents entre le police et la population. Nouvelles morts.
"15 septembre : attaque à Johannesburg d'un train qui revenait de Soweto : 26 morts.
"Soirée du 29 octobre : des hommes armés d'armes à feu et d'armes blanches attaquent dans diverses rues de Naledi ; bilan : au moins 16 morts.
"… les attaquants sont bien entraînés ; ils ont toujours réussi à s'enfuir avant qu'aucun puisse être identifié. Les blessés et les morts (surtout hommes, mais aussi femmes et enfants) ont été les victimes ignorantes de tout ce qui se passait, sauf dans le cas de jeunes qui se sont battus ensuite soit avec les résidents (ouvriers étrangers des mines) des ' hostels' soit avec la police. … Je reste convaincu que l'immense majorité des gens de Soweto, y compris les jeunes, veulent justice et paix."


Le Père Jacques reçoit le cadeau d'adieu

EXPERIENCE DE GRÂCE

Dans une telle atmosphère de tension, Jacques fait l'expérience de la grâce : il " sentait " profondément quand il devait être là, au cœur des dangers, et quand il devait s'effacer et ne pas prendre de risque inutile. Il se trouve parfois dans des situations très dangereuses, mais c'est après coup qu'on se rend compte que le risque était grand. Il s'est souvent trouvé dans des situations, face à des policiers blancs ou une foule en délire, où n'importe quel autre 'blanc' aurait été massacré.
Il est connu de tous les 'sowétiens'. Une voisine lui conseille : "Père, si on vous attaque, venez chez nous, nous vous protégerons !" Un certain soir il se trouvait aux premières lignes d'un affrontement ; un jeune rastafarian (une sorte de secte 'religieuse' où se retrou-vent les disciples du chanteur de reggae Bob Marley) aux cheveux longs tressés lui conseille vivement de ne pas rester là ; Jacques s'efface : difficile équilibre entre audace et prudence. Il fait vraiment l'expérience du charisme de discernement.

Il écrit en conclusion :

"Je voudrais souligner l'importance de la présence du prê-tre, de mon service de compassion, de présentation du message de paix… la bonne nouvelle, ici, c'est d'abord un clair et non ambigu refus de l'apartheid et de ses multiples injustices ; c'est aussi l'encouragement au dialogue et à la réconciliation, à temps et contretemps ; c'est enfin l'encouragement à tous les autres fruits de l'Esprit : recherche de conversion, désir d'écouter Dieu, effort pour pardonner, refus d'égoïsme et d'injustice, rencontre de l'autre, tension harmonieuse entre prudence et refus de la peur, maîtrise de soi, refus de toute violence destructrice, recherche passionnée de la vérité… "

NOUVELLE ETAPE : LEBOMBO

Dans le diocèse de Whitbank 300 000 habitants, dont des dizaines de milliers de réfugiés mozambicains (car la guerre civile fait rage au Mozambique voisin) dans un milieu semi-rural. Les catholiques sont une infime minorité, moins de 1% ! et une multitude d'églises chrétiennes indépendantes : perdus devant l'agitation politique, les gens se réfugient dans les assemblées de guérison, les veillées nocturnes de chants et de danses. L'Afrique du Sud prend le tournant de la véritable démocratie. Jacques est choisi par les jeunes de l'ANC (parti de Nelson Mandela qui a une une place prépondérante dans la lutte contre l'apartheid) pour animer un comité pour la paix. On lui demande également d'être rapporteur de la commission "Vérité et Réconcilia-tion" ; il est témoin d'immenses souffrances, de deuils et de larmes : seront-ils jamais oubliés ? Petit à petit les gestes de réconciliation se font jour. Les barrières entre blancs et noirs tombent, les préjugés s'estompent, l'estime mutuelle, des amitiés finissent par émerger.

Cette expérience est fortement œcuménique : l'attention aux pauvres et aux victimes d'injustices est commune à tous ; pasteurs et prêtres sont amenés à travailler ensemble sans considération d'appartenance religieuse et cela soude des amitiés solides.

En Mars 2002, la Commission Justice & Paix d'Afrique du Sud envoie Jacques au Zimbabwe voisin comme observateur des élections. Les élections ne sont ni libres ni justes, elles se font dans un climat de peur : les intimidations sont nombreuses, prêtres et évêques sont en danger de mort quotidien. Cela mériterait un autre développement…

En conclusion, Jacques renouvelle sa profession de foi :
"Je crois avec les évêques du synode de 1971 que le combat pour la justice et la participation à la transformation du monde sont une dimension constitutive de la prédication de l'Evangile."

Voix d'Afrique



Un passionné de Justice et de Paix
Le P. Jacques Amyot d'Inville s'est toujours engagé pour ce combat.
À Soweto, ils s'est porté volontaire pour vivre au milieu des noirs, et pour témoigner, au nom de l'Église, de son rejet de l'apartheid. Ayant protesté contre la violence des jeunes de l'ANC dans sa nouvelle paroisse, après celle de Soweto, il est choisi, à sa surprise, par ces mêmes jeunes, comme président du Comité de Paix local. Lors des élections de 1994, il sera responsable du climat de paix dans 21 centres de vote éparpillés dans les villes et les villages.
Plus tard, il sera choisi pour être celui qui recevra officiellement, dans sa région, les armes à feu dont les propriétaires seraient prêts à se défaire, afin d'apprendre à vivre dans un climat différent. Lors de la Commission Vérité et Réconciliation, il se porte volontaire pour être le rapporteur officiel, pour sa région, des récits confidentiels des victimes de tous bords.
Avec un pasteur luthérien noir, il représente officiellement les Églises pour un dialogue avec le gouvernement et différentes organisations, dans le but de procurer des papiers aux réfugiés mozambicains.