Voix d'Afrique N°60

LÈVE-TOI ET MARCHE !

Père Max Tertrais



C'est sur les bords du lac Victoria, au nord de la Tanzanie, que Max Tertrais reprend l'ordre du Christ.

Missionnaire d'abord au Congo pendant les années de trouble et de guerres pour l'indépendance, il vit aujourd'hui avec les wasukuma de Tanzanie depuis plus de vingt ans.

Juma l'infirme
"Le Père arrive ! le Père arrive" ! Le groupe d'enfants court derrière la camionnette jusqu'à la case qui sert de pied-à-terre pour le missionnaire lorsqu'il vient chaque deux ou trois mois pour visiter la communauté. Haletants après la course, ils prennent un ballot, un paquet, une petite valise pour les déposer à l'intérieur, puis ils s'assoient par terre pour saluer le visiteur. C'est alors qu'arrive l'infirme : les jambes sont atrophiées, maigres bâtons poussiéreux, pieds tordus, il se balance sur ses bras musclés et les fesses terreuses. Il est toujours le dernier arrivé ; il ose à peine présenter sa main calleuse pour saluer. Son corps est difforme ; mais le visage est jeune et souriant.
Max connaît bien Juma : dans de nombreux villages qu'il visite, il y a des infirmes ; ils font partie de la vie du village , même si leur participation est limitée. Ils ont été frappés par la poliomyélite. Ils n'ont pas pu aller à l'école ; ils arrivent partout les derniers, en retard, pénalisés malgré eux ; ils sont condamnés à rester au village quand tout le monde va cultiver les champs, arranger une route après les pluies ; ils restent cloués au sol quand ses amis dansent ou jouent au foot-ball.. Que faire pour Juma ?

Une chaise roulante
Dans un village proche de la mission, dans la brousse, au milieu des détritus, traînent quelques vieux cadres de bicyclette : l'idée germe : si je pouvais ramasser tous ces morceaux de vieilles bécanes : on pourrait les souder, y ajuster des roues et un siège, un pédalier et une chaîne… Longtemps, Max mijote le projet. Il médite dans sa prière l'ordre de Jésus aux paralytiques : "Lève-toi et marche !" Ah ! s'il pouvait faire la même chose, deux mille ans après dans la campagne d'Afrique Centrale ! Le miracle est possible : ramasser ici et là les pièces et les morceaux qui traînent, trouver un poste de soudure, ajuster des roues de bicyclette et transformer un pédalier…
Cela commence humblement, derrière le garage : un petit groupe électrogène, un poste de soudure à l'arc ; avec le frère missionnaire, il commence, essaie, manque son coup, bricole; imagine encore et encore, sans se décourager, jour après jour, entre deux visites aux villages (car les visites aux communautés chrétiennes font partie de la 'routine', chaque semaine), il remet les cadres sur l'établi. Il apprend sur le tas, aidé par un frère missionnaire ou un ami villageois qui a autrefois pratiqué la soudure quand il avait travaillé en ville. Enfin, le projet prend forme et Juma, les yeux brillant de plaisir, se soulève des deux bras pour s'asseoir ; timidement d'abord, il manie le pédalier des deux mains, tourne à gauche , à droite, évite un trou, une pierre, se lance sur le chemin, tourne et revient sous les acclamations de ses amis ; ils sont presque jaloux de lui ! Il peut même se lancer dans des courses de vitesse, quelle transformation !
Et la rumeur court toute la région ; les infirmes viennent à la mission, de plus en plus nombreux pour essayer d'avoir, eux aussi, le tricycle. Il faut bientôt organiser un véritable atelier, former quelques techniciens soudeurs, trouver les ca-dres et les roues, les chaînes et les pignons, répéter encore le vieux commandement : " lève-toi et marche ! "

Le projet de libération.
Bien sûr, on aurait pu trouver des amis en France pour acheter des chaises d'infirmes, organiser un projet, les envoyer jusqu'au bord du lac Victoria ; mais le matériel mis au point pour les routes asphaltées de France ne tiendront pas sur les cahots des sentiers et des pistes africaines ; et puis surtout, il y a sur place des gens capables de créativité et de dévouement au service de leurs frères ; il suffit de les encourager et de les guider pour les rendre agents de développement.
L'imagination est au service des pauvres : les femmes peinent chaque jour pour la corvée d'eau ; les rivières sont à plusieurs kilomètres, l'eau souvent boueuse ; pourtant il y a de l'eau, de la bonne eau claire, mais elle coule à trente ou quarante mètres au dessous du sol ; un ami missionnaire découvre les courants souterrains à l'aide de baguettes et de pendules ; des puits sont creusés, des éoliennes sont installées, des bassins sont construits : c'est toute la vie qui change quand on peut se laver ou se désaltérer à volonté, quand on peut irriguer quelques jardins de légumes.
En mission, il faut savoir tout faire, même (et surtout) ce qui n'était pas prévu ! enseigner et partager la Parole de Dieu, courir la brousse, conseiller et organiser les jeunes communautés chrétiennes, mais aussi soigner, et en plus forger, souder, fabriquer des chaises roulantes avec des morceaux de bicyclettes.

Prévoir l'imprévu !
Est-ce que c'était prévu lorsque Max Tertrais se lançait dans l'aventure missionnaire, il y a cinquante ans ? Après quelques années d'étude théologique en Tunisie, il demande à partir " sur le terrain " avant de s'engager : il va enseigner dans une école secondaire à Aïn Sefra, dans le sud algérien. La mission, c'est s'attendre à l'inattendu ; en 1957, il est ordonné prêtre et au lieu de repartir au Sahara, il est envoyé au Congo.

L'épreuve
C'était alors la colonie belge, et personne ne soupçonnait l'orage qui s'annonçait, à part
peut-être l'évêque missionnaire. L'immense Congo, grand comme cinq fois la France, emporté dans le mouvement qui secoue toute l'Afrique vers l'indépendance, n'a pas été préparé a y accéder. Quelques étudiants congolais, moins d'une dizaine, poursuivaient les études supérieures. Les richesses minières attirent les convoitises occidentales ; guerres, massacres, luttes d'influence sanglantes ponctuent les années 1960 à 1970. Max, avec ses confrères belges, se trouve au cœur de la tourmente : prison, tortures et coups, tympan éclaté, nuits passées nus dans des cellules surpeuplées. Après mille menaces, des jours de peur et d'incertitude, des nuits d'angoisse où seule la prière peut sauver de la folie et du désespoir, Max a besoin de repos et de soins ; il revient en France. Pendant quelques années, il fait partie de la communauté chrétienne de la banlieue de Versailles, puis repart : "chez lui" c'est "là-bas" !


1985-1986 Notre Premier pas.Eolienne "Sahores-Dello"

Un des sept puits creusés par des jeunes artisans

 

Chez les wasukuma
Il est plus prudent d'éviter le Congo (Zaïre). La Tanzanie est voisine, et c'est là qu'il repart. Il rencontre une nouvelle tribu, la Wasukuma : ils sont plusieurs millions, avec leur langue, leur culture, leur histoire : c'est une nouvelle rencontre, un nouveau challenge.
Les païens, çà n'existe pas en Afrique, surtout pas chez les Wasukuma : ils connaissent Dieu, mais tellement saint et pur qu'aucun homme ne saurait l'atteindre par ses paroles ou ses prières ; entre Lui et les hommes, il y a les ancêtres ; après la mort, les membres des familles continuent à partager la vie des vivants, leurs soucis, leurs espérances, leurs aspirations ; comme ils ont quitté la vie sur terre, ils sont plus proches de Dieu, c'est donc à leur intercession qu'on confie toutes les prières. C'est avec eux qu'on partage les offrandes de prémices. La Bonne Nouvelle c'est l'ouverture d'un chemin personnel vers celui qu'ils osent déjà nommer "Père" ; à la lumière du Christ c'est toute leur vie qui reprend un sens, leurs joies comme leurs peines, leurs deuils comme leurs fêtes ; dans sa mort et sa résurrection, c'est toute la communauté qui retrouve un projet ; la loi unique est celle de l'amour fraternel, garantie de l'amour authentique de Dieu. C'est là qu'il met sur pied un atelier de fabrication de chaises roulantes pour aider les nombreux infirmes de Tanzanie.
A 73 ans, Max ne se sent pas encore prêt pour la retraite ; après quelques mois de repos et de soins médicaux, il est reparti sur les rives du lac Victoria, animé d'un désir jamais émoussé, celui d'aller vers ceux qui souffrent, comme Pierre après le Pentecôte, à l'entrée du Temple : "Je n'ai ni or ni argent, mais ce que j'ai, je te le donne : au nom de Jésus Christ, lève-toi et marche ! "


Max Tertrais et ses aides

Pharmacie de village

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