Voix d'Afrique N°77
Histoire..
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Zanzibar
C'est le 21 avril 1878 que le groupe des dix premiers missionnaires d'Afrique avait quitté la France et perdu de vue les côtes de Marseille. Le 30 mai de la même année, ils voient enfin l'Afrique et peuvent accoster à Zanzibar. Après quarante jours en mer, en comptant leur escale à Aden, ils découvrent avec enthousiasme la porte de l'Afrique. " Quelques petits daous, petites barques pontées à l'arrière, les voiles doucement gonflées par la brise, vont et viennent devant le port. Ses fouillis de verdure, ses massifs de cocotiers et de girofliers, ses nombreuses bananeraies, ses plantations de canne à sucre… ont fait avec raison surnommer cette île "la perle de l'Océan Indien".A cette époque surtout, elle ressemble véritablement à un paradis terrestre. Pour nous, qui n'avions eu sous les yeux, depuis notre départ de France, que les rochers arides de Suez et du golfe arabique, nous la saluons avec des transports d'enthousiasme… Nous aspirons avec délices un air saturé de vapeurs odorantes, pendant que le soleil, se dégageant lentement du sein des flots, fait miroiter de mille feux la grève et les blanches maisons du port. "
Première et longues démarches
Les missionnaires retrouvent leurs confrères Charmetant et Deniaud qui sont arrivés depuis quelques mois pour préparer leur arrivée. Ils tombent dans les bras les uns des autres. Mais il faut s'occuper rapidement des affaires concrètes, et, comme dans tout voyage, passer par la douane. Cette administration est sous l'autorité du Sultan de Zanzibar.Les Pères doivent ouvrir leurs caisses pour inspection ; ils doivent prouver qu'ils n'importent rien en contrebande. " Nous aurions bien voulu partir le lendemain ou le surlendemain pour Bagamoyo, mais il restait encore à retirer de la douane les caisses que nous avions apportées d'Europe et qui contenaient les habits dorés, les casques, les plumets destinés à nous concilier les puissants roitelets d'Afrique équatoriale… " Ils avaient passé des heures à marchander avec les fripiers de Paris ou Marseille pour s'approvisionner en anciens uniformes du second empire, ornés de galons, de fourragères et de boutons dorés. Ils en avaient fait des dizaines de caisses, les avaient répertoriées, clouées, marquées, pour être sûrs de trouver rapidement ce dont on aurait besoin.
La Première Caravane et les porteurs au campement en 1878 à Chamba GoneraLes porteurs
Il fallut donc chercher des porteurs, appelés ici les "pagazi". "?Pour cela il faut passer par un Indien, car sans eux il est impossible d'en trouver… Il faudra se soumettre à ces gens qui ne connaissent d'autre dieu que l'argent et pour qui le vol est un acte de vertu. A moins que vous ne cédiez de suite à leurs exigences exorbitantes, vous pouvez être certains d'avance que vous devrez sacrifier au moins huit jours à discuter avec eux, et qu'ils ne reculeront que pas à pas, sou par sou…. Chaque porteur ne consentant jamais à se charger de plus de trente cinq kilogrammes, il faut donc trois hommes pour un quintal. Or, comme tout calcul fait, tant pour un voyage de dix mois au moins que pour nourrir dix Pères pendant un an (non compris huiles, provisions etc…) cent quintaux d'étoffes, verroteries, sel, perles et mille autres objets d'échange, c'était donc au moins trois cent porteurs qu'il fallait trouver, puisque ici tout portage se fait à dos d'homme. "Bagamoyo, Adieu la vie?!
" Dans leur détresse, nos Pères avaient eu recours à la puissante intercession de Saint Joseph : ce glorieux patron des causes désespérées ne manqua pas de venir à leur secours… Ne trouvant rien à Zanzibar, qu'ils avaient battu et fait battre dans tous les sens, ils s'étaient rendus à Bagamoyo, d'où partent ordinairement les caravanes. " Bagamoyo, c'est le port où les caravanes de commerçants et d'esclavagistes se donnent rendez-vous avant d'embarquer sur l'Océan Indien. Le nom est éloquent : Bagamoyo signifie "?Adieu la vie ", le gémissement que poussaient les centaines d'esclaves attrapés par les Arabes avant d'être embarqués pour une destination inconnue.
Derniers préparatifs
Le Père Charmetant se rendit aussitôt avec une lettre du Sultan, chez le gouverneur de Bagamoyo , et le même jour, par l'intermédiaire d'un Arabe riche et influent … il put arrêter la plupart des porteurs ou "pagazi" qui nous seront nécessaires, au prix de cent francs l'un (non compris la nourriture, qui est à notre charge), pour toute la durée du voyage de Bagamoyo à Tabora. " Pendant quatre jours, le Père Charmetant a été en proie à une fièvre ardente, au moment même où il fallait met-tre nos marchandises en petits ballots ; malgré ses souffrances, il n'avait pas voulu interrompre son travail, dans la crainte de nous occasionner quelque retard ; il s'était donc fait porter chaque jour au milieu de ses ouvriers et avait présidé jusqu'à la fin à leurs délicates occupations. "
Le grand départ
Le 16 juin enfin, ils célèbrent chez les Pères du Saint Esprit la fête de la Sainte Trinité dans la chapelle de la mission. "L'harmonium de la tribune unit ses puissants accords à l'entrain des enfants et à la voix mâle des missionnaires. Dieu sans doute est touché par notre foi … et se baisse vers nous pour nous bénir. Nous sentons le souffle de son Esprit enflammant nos cœurs : nous croyons voir nos anges gardiens s'apprêtant à nous servir de guides et de protecteurs comme au jeune Tobie. Hommes de peu de foi ! pourquoi avons-nous douté ? Au nom de Dieu, en avant ! en avant?!!! "
Il faut se souvenir que nous sommes en 1878. Le style et même la spiritualité sont différents , mais l'ardeur missionnaire est la même. Il faut se souvenir que ces dix Pères partaient vers l'inconnu le plus absolu et qu'ils n'étaient animé que d'une seule chose, la foi , la conviction d'être envoyés pour porter la Bonne Nouvelle. Depuis Marseille, leur voyage avait duré neuf semaines ; les voilà à pied d'œuvre. Devant eux s'ouvrait la forêt, l'inconnu et quelques noms sur des cartes incertaines : Tabora, Oujiji, Nyanza. Une seule conviction : ils sont envoyés, missionnaires.
Gérard Guirauden.
Missionnaire d'Afrique.