avec les sans papiers
Depuis bientôt deux ans, le père Georges Paquet est bénévole à l'antenne de Paris nord-ouest du Secours Catholique. Etant resté une trentaine d'année en Tanzanie, il a l'impression d'y être encore, dans ce quartier près du métro Stalingrad.
Nous sommes dans des locaux qui appartiennent à la SNCF. Les personnes que nous accueillons sont, soit des nouveaux arrivants, complètement perdus, croyant que l'on va arranger leurs problèmes en cinq minutes, soit des gens qui ont déjà traîné des heures et des heures dans les locaux de l'administration, sans rien obtenir. Ces gens viennent donc avec une attente énorme et nous avons donc besoin de personnes compétentes, en matière e droit, pour ne pas les décevoir une fois de plus.
Moi, je n'ai pas la formation nécessaire, mais je m'y mets tout doucement... car pour le moment, je suis celui qui les reçoit, en premier; la plupart de nos visiteurs, viennent de pays d'Afrique - il y en a même quelques uns qui parlent le Swahili que je connais. Je suis allé en Algérie et au Sénégal, et cela me permet de briser la glace assez facilement, de créer un lien et de pouvoir leur conseiller une autre adresse, s'ils se sont trompés. En effet, nous ne faisons, dans ce service, qu'un accompagnement pour les aider à remplir correctement les différentes formalités pour un éventuel droit de séjour régulier. Nous avons même quelques avocats qui peuvent les recevoir. Nous les accompagnons parfois dans leurs démarches dans les bureaux de l'administration. Mais très souvent, on ne peut rien faire pour ces jeunes, venus chercher du travail et originaires de pays dits "sûrs ", c'est-à-dire des pays comme le Sénégal, le Mali, où il n'y a pas de guerre, de torture généralisée... Alors on prend une tasse de café et je n'ai plus qu'à leur dire la dure réalité : vous devez rester clandestin dix ans, et seulement après cela, vous pourrez demander une régularisation éventuelle, si vous pouvez fournir trois preuves, par an, de votre présence en France!
La vie de clandestin, c'est de n'avoir aucun droit (sinon aux soins gratuits mais le gouvernement, remet tout cela en cause). Au mieux, le clandestin est logé chez un copain, un parent. J'ai rencontré une famille qui était logée dans une chambre de bonne; la femme faisait le ménage des propriétaires, sans être déclarée, avec un salaire de misère. Quand elle est devenue enceinte, ils ont dû partir à la rue...
Ils font des petits boulots, travaillent quelques jours, sans être sûrs de recevoir un salaire. J'ai mangé, dans un de nos restaurants pour les gens de la rue, avec deux femmes originaires d'Afrique; l'une avait un enfant, elle ne savait pas où était passé le père; l'autre était enceinte de trois mois; elles n'avaient aucun endroit fixe pour dormir, mais elles connaissaient une autre Africaine, qui a un bar non déclaré, et avec d'autres femmes elles s'entraidaient un peu...
Pour le dernier Noël orthodoxe, j'avais dans mon bureau un Polonais et sa copine, une Ukrainienne; on a partagé quelques chocolats et ils sont repartis dans la rue, le 115 était saturé... Une Chinoise qui suit les cours de Français dans notre local, n'a pas de preuve officielle de son arrivée en France; son dossier de dix ans, avec plein de preuves, est donc bloqué. Je suis allé voir le film anglais " In the world " (dans ce monde); il montre bien la détermination de tous ces gens, prêts à tout, pour venir travailler chez nous. Certains ont tout vendu pour payer les passeurs, d'autres ont laissé de lourdes dettes dans leur village, pour un voyage très risqué de plusieurs mois. La première personne que j'ai rencontré, était une jeune chinoise, arrivée enceinte, après dix mois de galère et elle était refusée par le réseau de travail clandestin à cause de son enfant.
Prêts à tout pour réussir
Le monde est devenu comme un petit village, où l'on circule sans difficulté : j'ai vu un film, fait par deux filles de la bourgeoisie, qui ont fait un long voyage en vélo, sans dépenser un seul centime; leur seule préoccupation était de ne pas se faire voler leur matériel de photo et leur vélo.., elles étaient toutes fières de dire qu'elles avaient toujours trouvé une maison pour les accueillir pour la nuit.
Quand on n'a rien dans son pays, on rêve que l'on a une chance de devenir un Zidane, ou comme ce Malien, qui a dirigé l'expédition sur Mars avec les USA! Quand on est parti, surtout d'Afrique, on ne revient plus tant que l'on n'a pas réussi -retourner au pays les mains vides est impossible. Chacun est donc prêt à tous les travaux les plus pénibles, les plus dégradants pour pouvoir envoyer, de temps en temps, un chèque à la famille et ainsi prouver que l'on est capable de réussir même au prix d'une vie d'esclave (ce que l'on ne
sait pas toujours au pays). " les Maliens de l'extérieur envoient au pays soixante millions d'Euros par an ". (1)Il y a " ceux qui misent sur leur réseaux... leurs activités, qu'elles soient licites ou criminelles, mobilisent des filières transnationales " (2). L'idéal serait que ceux qui ont les décisions en main, construisent davantage un monde où chacun pourrait travailler et vivre décemment là où il est né; mais on en est loin. " Lancer un projet industriel en Afrique est un énorme défi !... " (3) ; et le Français moyen manipulé par les pub, ne pense qu'à payer moins cher ses bananes, sa porte en bois exotique, ou acheter bon marché une nouvelle chemise (faite par les clandestins, dans des caves).
S'engager, maintenir la pression
Mais il ne faut pas baisser les bras; de nombreuses personnes travaillent aussi à faire changer les mentalités, d'autres prennent des risques en accueillant chez eux tous ces exclus de la terre,...
Quand j'étais en Tanzanie, j'étais membre d'un parti politique français, pour avoir des outils pour aider les gens à rentrer en politique - Dimanche 16 novembre, j'ai participé à la collecte du Secours Catholique dans ma paroisse; j'ai pu parler à une homélie : " le chrétien, pour moi, est celui qui croit ces paroles de jésus, proclamées ce jour là: le ciel et la terre passeront mais mes paroles ne passeront pas' '. Ne restons pas à nous lamenter, à revendiquer, à monter des théories, à croire au grand soir (comme les partis dits révolutionnaires), soyons engagés partout où l'on prend des décisions -et les laïcs doivent plus se lancer dans la politique avec les autres- il n'y a pas d'alternative! Et nous savons très bien que les politiques sont tentés de trop penser aux prochaines élections, de se promener chez les pauvres avec pleins d'avions, comme le fut le dernier voyage de notre Président de la République en Afrique... raison de plus pour ceux qui n'ont pas fait ce choix, de les aider en maintenant la pression par l'action syndicale ou autres groupes de la société civile. Pour moi, c'est là que l'Esprit du Seigneur nous envoie toutes et tous pour mettre notre petite pierre pour un monde avec plus de partage, car pour nous la terre est à tous.(4)
Georges Paquet, Missionnaire d'Afrique
(1) Le Monde, 26 oct. 2003
(2)(3) Alternatives Internationales, nov.2003, p.lO
(4) lire aussi " Courrier International, n°676, oct. 2003. Un dossier fourni qui vous ouvre les yeux: la grande majorité de migrants et des réfugiès sont ailleurs qu'en France et en Europe