Voix d'Afrique N°64



Témoignage du Père Gérard CHABANON
Supérieur Général

La Mission, ça grandit. C'est vivant, aujourd'hui, avec un passé, un avenir. La Mission, c'est l'aventure humaine, avec ses étapes, ses horizons toujours nouveaux. La Mission c'est le courage pour se mettre en route chaque jour, avec l'humble patience du pas à pas quotidien. La mission, c'est nouveau chaque jour.
Gérard Chabanon en est témoin. Suivre son parcours, depuis le Velay natal jusqu'à Paris, en passant par le Mali, la Tanzanie et Londres, depuis la brousse africaine jusqu'au 3ème arrondissement de Paris, c'est suivre celui de la mission.

Puy-en-Velay

Un jeune
Né en 1948, c'est un "jeune" parmi les Missionnaires d'Afrique "Jeunes", cela veut dire ceux qui sont arrivés après la guerre, ceux qui ont participé aux grands mouvements qui ont secoué la France et le monde dans les années 60 : la décolonisation, les indépendances en Afrique, le Concile Vatican II, et les mises à jour, "aggiornamento", appelées par le Bienheureux Pape Jean XXIII.

Ses racines : le pays de la verveine et des lentilles, le troupeau de vaches à sortir dans les prés tous les matins, à ramener à l'étable tous les soirs, les labours, les semailles, les moissons, à l'ombre des imposantes constructions du scolasticat des Jésuites à Vals, dans la banlieue du Puy en Velay. Les étudiants étaient assez nombreux pour s'occuper des jeunes des environs : Gérard y apprend non seulement le football et le théâtre, mais aussi la joie de l'aventure chrétienne. En 1962 les "Pères Blancs" vinrent remplacer les jésuites, mais l'esprit était le même. Gérard décide de se lancer dans l'aventure.

Le Concile Vatican II parvenait à son terme lorsqu'il arrive à Kerlois pour commencer sa formation missionnaire, pour un an seulement car le séminaire déménage à Strasbourg pour profiter d'un environnement universitaire. Deux ans après, le noviciat est ouvert à Fribourg, en Suisse. Maison Carrée, près d'Alger, a été remis au gouvernement algérien, et la vénérable institution a dû émigrer à Gap, et maintenant en Suisse. Gérard comprend très tôt qu'il faut toujours apprendre à essuyer les plâtres et s'attendre à l'inattendu !

Pour le première fois, il "passe la mer". Il part pour le Mali, dans le cadre des V.S.N (Vonlontaires du Service National) qui remplace le service militaire. Pendant deux ans, il enseigne au petit séminaire de Togo, dans le diocèse de San : il fait face à tout pour initier les jeunes Maliens aux sciences, à l'histoire et à la géographie. Il faut savoir imaginer pour parer aux urgences. Le premier goût de la mission lui plaît et il décide de continuer.

C'est alors l'Angleterre, Totteridge, dans banlieue de Londres : la théologie en Anglais, dans une communauté très internationale et déjà interculturelle. Il est ordonné prêtre chez lui, au Puy, en 1976. Il avait demandé à aller au Mozambique, l'ancienne colonie portugaise, la dernière à avoir acquis son indépendance ; mais le gouvernement marxiste n'accepte les étrangers qu'avec réticence, à fortiori les missionnaires ; ce sera donc la Tanzanie.

Première Mission en Tanzanie : en brousse
Mbeya, ce sont les montagnes dévalant de 2000 m à 460 m près du lac Malawi. Ipinda, son premier poste, est très peuplé et relativement riche, car la terre est généreuse et les pluies abondantes. Sur 50 km à la ronde, une trentaine de communautés chrétiennes demandent les visites fréquentes ; les missionnaires sont une petite équipe, deux ou trois prêtres. Le programme est chargé : d'une semaine à l'autre, ils partent sur les pistes boueuses ou inondées pour partager pendant quelques jours la vie des paysans. Gérard y apprécie la simplicité, le sens de l'accueil, les longues veillées autour du feu, le temps donné à la rencontre toute simple : cette première expérience missionnaire influencera la suite de son long parcours.

Une église engagée
La Tanzanie a été conduite à l'indépendance par Julius Nyerere, dans l'esprit du socialisme africain, la "ujamaa" ; la population est fortement impliquée dans son développement, et l'Eglise, comme le reste du pays, n'est pas en marge ; les petites communautés chrétiennes sont fières de pouvoir subvenir à tous les besoins de la paroisse et de ses prêtres. Pendant quatre ans, Gérard sillonne la brousse à moto, escalade les montagnes et passe les rivières pour catéchiser, prier et célébrer, mais aussi former les leaders, construire et établir l'essentiel des structures. Déjà commençait à prendre consistance, dans l'esprit de Gérard, l'unité fondamentale du message chrétien : la foi dans le Christ est vaine si elle laisse de côté la vie des gens ; la charité s'exprime dans l'évangélisation des structures pour plus de justice et pour la Paix.

La grande ville : l'usine !
Quatre ans et demi après, il prend quelques semaines de repos chez lui et quelques mois d'études au Canada, puis revient en Tanzanie. Changement de décor : il est nommé dans la banlieue de Dar es Salaam, dans une grosse paroisse nouvelle, Manzese, qui demande du sang jeune. Les chrétiens sont près de 20.000, de toutes les couches sociales, venus de toutes les régions du pays pour travailler dans la grande ville. Certains ont perdu contact avec la vie chrétienne de leurs missions d'origine, d'autres ont de la peine à retrouver leurs repères dans un milieu à majorité musulmane.

"C'est l'usine !" Gérard se rappelle les queues devant son bureau, les sessions de formation pour les catéchistes volontaires, les rencontres parfois programmées, souvent imprévues. Les missionnaires sont deux ou trois seulement . Le territoire est divisé en secteurs ; les chrétiens se rencontrent souvent, dans leurs quartiers ; de nombreux bénévoles prennent des responsabilités pour les rencontres, la catéchèse des jeunes et des enfants, les mariages, l'accompagnement des malades.



Les jeunes forment presque les deux tiers de la population. Qu'ils soient encore à l'école ou déjà au travail, ils demandent à être éclairés, guidés, encouragés. En groupe, ils partagent leur vie, leurs soucis et leurs espérances, leurs expériences et leurs aspirations ; suivant la pédagogie de l'Action Catholique, ils commencent à discerner ce qui fait l'unité de leur vie, leur foi au Christ. Les couples avec le mari musulman et l'épouse chrétienne, ou l'inverse, sont presque monnaie courante ; quand ils demandent le baptême pour leurs enfants, il faut prendre le temps de dialoguer avec eux pour discerner les motivations. Pour des milliers de jeunes, on organise les préparations au mariage, la mise à niveau des catéchistes bénévoles, la catéchèse dans les écoles avec les permanents laïcs de la paroisse, des rencontres avec les responsables de tous les niveaux et de tous les domaines, religieux, politiques, sociaux, sans oublier les célébrations dominicales pour les 20 000 chrétiens, sept ou huit messes chaque dimanche.

Oui, c'est l'usine ! Heureusement, les tanzaniens sont accueillants et ouverts, et tout se passe dans une ambiance amicale, voire fraternelle. Gérard regrette seulement de ne pouvoir, comme à Ipinda, prendre le temps de s'asseoir pour une tasse de thé ou un verre d'orangeade. Et puis le soir, lorsque enfin la nuit est tombée et que tout repose, prendre un temps de repos et de prière devant le tabernacle, devant Celui qui l'envoie. Décidément, on n'a pas le temps de s'ennuyer.

Les années passent, saisons de pluies et de sécheresse ; Noël, Pâques, les vacances déjà, et de nouveau la rentrée ; les enfants poussent, les familles s'agrandissent, des nouveaux arrivent, des anciens partent, et ainsi va la vie.

Animateur de missionnaires
Et ce qui devait arriver arriva ! Gérard est remarqué et choisi pour assister le Supérieur Régional dans sa tâche d'animation des missionnaires de Tanzanie. Dans trois diocèses des montagnes, une trentaine de missionnaires d'Afrique travaillent dans la brousse. Gérard passe de nombreuses heures sur les pistes qui ne sont pas encore des routes. Rencontres, écoutes, partages prennent tout son temps. Il faut croire que ce nouveau genre d'apostolat lui réussit, puisque qu'il est nommé, après quelques années, supérieur régional.

Les missionnaires d'Afrique vivent toujours en communautés de trois ; les territoires comme la Tanzanie sont immenses, et souvent les postes sont isolés. Les visites sont rares, et le passage, pour quelques jours, du "supérieur" est toujours une fête, avec ses temps forts de réflexion, de dialogue, de discernement, et ses heures de célébration et de détente fraternelle.

Nouveaux défis
Les missionnaires commencent à prendre de l'âge ; le clergé africain devient plus nombreux et prend de plus en plus de responsabilités à tous les niveaux. De nouveaux appels se font entendre, de nouvelles urgences se présentent ; les villes s'étendent, avec les enfants des rues, les jeunes livrés à eux-mêmes, des pauvres de plus en plus nombreux restent en marge de la société. Les missionnaires sont attentifs à tous ces événements ; l'Esprit appelle, aujourd'hui. Des tensions se font jour entre l'apostolat traditionnel dans les paroisses bien établies et les nouveaux besoins. Les uns après les autres, les pionniers s'effacent, laissent la place.

Les villes et leurs banlieues s'étendent. Les mentalités évoluent. De nouveaux défis se dressent : l'argent, le confort pour certains, le sida, les traditions qui s'éteignent, le progrès et la liberté avec leurs illusions. Quelle place tiennent les missionnaires dans ce monde en ébullition ? Quelle est notre vocation aujourd'hui ? Aucune réponse toute prête n'est visible. Il faut prendre le temps de réfléchir - sans se laisser enliser dans les théories loin de la réalité - le temps de prier - car c'est là qu'est la source de tout - de partager, de faire la vérité, d'écouter et peut-être de rêver l'impossible, de se laisser remettre en place pour redémarrer dans l'espérance.

De nouvelles priorités sont discernées : continuer, comme par le passé mais avec des moyens différents, à élever les jeunes, à faire prendre conscience aux adultes des valeurs évangéliques, de leur vocation à bâtir un monde nouveau dans la Justice et pour la Paix. Finie, la Mission ? Certainement pas ! C'est une nouvelle aventure qui commence, sur les traces des anciens arrivés ici au début de l'époque coloniale.

Nouvelle étape, encore une !
Totteridge à LondresNouveau chapitre ! Il est appelé à Londres, l'ancien scolasticat où il a étudié il y a presque trente ans. Les candidats missionnaires, en majorité africains, mais aussi asiatiques et sud-américains, sont prêts à prendre la relève. Pour un temps, il fait partie de l'équipe des formateurs, avant d'être appelé à Paris, pour prendre en charge la Province de France. Et c'est reparti pour une nouvelle aventure !


Gérard Chabanon Provincial de FranceLes missionnaires âgés, au repos, sont la majorité dans la Province. La moyenne d'âge des missionnaires en France est de … 77 ans ! et ils ne sont pas sur la touche, loin de là. Le cœur est en Afrique, bien sûr ; ils gardent le contact par lettres, et cela nourrit leur prière. Ils continuent la mission en partageant avec leurs vieux amis les nouvelles, leurs expériences, leur témoignage toujours vivant.

Les jeunes sont rares, deux vont commencer leur année de formation spirituelle à Bobo-Dioulasso en septembre prochain.

D'autres chrétiens se sentent appelés à partager l'idéal missionnaire. Les Associations des Amis des Pères Blancs sont particulièrement dynamiques. Et une fraternité commence à voir le jour, pour partager cet idéal ; notre journal en informera les lecteurs prochainement.

Dernière heure

Maison Généralice Rome

Prévoir l'imprévu, espérer l'inespéré ! Alors que nous rédigeons cet article, Gérard est revenu du Chapitre Général à Rome. Nous savons qu'il ne reviendra que pour refaire, encore une fois, ses bagages. Le Chapitre général lui a demandé le service de Supérieur Général, pour les six ans à venir.

"La grâce est avec toi, cher Gérard, et avec la Société des Missionnaires d'Afrique !"

Gérard Guirauden
Missionnaire d'Afrique
Rédacteur en chef