Les victimes des guerres en Afrique: " les femmes et les enfants...d'abord !!! |
Au sud Soudan, Anna Kima Hoth est "passeuse"... |
nna Kima Hoth défroisse
posément un pan de son boubou couleur d'automne.
Puis elle croise les mains sur ses genoux, vous regarde droit dans les yeux,
et vous assène sa première information :
non, elle ne pratique pas le dialogue inter religieux. Dans le contexte actuel
du sud Soudan, se justifie-t-elle,
les belles déclarations et les grands discours seraient franchement mal
venus.
Les combats font rage, d'une part entre le régime islamiste du Nord et
la rébellion du Sud, d'autre part
entre les tribus du Sud, notamment les Dinkis et les Nouer, qui veulent chacune
grignoter le territoire de l'autre. Des enfants meurent de faim, des mères
aux seins desséchés tentent en vain d'arracher leurs nourrissons
décharnés de l'agonie qui les guette, des hommes se battent. Peut-être
un jour, dit-elle encore, les Soudanais du Sud pourront à nouveau se
livrer à l'art de la joute oratoire. Mais ce n'est pas le moment : ils
ont d'autres préoccupations, bien plus vitales.
Vous l'écoutez avec stupéfaction. Anna Kima, une jeune femme
au tempérament d'acier, est pourtant précédée d'une
réputation de "passeuse".
Passeuse entre les ethnies, entre les traditions, entre les religions. Toutes
les provinces du sud Soudan connaissent sa silhouette longiligne, son port de
tête altier,
ses yeux qui expriment à la fois sa détermination et la détresse
de tout un peuple. On la dit femme de dia-logue, elle s'en défend. Au
détour d'une phrase, elle vous avoue qu'elle se considère plutôt
comme une femme d'action, armée de son seul bon sens.
u fil des jours, elle
parcourt inlassablement la savane et la brousse, elle arpente des sentiers rocailleux
ou des étendues désertiques,
elle frappe aux portes, s'installe au beau milieu des places des villages qu'elle
traverse, et travaille... à rassembler. Qui ?
"Les femmes. Toutes les femmes. Je ne leur réclame pas leurs papiers,
j'ignore à quelle religion ou à quelle tribu elles appartiennent.
Je leur apprends simplement à découvrir leurs nombreuses affinités.
Rien ne ressemble autant à une femme qui donne la vie et se bat pour
le bien- être de ses enfants qu'une autre femme qui donne la vie et se
bat, elle aussi, pour le bien-être de ses enfants. Quant à nos
hommes, je crois qu'ils ont montré leurs limites. ils sont trop occupés
à s'entretuer, pour des raisons qu'ils ignorent probablement eux-mêmes".
D'une certaine manière, Anna Kima est l'incarnation de la rencontre
entre les religions. Sa grand mère était animiste, son père
est musulman, elle-même est chrétienne, comme sa mère. Mais
chrétienne catholique ? Orthodoxe ? Peut-être copte ? Elle vous
regarde avec un rien de pitié. Pose sa main sur votre épaule et
vous explique longuement le but du mouvement cuménique : réaliser
l'unité entre tous les chrétiens.
"Je suis une disciple du Christ. J'ai été baptisée
dans une Eglise protestante, mais je me considère avant tout comme une
chrétienne".
Elle rectifie aussitôt : "Je pourrais vous décliner mon identité
de mille manières. Vous préciser que j'appartiens à l'ethnie
des Nouer.
Ou encore à tel clan de telle tribu, de cette ethnie. En quoi cela vous
avancerait-il ? Je suis d'abord une femme. Une victime d'une guerre que je ne
comprends pas".
Jeune fille du Sud Soudan, que sera son avenir ? |
nna Kima Hoth aurait
pu couler paisiblement ses jours à Malakal, la ville du sud Soudan où
elle est née et a été scolarisée.
Ou encore à Khartoum, la capitale soudanaise où elle s'est installée,
adolescente, avec sa famille :
"Je me suis mariée en 1986, et j'ai gagné le sud Soudan avec
mon époux. Quelques mois plus tard, la famine, le cycle de la violence,
nous ont contraints à l'exode. Nous mangions des racines, nous buvions
une eau saumâtre, nous étions comme des bêtes en quête
de survie. Nous avons rejoint l'Ethiopie où j'ai enseigné l'arabe
et l'anglais dans une école copte. En 1991, une nouvelle guerre, en Ethiopie
cette fois, nous a remis sur les chemins de l'exil. Nous avons rejoint le Kenya
à pied, dans des conditions épouvantables. J'avais déjà
deux enfants. Et je souffrais doublement: pour eux, et puis pour moi"
Anna Kima a alors une "révélation": "Autour de
moi les réfugiés passaient leurs jours en longs palabres axés
sur une même question: "Qui a tort ? Qui est à l'origine du
mal dont nous sommes victimes ?" Et ils se battaient de plus belle, chacun
s'accrochant à ses propres certitudes, défendant sa propre ethnie
ou sa propre religion. J'ai inversé cette question. Peu importe l'origine
du mal, je me suis plutôt demandé : "Qu'est-ce qui va mal
?". J'ai rejoint le Nouveau Conseil des Eglises du Soudan,
basé au Kenya, où j'ai été installée au standard.
J'assurais l'accueil, je répondais aux appels de détresse.
Puis j'ai accompagné des délégations humanitaires au Soudan,
où je servais d'interprète. Entre temps, mon mari est parti à
la guerre. Il ne m'a pas demandé
mon avis : il s'en est allé un jour, il n'est plus revenu. Il doit se
battre quelque part, contre une ethnie rivale ou alors contre le régime
de Khartoum. Et les civils payent le prix de cette haine diffuse. J'ai alors
décidé, moi aussi. de me battre. De me battre pour la paix".
Promue responsable du programme Femmes et Jeunes pour la région de Kordofan
et de Darfour, Anna Kima réunit les femmes,
souvent délaissées "par des hommes partis tuer d'autres hommes",
lance t-elle avec mépris. Elles sont musulmanes, chrétiennes ou
fidèles des religions traditionnelles. Elles sont Arabes, Dinkis ou Nouer.
Et elles mettent en commun leur savoir et leurs énergies pour se lancer
dans l'un ou l'autre de ces macroprojets de développement encouragés
par le Nouveau Conseil des Eglises du Soudan et par Caritas International. "Ce
sont des gouttes d'eau, mais elles finiront par remplir le vase", assure-t-elle.
A certaines, a été fourni un nécessaire du parfait pêcheur:
des cannes à pêche, des fils, des hameçons, de petites barques,
des filets. D'autres se sont lancées dans l'agriculture : " Les
rives du Nil sont constituées de terres arables.
Il suffit de les défricher et de les ensemencer. Évidemment, si
nous avions des pompes pour assurer l'irrigation, ces projets seraient
plus rentables", regrette Anna Kima. Et, tandis que les femmes travaillent,
les enfants jouent ou étudient ensemble. "Ceux là seront
moins tentés de se faire la guerre. A force de coexister, indépendamment
de leurs croyances ou de leurs origines, ils ont cessé de fantasmer l'autre,
d'être terrorisés par lui.". Les femmes qu'elle côtoie
ne sont ni des intellectuelles ni des diplômées, mais "des
femmes du peuple, des paysannes, celles qui souffrent vraiment. Elles ont du
bon sens. Elles savent ainsi, presque d'instinct, qu'une maison ne peut être
complète si elle ne dispose à la fois d'une chambre et d'une cuisine,
d'un salon et d'une salle de bain. C'est cet ensemble, harmonieusement édifié,
qui constitue LA maison. Ainsi en est-il de notre pays".
Depuis 1987, Anna Kima n'a plus revu sa mère, restée à
Khartoum. "Elle me manque", dit-elle, les larmes aux yeux. Elle espère
un jour pouvoir se rendre dans la capitale. "J'ai plusieurs amies musulmanes
qui vivent la même situation
Elles pleurent l'islam bon enfant qui
était traditionnellement implanté chez nous. Elles sont elles
aussi victimes du régime au pouvoir ! Un régime bien peu musulman,
si l'on en croit les règles de paix et de fraternité édictées
par le Coran...
(Allez voir aussi les documents dans Foi et Justice.
article du 25 mai 2001 et le reste)