Voix d'Afrique N°102.

2014
Année Internationale
de l´Agriculture Familiale


70% des pauvres sont localisés dans les zones rurales et sont agriculteurs


L’Assemblée Générale de l’ONU a déclaré 2014 ‘’Année Internationale de l’Agriculture Familiale’’ (AIAF). Les objectifs sont nombreux : promouvoir un développement durable des systèmes de l’Agriculture Familiale paysanne, luter efficace-ment contre la pauvreté et la faim, recréer un milieu rural fondé sur le respect de l’environnement et la biodiversité.

En Afrique, l’Agriculture Familiale produit environ 80% de la nourriture consommée sur le continent. Mais elle ne se limite pas à la production alimentaire. Elle structure un tissu social, économique et culturel. Elle gère le territoire, et elle est une source de revenus. Elle permet la préservation des va-leurs et des modes de vie.
Pour beaucoup de responsables africains, « exploitation paysanne familiale » évoque un modèle de production archaïque orientée vers l’autosubsistance. Mais, en fait, elle va beaucoup plus loin. De toute façon, qu’on le veuille ou non, il ne sera pas possible d’échapper à la question de l’avenir des zones rurales africaines. Une des meilleures réponses n’est-elle pas de favoriser leur développement agricole et donc d’appuyer la modernisation des agricultures familiales ?



Situation
de l’agriculture familiale

L’agriculture familiale africai-ne est concernée directement par l’Objectif 1 du Millénaire pour le Développement, de réduire de moitié d’ici 2015 l’extrême pauvreté et la faim. En effet, selon la plupart des observateurs, 70% des pauvres sont localisés dans les zones rurales et sont agriculteurs.

L’écrasante majorité des agriculteurs en Afrique demeurent “familiaux” au sens où leur activité économique est structurelle-ment liée à leur famille. Ce lien, au-delà de la très large diversité de taille, de système de production, d’insertion au marché, de niveau technologique et de capital, conditionne la prise de décision, l’organisation du travail, la gestion des activités et des facteurs de production et la transmission du patrimoine. Assurer la sécurité alimentaire de la famille est donc sa priorité. Mais l’agriculture familiale porte aussi un système d’organisation et de décision.


Toute la famille participe au travail dans l’exploitation.

Il n’en reste pas moins que les problèmes sont nombreux :
Baisse de compétitivité : la sous-alimentation chronique a progressé, en Afrique, ces vingt dernières années, touchant 239 millions de personnes en 2012, et la production agricole par tête continue de chuter ces quarante dernières années. En fait, l’agriculture fami-liale souffre encore des suites de l’”ajustement structurel”, imposé dans les années 80 aux pays les moins avancés. Il a provoqué le retrait de l’État du secteur agricole avec toutes ses conséquences : dégradation des infrastructures agricoles, forte baisse de l’utilisation d’engrais, disparition des structures d’accompagnement technique, érosion des capacités de recherche, accentuation de la pauvreté rurale et de la faim...

Des politiques agricoles inadaptées : mises en œuvre par les dirigeants africains pendant près de 50 ans, elles n’ont privilégié que les cultures de rente. De ce fait, tout a été mis au service du coton, du cacao, du palmier à huile, de l’hévéa, de l’arachide, etc. exportés pratiquement sans valeur ajoutée pour alimenter les industries du Nord. Malheureusement, les prix de tous ces produits sont fixés par l’Occident au détriment des producteurs africains.

Les responsables politiques, qui affichent aujourd’hui des objectifs agricoles très ambitieux, se basent souvent sur un modèle de “modernisation” passant par les grandes exploitations mécanisées au risque de provoquer l’éviction des petits paysans pauvres, jugés non viables.

Les tensions sur le foncier : la situation des exploitations familiales en Afrique est rendue très difficile par les tensions que connaît actuellement le secteur foncier. Il y a comme une course aux acquisitions foncières, phénomène communément appelé « accaparement des terres ». Cela cache une substitution de l’agriculture familiale par l’agriculture capitaliste, avec un risque majeur de ne plus être en mesure de nourrir les villes. Rappelons-nous le cas de Madagascar qui avait concédé près d’un million cinq cents mille hectares à l’entreprise coréenne DAEWOO. Beaucoup de réformes foncières en cours dans la plupart des pays ne visent qu’à légitimer pareilles situations, et à laisser la porte ouverte, tout en légalisant le pillage des terres.

La concurrence pour l’eau : certes, la concurrence pour l’accès à l’eau augmente sous l’effet de la croissance démographique, de l’urbanisation, des installations touristiques et industrielles. Mais les petits agriculteurs sont les premières victimes de cette course à l’eau. Ils font face à plus puissants politiquement et économiquement qu’eux. Dans les cas d’accaparement des terres, il s’agit aussi de l’accaparement de l’eau par les nouveaux acquéreurs. En effet nombre de pays déficients en eau épargnent leurs propres ressources en acquérant des terres agricoles étrangères.

Nécessaire développement des marchés régionaux : Les marchés des produits alimentaires au niveau régional restent les plus accessibles et bénéficient d’une demande forte et durable ; leur développement est une clé pour l’innovation et la diversification rurale, ce qui suppose des politiques très volontaristes de soutien, voire de protection. Il faut aussi faire redécouvrir l’alimentation basée sur la culture traditionnelle comme le sorgho, le mil, les haricots plutôt que le riz.
Progresser vers une agriculture intensive : il n’y aura pas de développement à long terme possible sans une agriculture de plus en plus intensive qui contribue tout d’abord à la sécurité alimentaire du pays, qui ensuite gagne des devises et crée un marché intérieur pour des produits manufacturés et des services.

Prendre en compte les jeunes qui montent : L’Afrique sub-saharien-ne n’a pas vécu, comme les autres continents, sa “transition économique”, entraînant un passage massif de l’activité agricole vers les autres activités ; elle a vécu une urbanisation sans industrialisation, sans nouveaux gisements d’emplois. Pourtant, plus de trois cents millions de jeunes vont arriver sur le marché du travail dans les quinze prochaines années, presque l’équivalent de la population des États-Unis. Une majorité (environ deux cents millions) de ces nouveaux actifs vivront en zone rurale. Les politiques agricoles doivent donc prendre en compte ces emplois des jeunes ruraux afin de réduire l’exode rural et de lutter contre les inégalités et la pauvreté qui concernent d’abord les campagnes.


Souvent les cultures vivrières ont été sacrifiées
au profit des cultures de rente

Deux visions de l’agriculture

L’Afrique a depuis toujours été l’objet de convoitise de la part de populations provenant de cer-tains continents. Ses ressources humaines exploitées par le biais de l’esclavage ont servi de main- d’œuvre gratuite pour les plantations en Amérique. Ses ressour-ces minières : pétrole, or, diamant, fer, cuivre, uranium, bauxite, etc. ont été et sont massivement ex-ploitées pour le développement industriel de l’Occident et de l’Asie. Son agriculture généralement extravertie et l’exploitation de ses forêts ont servi les mêmes causes.

Certains « développeurs » défendent l’idée que l’agriculture paysanne enfermée dans ses tradi-tions est condamnée à disparaître car non compétitive sur les marchés internationaux. Elle doit laisser la place à de véritables entreprises agricoles spécialisées, mécanisées et recrutant des salariés. Dans la compétition internationa-le qui prévaut pour les matières premières agricoles, ce type d’exploitation est le seul à pouvoir gagner la course à la productivité et à la compétitivité.


« Dois-je devenir ouvrière agricole
dans une grosse exploitation pour survivre ? »

Depuis de longues années, la plupart des programmes avaient comme objectif l’augmentation de la production des cultures de rente (arachide, coton), incluant parfois des cultures vivrières (sorgho, mil, maïs, riz). Des pratiques nouvelles mises au point par la recherche étaient introduites en appliquant une approche intégrée : emploi de semences améliorées et d’engrais, des techniques culturales améliorées et souvent l’introduction de la culture attelée qui constituait l’un des points forts des programmes.

L’efficacité des opérations était renforcée par des dispositifs d’achat des productions agricoles (arachide), voire l’achat direct de la production par les opérateurs en charge des programmes, notamment dans le cas du coton et parfois du riz. Les responsables de projets étaient confrontés par ailleurs à des difficultés de récupération des crédits qui s’aggravaient en cas de baisse de rendement et de baisse de prix. Il fallait alors avoir recours massivement à la caution solidaire - principe appliqué aux programmes de crédits par l’intermédiaire de structures coopératives ou de groupements de producteurs villageois, créés quelquefois artificiellement ou formellement. Ce principe a été souvent mal compris et peu respecté.

Les experts constatent aussi qu’à cause d’une recherche permanente du profit, l’agriculture productiviste fragilise la terre, détruit le milieu naturel et met au chômage des milliers de paysans qui ne peuvent pas suivre la cadence.

Des gens menacés par des achats massifs de terres !Les défenseurs et partisans de l’Agrobusiness accusent les exploitations familiales d’être à l’origine de la faible compétitivité de l’agriculture africaine... L’agriculture familiale est présentée comme synonyme de « culture extensive », « méthodes traditionnelles », « absence de professionnalisme », « économie de subsistance » et autres qualificatifs qui ont tous pour objet de figer les producteurs dans des caractères stéréotypés d’ignorance et de conservatisme.

Alors que l’agriculture industrielle vise uniquement la création des bénéfices à partir des capitaux financiers, l’objectif premier de l’agriculture familiale est la reproduction de l’unité familiale à travers la production alimentaire pour la consommation du ménage et par la suite, pour la création des revenus dans le but de satisfaire les autres besoins de ses membres.
La question qui se pose donc est la suivante : qui va nourrir la planète en 2030 ? Comment pourra-t-on le faire de manière durable ?

Jalons pour une solution

Développer les marchés régionaux Les marchés des produits alimen-taires au niveau régional restent les plus accessibles et bénéficient d’une demande forte et durable ; leur développement est une clé pour l’innovation et la diversification rurale, ce qui suppose des politiques très volontaristes de soutien, voire de protection.

Générer une diversification des revenus. La majorité des ménages tente d’avoir une activité hors exploitation, mais le retour financier est très faible car les emplois hors agriculture sont rares et mal rémunérés et les plus pauvres n’y ont pas accès.

Réinvestir des stratégies de développement ancrées dans les territoires. Seule une option radicale pour l’agriculture familiale pourra réduire cette pauvreté rurale et enclencher une dynamique de développement profitant au plus grand nombre. Pour accroitre les revenus agricoles, clé de la demande rurale et de l’indispensable diversification, il faut augmenter la productivité et garantir un meilleur accès aux ressources et aux marchés. Ce choix suppose avant tout une sécurisation du foncier, avec une protection des droits d’usage, puisque ce sont ces agricultures qui sont menacées le plus souvent par les achats massifs de terres.

Investir dans la recherche d’innovations adaptées à cette petite agriculture pauvre. Il ne faut pas oublier le développement de l’agriculture urbaine et périurbaine, qui aura l’avantage de réduire la distance lieu de production et lieu de consommation, et peut être source d’emploi importante pour fournir aux citadins les fruits, lé-gumes, produits carnés nécessaires.

Reste deux défis majeurs pour les années à venir : la cohérence des politiques d’une part et le modèle agricole. Si l’importance du soutien à l’agriculture fait l’objet d’un nouveau consensus suite aux émeutes de la faim de 2008, deux types d’agriculture s’opposent, inconciliables : d’un côté l’agriculture paysanne, avec ces centaines de millions de paysans qui pratiquent une agriculture vivrière et qui, de par les petites superficies qu’ils ont à leur disposition, apparaissent comme les garants du respect de la terre et des hommes …


Redécouvrir la nourriture traditionnelle...

De l’autre, l’agrobusiness ou agriculture industrielle amarrée à la finance internationale, à la recherche sur les biotechnologies, lourdement dépendante des énergies fossiles, faible pourvoyeuse d’emplois et qui prétend à de forts rendements agricoles mais sans en intégrer la réalité des coûts externes…

Il faudra donner aussi priorité au commerce agricole entre pays africains voisins. Car l’Afrique ne pourra connaître un développement progressif de son secteur agricole qu’en se protégeant pour un temps des importations venant d’agricultures modernes et subventionnées (Europe, États-Unis), qui sont à un degré de productivité largement supérieur. Cela implique cependant des choix politiques non aisés qui ne veulent pas une inflation des prix agricoles pour les citadins, là où se situe le pouvoir politique.

Quatre objectifs spécifiques sont associés à cette année internationale :
* soutenir le développement de politiques favorables à une agriculture familiale durable ;
* améliorer la connaissance, la communication et la sensibilisation de l’opinion publique ;
* atteindre une meilleure compréhension des besoins des exploitants familiaux, de leur potentiel et de leurs contraintes ;
* créer des synergies sur le long terme (en prévision de l’après 2015).


D’après des sources diverses
;Voix d’Afrique


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