Voix d'Afrique N° 52
Sahel

Vie et Coutumes des Touareg


Algérie, au moment de la prière.
Lors d'une rencontre missionnaire interdiocèsaine
sur l'évangélisation
du Sahel burkinabé,
Monsieur Mohammed Dag Ibrahim, Targi, professeur de Français au lycée
de Gorom-Gorom, donna une conférence sur les Touareg. Voici des larges extraits de cette conférence.
(Touareg est le pluriel de Targi)



Mode de vie des Touareg
et Organisation

Les Touareg dans la province se subdivisent en castes ou en clans, et constituent l'une des franges minoritaires de la population. Ils sont moins de 5000 habitants, toutes castes confondues. On les rencontre dans les villages de Béiga, Darkoye, Beldiabé, Tassamakatt, Goungam et Tin-Akof.

Ils sont essentiellement éleveurs, donc nomades pour la plupart, avec une tendance à la sédentarisation, leur cheptel étant considérablement réduit. Leur nourriture de base est le mil, dont les mets sont le "Tô" et le Tida" (semoule de mil plus lait). En hivernage, la nourriture principale est le lait ; la société Touareg est une société hiérarchisée avec ses strates de haut en bas :
- Les Touareg dont le chef est le premier responsable coutumier de la tribu ou du clan.
- Les Inhadan, forgerons ou cordonniers. Ils sont considérés comme des moins nobles. Ils confectionnent les objets de literies, de parures (bijoux), de montures (selles de chevaux et de chameaux), instruments aratoires. Ils jouent enfin un rôle important dans l'organisation des mariages, des baptêmes, dans les cérémonies d'initiation chez la femme et l'homme.
- Les Bella, anciens hommes de corvées, mais qui, de nos jours, ne sont plus sous le joug des Touareg.

Le matriarcat

Sur le plan succession à la chefferie traditionnelle chez les Oudalan, elle se fait sur la base du matriarcat, le patriarcat étant abandonné pour les raisons suivantes. En effet, des querelles intertribales et surtout la résistance des Touareg contre la pénétration française en Mars et Mai 1916, ont considérablement anéanti cette ethnie (génocide).

Seuls quelques hommes en bas âge ont survécu et ils ont été contraints d'épouser des femmes beaucoup plus âgées pour perpétuer l'ethnie. C'est dans le souci de préserver la souche que le matriarcat a été choisi pour désigner les chefs de cette tribu.

Le flirt
Avant d'aborder le mariage, il serait bien de parler du flirt chez les Touareg. En effet, les jeunes hommes courtisent les jeunes filles par le moyen, par exemple, de chiques de tabac ou par un mot en Tifinagh (écriture Tamacheq).La cour aux jeunes filles obéit à des règles :
- Faire connaître à la jeune fille que le jeune homme a un penchant pour elle.
- Lorsque le jeune homme va chez la jeune fille, il doit attendre que toute animation dans le village s'éteigne.
- Une fois chez la fille, il doit la ré-veiller en se déportant vers la tête, en lui pressant par exemple les mains sans mot dire. Une fois réveillée, les échanges entre les deux amoureux sont de simples chuchotements.

Le flirt proprement dit se limite à de simples caresses ou tout au plus à des baisers. Le coït est complètement proscrit pour l'image de marque des deux soupirants. Si l'homme s'entêtait à le faire ou plutôt à vouloir le faire, la fille pensera que ses rapports frisent l'indélicatesse et la bassesse. Elle finira par rompre les rapports..


Jeune Targi de Mauritanie


La demande en mariage

Elle se fait de la façon suivante : S'assurer que l'on a un accord de principe de la fille ; dans bien des cas l'homme délègue alors une ou plusieurs personnes âgées pour "demander la main de la jeune fille" ou sceller les fiançailles. Cette cérémonie est émaillée de discussions entre les camps de l'homme et de la fille pour aboutir sur un consensus de dot. C'est une sorte de marchandage. Généralement la dot est fixée en nature (animaux: chameaux ou bœufs) ou en espèce. Une partie ou la totalité de la dot est versée aux parents de la jeune fille. Cette cérémonie est "officiée" par une personne instruite en Islam. Après cette étape, une date est retenue pour célébrer le mariage (c'est à dire que la fille rejoint le domicile conjugal).
Elle est accompagnée d'une vieille femme qui sert de conseillère et des filles de son âge pour lui tenir compagnie. C'est l'occasion de fête avec faste, à la dimension du nouveau marié. Ce sont de grands repas aux-quels font suite les réjouissances.

Il faut dire que malgré la détérioration des mœurs, des aspects culturels positifs demeurent. Telle la chasteté avant le mariage ou la proscription de l'adultère. Cette observance de la chasteté est très courante en milieu traditionnel, car elle rehausse la nouvelle mariée et honore la famille de celle-ci. Selon les règles de l'islam, lorsqu'une femme commet un adultère, ses enfants contractés par mariage deviennent illégaux mais légaux pour l'homme.


Le divorce

On ne peut parler de mariage sans évoquer l'autre côté de l'iceberg, en l'occurrence le divorce. Lorsqu'un homme veut divorcer, il doit le faire devant des témoins dignes de ce nom. En pareille circonstance, la dot qu'il a versée à sa belle-famille n'est pas remboursable.

Mais lorsque la femme, pour une raison ou pour une autre, demande le divorce et que celui-ci est accepté par I'homme, la femme est tenue de rembourser la totalité de la dot. Il est cependant interdit de divorcer d'une femme en grossesse.

Après le divorce, la femme peut se remarier dans un délai de 130 jours, soit 4 mois et 10 jours. La situation de divorce n'est pas approuvée en Islam car un HADITH dit que la chose autorisée et détestée par Dieu est le divorce. Le seul motif de divorce acceptable est l'adultère.

Monogamie

Malgré l'autorisation de la polygamie par l'islam ( jusqu'à quatre femmes), la communauté Touareg est monogame (un homme et une femme). Cette société dans un passé récent était endogame, c'est à dire que les mariages se contractaient au sein des membres d'une même ethnie. La pratique de cette monogamie est tributaire à la femme. De nos jours, grâce à la détermination des femmes dans cette lutte, il n'existe aucun foyer polygame Touareg.

Autres coutumes des Touareg

Malgré la forte implantation de l'islam dans ce milieu, des pratiques continuent d'exister. Ces pratiques ou ces manières de penser diffèrent d'une tribu à l'autre.
- Le port du turban ou du Voile selon le sexe est obligatoire. C'est un signe de nudité que d'être sans turban. On ne doit l'enlever qu'au coucher.
- Un Touareg Oudalan mangerait chez un autre Touareg Oudalan sans appréhension. Mais lorsqu'un Oudalan se rend par exemple dans la tribu des Idamossen, tous les gestes sont contrôlés selon les règles de la bienséance. Certains Oudalan très conservateurs iraient jusqu'à refuser de manger malgré un séjour de 24 heures. La raison fondamentale est la rivalité entre les deux tribus dans le sens de la noblesse.
- Un homme de la trempe d'un adulte surtout dans certains milieux ne doit pas courir devant le danger, mais il doit y faire face.
- En voyage, le port d'une tenue décente est obligatoire (turban allacho), un grand boubou, un petit boubou en dessous et un pantalon. Il faut avoir une bonne monture (chameau, cheval) bien harnachée.
- Lorsqu'on reçoit un étranger de marque, L'hôte est tenu de tuer un animal (chèvre ou mouton) pour faire un bon repas.


Vieux Targi du Niger

L'initiation

La cérémonie d'initiation de la femme est obligatoire et survient vers 12 ou 13 ans d'âge. Pour cela la femme porte un pagne, un grand boubou et le voile qu'elle ne doit plus enlever de la tête. La tête est tressée et parée de bijoux. La fête de cette initiation peut durer sept jours.
- L'excision n'est pas pratiquée chez les Touareg.
- Dès la tendre enfance, on enseigne à la jeune fille une bonne tenue : par exemple, le contrôle du langage, éviter d'adopter des attitudes vicieuses en position couchée ou assise.
- La nouvelle accouchée doit avoir auprès d'elle un couteau, pour éloigner de son enfant les mauvais esprits.
- La médecine traditionnelle reste encore pratiquée avec des recettes variées à base de racines, de feuilles, de roches ou de sable.

Je terminerai en disant que la liste est loin d'être exhaustive. La société Touareg demeure conservatrice mais bon nombre de valeurs tendent à s'effriter ; l'exemple le plus éloquent est le mariage avec d'autres ethnies. Cela d'ailleurs nous éviterait les mariages consanguins source de tares ou d'extinction d'une ethnie. Cette société qui, jadis, avait la suprématie militaire et politique de la région, ne reste plus que l'ombre d'elle-même. Des valeurs cardinales de cette société nomade se sont érodées comme une peau de chagrin, laissant une minorité Touareg qui a maille à partir avec les temps nouveaux. Des villages entiers comme Kishi, Béiga, Ziguibéry, jadis centres politiques de la chefferie Touareg, se sont dépeuplés de cette population qui a migré vers des centres urbains à la recherche de petits boulots précaires. La société Touareg traverse aujourd'hui une impasse difficile qui rappelle la triste page du déclin de glorieux empires africains. Les Touareg du Burkina Faso sont néanmoins restés en parfaite symbiose avec les autres peuples du Pays à la différence du Niger ou du Mali qui ont connu des rebellions armées défendant, face à l'autorité locale, la cause des hommes du désert. Pour assurer la grandeur de cette nation qui a conservé sa langue et son écriture, le Tifinagh, il faut adapter l'économie nomade à l'ère de la modernité.


Visite en ville, au Mali

 

Dans cette lutte pour la survie, les Touareg sont condamnés à soigner cette image de peuple pilleur, guerrier et esclavagiste qui vit de la soumission d'autres populations.

Un peuple se meurt dans le silence indifférent de la communauté internationale et il est temps de le soutenir pour restaurer une économie viable.

Mais en réalité, les vrais maîtres de leur destin sont les Touareg eux-mêmes, qui ont bravé toutes les sécheresses et qui doivent faire montre de leur capacité à rebondir.