Missionnaires d'Afrique
France

Sylvain Yaméogo

Cinq ans de mission au Mozambique

Sylvain Yaméogo, 37 ans, est né à Koudougou, au Burkina Faso. Après son ordination en 2007, il a été nommé au Mozambique où il a d’abord travaillé dans la paroisse et sanctuaire “Nossa Senhora de Fátima”, dans l’archidiocèse de Beira. Après la remise de la paroisse au diocèse, il rejoint la propédeutique des Pères Blancs à Beira où il donne un coup de main dans la formation.
Il poursuit à Friant un master en missiologie à L’ISTR.

« Je suis venu pour que vous ayez la vie et que vous l’ayez en abondance » Jn 10, 10. C’est cette sentence de Jésus tirée de l’évangile de Jean que j’ai choisie, à mon ordination et cette parole m’a habité depuis mon éveil vocationnel et m’anime encore aujourd’hui: à elle seule, elle résume mon expérience personnelle du Christ ressuscité. Pour moi, il est essentiel que toute mon activité missionnaire atteigne l’homme dans toutes ses dimensions : sociale, culturelle, politique, économique et spirituelle. C’est avec cet idéal au cœur, qu’après mon ordination en 2007, je reçus ma nomination au Mozambique, plus précisément dans la paroisse “Nossa Senhora de Fátima” (Notre Dame de Fatima), à Murraça.

Mes débuts furent difficiles, il me fallait apprendre deux langues en même temps : le portugais et le chisena.

La mission de Murraça
La paroisse Nossa Senhora de Fátima s’inscrit dans un ensemble : la mission de Murraça, une mission rurale, située le long du fleuve Zambèze, à 20 km de la petite ville de Caia et à 450 km de la grande ville de Beira. Cette mission comprend 2 paroisses : Nossa Senhora de Fátima-Murraça dont, avec cinq confrères, un membre associé et deux stagiaires, nous avions directement la charge et São Mateus-Caia qui bénéficiait de notre assistance pastorale. Les paroisses sont reparties dans des Zones pastorales. L’ensemble a une superficie de 1 200 km², une population de 60 000 habitants et 52 petites communautés de base.

Une histoire difficile
La mission a été fondée en 1946 par les Missionnaires d’Afrique. Elle fut d’ailleurs notre première implantation au Mozambique. En 1971, lors de l’expulsion générale des Missionnaires d’Afrique du Mozambique par le pouvoir colonial portugais, la mission de Murraça fut laissée à la charge de catéchistes qui ont continué la pastorale dans la mesure du possible. Quelques confrères reviendront en 1975. En 1983, la guerre civile éclata et il a fallu attendre 1992 pour que la paix revienne. En 1996 une communauté de confrères revient dans la mission et commence par restaurer les locaux saccagés : ils avaient été occupés par des militaires. Il fallut aussi beaucoup de temps pour que les populations, réfugiées au Malawi pendant la guerre, reviennent.


Sylvain célébrant dans une succursale

Ce qui explique que quand je suis arrivé à Murraça, on parlait encore de mission de “première évangélisation”, dénomination étrange lorsqu’on considère 1946 comme l’année de la fondation.

Les grands défis pastoraux
L’éducation et l’alphabétisation

Le secteur de l’éducation fut le volet central pour la conférence épiscopale du Mozambique. Pour nous les défis seront innombrables. La population de la mission est paysanne. Elle pratique une agriculture de subsistance dans cette région continuellement exposée à des inondations. Il n’en faut pas plus pour connaître la pauvreté. À Murraça nous avons un lycée qui accueille près de 700 jeunes. C’est un lycée communautaire. Le gouvernement pourvoit les professeurs et, en principe, les paie ; mais cependant le curé en est automatiquement le titulaire. Donc salaires des fonctionnaires, maintenance et mises aux normes sont à la charge du lycée, par conséquence de la paroisse. Il fallait donc exiger une scolarité, jugée toujours trop élevée par les parents d’élèves mais cependant insuffisante pour les dépenses du lycée. Pour permettre aux jeunes des villages plus reculés de poursuivre leurs études, il fallut également créer des internats de filles (gérés par les sœurs) et de garçons (gérés par les pères). Ces internats connaissent pareillement de lourdes difficultés financières. Il faut sans cesse trouver des aides extérieures pour joindre les deux bouts. Mais combien de temps cette situation tiendra-t-elle ?

L’éducation n’est pas le seul défi. La majorité de la population souffre d’analphabétisme. Beaucoup d’hommes et de femmes n’ont pas eu la chance d’étudier ; la guerre civile qui a duré 16 ans en est la principale cause. Il n’y avait pas plus de 30 % de la population qui savait lire et écrire en 2003. Pour y remédier, les confrères avec la population durent, sur une humble échelle, commencer un projet d’alphabétisation avec le soutien financier de quelques confrères. L’accueil se faisait sans aucune discrimination religieuse. Les cours étaient dispensés, le plus souvent, dans les chapelles de nos communautés de base. Quand je suis arrivé en 2007, le gouvernement avait promis de payer des allocations aux alphatesteurs. J’en eus la responsabilité plus tard.


La mission de Murraça est attentive à la formation
de sa jeunesse : écoles, sessions, mouvements.

Pour donner la chance d’une formation professionnelle aux jeunes, on a même tenté de créer une école technique qui proposait des apprentissages en menuiserie, en soudure, en maçonnerie et en électricité. Une tentative noble mais qui sera vite confrontée au manque d’encadreurs. La ville la plus proche, Beira, est à 450 km de Murraça, or faire venir des encadreurs de si loin, demandait de prévoir des salaires conséquents. Les sections de la menuiserie et de la maçonnerie ont tout de même fonctionné sous forme de coopératives.

La formation humaine
En même temps que l’alphabétisation, nous avons essayé de structurer la formation humaine et spirituelle et ce à tous les niveaux : des responsables de communautés, des catéchistes, des ministres de l’eucharistie, de l’animation des enfants, de l’animation liturgique, des chorales, des mouvements de jeunes. Ces rencontres étaient les lieux privilégiés de rencontre et de dialogue interculturel tripolaire qui favorisaient dans une certaine mesure un certain enracinement de l’évangile.

Il faut noter que la dispersion de la population durant les 16 ans de guerre civile a détruit une bonne partie de son tissu culturel et religieux. C’est pourquoi le Centre Diocésain de Formation, Nazaré, a lancé un programme de recherche et de formation culturelle, appelé « boas maneiras » (bonnes manières). En collaboration avec eux, nous organisions chaque année des sessions de formation surtout pour les jeunes.

L’autosuffisance
Cheminer vers autosuffisance avec un ancien réfugié, qui a été contraint pendant plus de 10 ans de ne plus cultiver la terre et de se contenter de ce qu’on lui donnait quotidiennement n’est pas une évidence. Surtout qu’avec les inondations fréquentes, les aides du gouvernement et des ONG font presque parti du projet annuel ce qui finit par créer une population d’assistés. Malgré tout, il nous fallait éveiller les consciences : nous avons alors créé un comité laïc de finance responsable de la gestion des ressources de la paroisse ; travail de réflexion des communautés pour voir comment générer les fonds pour les besoins de la communauté et pour ses œuvres caritatives. Ainsi, nous avons vu naître quelques initiatives communautaires : projets de champs ou d’élevages. Actions, certes minimes, mais lueurs d’espoir.

La commission de Justice & Paix
et la Formation pour la transformation

Le missionnaire reste, malgré ses essais d’insersions, toujours un étranger et son action demeure limitée. Notre tâche, c’est d’éveiller les consciences et d’aider les gens à trouver la solution appropriée à leurs problèmes. Ainsi, nous avons créé une commission Justice & Paix utilisant la méthode de formation pour la transformation. Plusieurs groupes ont bénéficié de cette formation qui consiste à faire connaître aux gens leurs droits et leurs devoirs et à développer en eux un esprit d’initiative pour la préservation et la protection du bien commun, l’engagement personnel et communautaire pour la justice et contre l’injustice sous toutes ses formes. Fortement appuyés par la commission diocésaine de Justice & Paix, nos acteurs locaux ont pu combattre la vente de leurs terres aux Chinois ou la coupe abusive de leurs forêts par ces mêmes Chinois et ce sans respect de contrats...

Est-ce que nous avons créé un environnement qui a offert la possibilité d’une expérience de Jésus comme source de vie en plénitude ? Je ne saurai le dire à la place des autres. Mais, finalement, la plénitude de la vie terrestre est un chemin vers la plénitude eschatologique. Mon expérience à Murraça souvent difficile, fut malgré tout très enrichissante : elle m’a apporté des réponses à certaines de mes questions et elle a transformé certaines de mes convictions en questions, m’ouvrant ainsi à un nouveau cheminement. La mission dans laquelle j’ai oeuvré durant cinq ans vient d’être transmise au diocèse ; j’en ai fait moi-même la passation au nouveau curé en fin décembre 2011.

Mes derniers six mois au Mozambique ont été consacrés à un travail de recherche dans 4 diocèses du Mozambique et à donner, en même temps, un coup de main pour la formation en propédeutique.

Sylvain Yaméogo