Voix d'Afrique N°60

AMITIÉ CONTRE SIDA

Olivier Tienana SOMA



Olivier Tienana SOMA ,
25 ans , originaire du Burkina Faso, a fait son stage de formation missionnaire à Nairobi, capitale du Kenya.

Il nous raconte son expérience.

 

Bonjour la grande ville
"Jamais de ma vie je n'avais vu de route si large ! Depuis l'aéroport Jomo Kenyata de Nairobi, les voitures roulent au large sur six pistes, trois vers l'est, trois vers l'ouest : inimaginable !" C'est la première réaction d'Olivier, le jeune burkinabé, envoyé dans la grande ville pour deux ans d'expérience missionnaire. Au volant Bill, un père blanc américain, lui explique le pays tout au long de la route : "La ville est encore loin : tu vois ces grands bâtiments ? la mission est un peu plus loin". De fait, des tours s'élèvent là bas, aussi hautes que des montagnes, toutes droites et grises, 30 ou 40 mètres de béton, verre et acier ; après quelques kilomètres elles surplombent la route, et il faut sortir la tête par la fenêtre pour en voir le sommet. La circulation est dense ; les piétons sont rares : quelques femmes maasaï en pagnes , larges colliers de perle et pendentifs multicolores aux oreilles, poussent devant elles quelques ânes surchargés ; quelques cyclistes se faufilent en pédalant allègrement dans le trafic sauvage : camions, berlines luxueuses ou voitures délabrées, tacots surchargés, autobus bondés, bagages et ballots amoncelés sur la galerie, et partout les "dala-dala", minibus des transports en commun, très populaires, aux noms pittoresques : "Allah est grand !" - "Dieu nous garde !" - "Plus vite que le vent !" -"Vas-y essaye !" etc. ; les passagers débordent des fenêtres et des portières, montent ou descendent en marche, crient, chantent et rient en interpellant les piétons : miracle permanent que cette circulation où les véhicules se croisent, se doublent, se dépassent, s'arrêtent et redémarrent dans une énorme anarchie !

La paroisse en ville
On bifurque à droite, puis à gauche : on passe par une avenue bordée d'arbre, puis une petite rue serpentant au milieu des échoppes : l'état du revêtement se dégrade ; les nids de poule, les trous et les flaques d'eau envahissent la surface autrefois goudronnée ; on roule au pas de cahots, en ornières, de flaques en nids de poule. Enfin la paroisse : un enclos assez vase, une grande église, quelques maisons autour d'une cour, des hibiscus, des jacaranda, des eucalyptus, quelques personnes attendent devant les bureaux, d'autres discutent avec un père de la paroisse, des enfants s'amusent au football avec une boule de papier et de plastic en guise de ballon. " Bienvenu, Olivier ! " L'atmosphère est chaleureuse. Olivier s'installe… Willy, missionnaire flamand, Emmanuel, Ghanéen lui font visiter les lieux et puis : "Nous sommes au milieu du quartier populaire : à toi de faire ta place. Prend ton temps, va rencon-trer les gens et tu verras quelle orientation prendre. "

Chez les jeunes de banlieue
"Ça y est, m'y voilà ! c'est chez moi !" Olivier a quitté sa famille, dans une petite ville paisible de Banfora, au sud du Burkina Faso ; trois années de philosophie, un an de formation spirituelle (noviciat) en Zambie, l'ont conduit ici : pour la première fois, il va vivre comme un missionnaire, au milieu des gens, avec pour tout programme de les connaître, de vivre avec eux. Il sort, décidé à se lancer dans la rencontre avec tous ceux qui croiseront son chemin. Facile : il suffit de marcher dans la rue, de saluer, de s'arrêter pour sourire doucement, de commencer une conversation. Quand on lui demande : "Où vas-tu ?" il répond : "Chez toi !" - "Qu'est-ce que tu cherches ? qu' est-ce que tu veux ? " - "Toi !", et c'est tout. Il se présente, rencontre un regard, passe de la méfiance au sourire, serre la main, accepte le siège offert sous le manguier et écoute. Bien sûr, il a appris le kiswahili, mais ici, les jeunes ont adopté une autre langue, le " cheng ", comme un code de communication entre eux, les jeunes de la banlieue de la grande ville. "Tu es le premier de la paroisse à venir nous voir ! " Il parle de son pays, à 5 heures d'avion, de son village et laisse entrevoir son désir d'être avec eux. Personne ne lui demande pourquoi : il est là, petit à petit il entre dans le réseau.

Une peur qui n'ose pas se dire
Certains jeunes vont encore à l'école primaire ou au collège ; d'autres ont arrêté leur scolarité après quelques années, d'autres ne rêvent même plus d'apprendre. Une grande peur qui n'ose pas se dire s'est installée dans la mentalité de tout le quartier. "Je suis venu à Nairobi pour vivre avec mon oncle qui était fonctionnaire, pour aller à l'école ; il y a deux ans, il est tombé malade et il est mort ; sa femme est morte elle aussi six mois après ; il a fallu partir de la maison ; ses deux enfants et moi, nous nous sommes trouvés à la rue…" - "Je suis parti de mon village parce que je rêvais de la ville, je pensais gagner de l'argent…" - "C'est ici que je suis né ; ma mère vit ailleurs, dans un autre quartier ; elle vient me voir ou bien j'y vais de temps en temps ; je mange ce que je peux et dors là où je peux !" Certains trouvent ici et là un petit boulot : pousser une brouette, transporter des sacs de ciment, vendre à la sauvette quelques articles de pacotille dans les rues de la capitale, laver les pare-brises sur les voitures aux feux rouges, charger ou décharger des camions de maïs … Ils savent rarement ce qu'ils vont faire dans la journée lorsqu'ils se lèvent le matin : il faudra trouver à manger, pour le reste…

Amis contre le sida
La peur est partout présente, cachée sous des rires de façade : on ne la nomme pas, dans l'espoir de l'oublier, mais tout le monde y pense, c'est le sida. Juma, un ami d'Olivier, est allé enterrer son frère aîné ; il lui confie : "Ici, le sexe, c'est la mort ! " Tous ses copains approuvent tristement. Olivier , lance doucement l'idée de ne pas se résigner ; mais que faire ? "On pourrait au moins se rencontrer et en parler, tout simplement ". Et c'est ainsi que commence le groupe, une vingtaine de garçons et filles qui parlent de leur vie , qui partagent leurs peines et essayent de trouver l'espoir ; petit à petit, il découvrent leur désir profond, plus tenace que toutes les difficultés : aimer, et vivre, tout simplement. Ils se rencontrent régulièrement ; parfois un docteur chrétien vient leur parler pour leur expliquer des rudiments de physiologie, comment les corps fonctionnent chez les garçons et les filles, les différences et les complémentarités pas seulement dans les corps mais aussi dans leur cœur et leur esprit.

"Olivier, comment tu fais ? nous te voyons vivre au milieu de nous, et nous savons que tu ne vas pas voir les filles : comment tu te débrouilles ?" La question est claire et le jeune missionnaire est placé devant le défi. La réponse : "Si j'allais voir les filles, vos pensez que je serais là, avec vous, mes amis ?" Répondre à une question par une autre question n'est pas un signe d'embarras. Un jour, ils décident de partir hors de la ville, pour passer ensemble la journée ; Olivier ouvre le petit livre de l'Evangile : "le Royaume de Dieu est un trésor caché… une perle précieuse… une semence…" Les jeunes apprennent à se découvrir avec leur valeur profonde ; avec le missionnaire ils commencent à comprendre qu'ils valent mieux que leurs faiblesses, que leur désir est plus fort que leurs échecs ; petit à petit, rencontre après rencontre, ils osent l'audace de prier. Jésus, le Galiléen, devient leur frère et ils peuvent appeler son nom au plus profond de leur cœur. Ainsi prend corps le petit groupe "Amitié Contre SIDA", quelques filles et garçons qui aiment bien se retrouver pour se détendre, prier et réfléchir, jouer au football ou au basket-ball, simplement pour être ensemble et savoir le désir de l'autre, son idéal : vivre et aimer, tout simplement. Ainsi, le communauté devient un lieu de croissance, aussi bien pour les garçons et filles des rues que pour le jeune missionnaire.


Le Centre de formation des Missionnaires d'Afrique à Nairobi

AToulouse
Après deux ans de rencon-tre, Olivier est reparti pour Toulouse, la ville rose : c'est là qu'il continuera ses études de théologie, à la lumière de son expérience de Nairobi. Chaque semaine il prend le temps d'aller dans un quartier pauvre pour rencontrer des familles du "quart-monde". Il s'y sent chez lui, avec pour seule projet de partager un peu de leur vie, tout simplement, animé par l'espérance qu'un jour le Christ dira son nom dans leur cœur.
A sa naissance, le grand père a donné un nom à Olivier : "Tienana", qui veut dire : "venez et voyez ce qui adviendra" ; depuis Banfora, il est guidé et il a vu ce qui advient, chaque jour et il continue à espérer ce qui adviendra, dans la patience, l'espérance qu' "Il" adviendra..

Interview d'Olivier Tienana Soma
par Voix d'Afrique.