Voix d'Afrique N°45
Connaître un Pays: Le Rwanda

"Jubilé de 100 ans d'évangélisation"



 


Photos des premiers misionnaires

Abdon, catéchiste. Clique pour les photos du jubilé

Était-il permis de " jubiler"
quand un évêque est en prison, qu'on lui demande des comptes, à lui et à toute l'Église du Rwanda ? Le calendrier des célébrations du jubilé était rythmé par les comparutions de Mgr Misago au tribunal… Heureusement, Mgr Misago a été acquitté et libéré le 15 avril, ce qui a soulagé, par le fait même, l'Église de pas mal d'accusations pour lesquelles elle était jugée à travers lui.

Mais le bilan doit être fait. Pour des raisons de vérité et de justice. Il faut voir le chemin parcouru, les résultats négatifs et positifs, les lacunes, les manquements, les omissions, les faiblesses… Il est dommage que l'Église du Rwanda doive faire son bilan le couteau sous la gorge, sur fond d'accusations très graves, avec des ouvriers apostoliques tués, en prison, en exil…

L'opinion générale, surtout après le génocide, veut juger l'Église dans ses implications politiques, supposées ou réelles. Il ne faut pas nier ce point de vue, mais il ne faut pas non plus en être obnubilé, car l'Église a eu son influence dans d'autres domaines aussi, une influence très positive dont le peuple lui est reconnaissant et pour laquelle il lui reste indéfecti-blement attaché.

Qu'elle ait essuyé un échec ou connu un succès, l'Église du Rwanda a le mérite d'exister. On ne peut la gommer. Elle est là. Certains lui reprochent même d'être trop présente, omniprésente, trop puissante, incontournable, "nuisible" paraît-il… D'autres diront qu'elle est "jeune, belle, mais fragile" . Les statistiques sont claires : elle est présente sur toutes les mille collines, elle est présente dans tous les secteurs de la vie nationale. Le fait du génocide est encore à évoquer, d'abord parce qu'il a faussé tous les paramètres, mais aussi pour tempérer tout triomphalisme à partir des chiffres, qui, sans le génocide, seraient à prendre comme un réel et indiscutable succès.



Le fait du génocide est encore à évoquer, d'abord parce qu'il a faussé tous les paramètres, mais aussi pour tempérer tout triomphalisme à partir des chiffres, qui, sans le génocide, seraient à prendre comme un réel et indiscutable succès.

C'est le 2 février 1900 que le premier missionnaire a foulé le sol du pays. À partir de là, le christianisme s'est vite implanté au Rwanda. Dans les années trente, on parlait carrément de l'Esprit qui soufflait en tornade ! Rarement on a eu autant de conversions en si peu de temps. Comprenons l'enthousiasme des missionnaires qui n'en espéraient pas tant, surtout qu'ils venaient de se faire expulser de l'Ouganda. Sans discuter des motivations qui les poussaient ni des stratégies qu'ils ont adoptées, disons tout simplement qu'ils voulaient "convertir" et amener au christianisme le plus de Rwandais possible. Ils y sont parvenus.

De nombreux postes de mission
Il y a d'abord eu l'occupation de l'espace. Tout de suite les paroisses, appelées autrefois "missions", se sont placées aux quatre points cardinaux. Aujourd'hui, les paroisses sont au nombre de 133 (avec plus ou moins 500 centrales et succursales) et les diocèses sont au nombre de 9. On comprend mieux la performance quand on sait que la paroisse, au Rwanda, correspond en moyenne à plus de 200 km2, tandis que le diocèse couvre en moyenne près de 3.000 km2.
Le Rwanda a été présenté comme le pays le plus catholique d'Afrique, certains allant jusqu'à dire que le pourcentage de catholiques est de 80% de la population. Il s'agit là d'une exagération ou bien d'une mauvaise connaissance des chiffres. Pour être exact, il faut faire la moyenne entre les paroisses avec un fort pourcentage de catholiques et celles qui en ont moins. La paroisse qui compte le plus de catholiques est bien entendu Save (la première mission) qui en totalise 85,6%. La paroisse la moins catholique est Gatare, dans le diocèse de Gikongoro, qui n'aligne que 0,7% de la population locale. Cela fait que la moyenne nationale se situe aux environs de 51% de catholiques…Et partout on baptise encore. Pour ne prendre qu'un exemple, la paroisse de Byimana, avec ses 82,22% de catholiques sur sa population, a enregistré 1.284 baptêmes en 1998. La paroisse de Save présentait, à cette date, 2.536 catéchumènes à baptiser.

Un bon personnel en qualité et en quantité.
Les missionnaires, en arrivant, ne voulaient pas seulement occuper l'espace et multiplier les baptêmes. Ils voulaient vraiment fonder une Église locale florissante. On le constate au souci qu'ils ont tout de suite manifesté et mis en pratique, à savoir former un clergé diocésain. Le mérite revient aux Pères Blancs et aux Sœurs Blanches qui se sont refusé à recruter d'abord pour leur société, contrairement aux missionnaires qui, dans d'autres pays, ont accaparé les premières vocations sacerdotales et religieuses pour leurs propres congrégations et instituts. Au Rwanda, la première Sœur Blanche rwandaise n'a fait sa profession qu'en 1961, et le premier Père Blanc rwandais n'a été ordonné prêtre qu'en 1983. Le Rwanda a tout de suite eu son clergé autochtone, et il faut souligner qu'il l'a eu dans un temps record, ce que la plupart des pays de missions (si ce n'est pas tous) peuvent lui envier. Les deux premiers prêtres sont ordonnés le 7 octobre 1917. Nous constatons tout de suite que le clergé rwandais est vite responsabilisé : l'Église est la première (par rapport aux puissances coloniales) à confier des responsabilités importantes aux Africains. En effet, le clergé diocésain se voit confier pour la première fois une paroisse (Murunda) en 1919. Trois prêtres rwandais vont recevoir la responsabilité de fonder une paroisse (Janja) en 1935. Pour la première fois en Afrique - c'est même une première mondiale -, le 25 mars 1956, un évêque noir consacre un évêque blanc. Pour la première fois en Afrique, un grand séminaire est confié au clergé local le 18 avril 1961.

Très tôt aussi, des congrégations religieuses
Mgr Hirth. Clique pour une grande photo.Mgr Hirth a fondé la congrégation des Frères Joséphites en 1912 ; la première profession intervient en 1916 ; le premier supérieur général de la congrégation est élu le 11 janvier 1953. Mgr Hirth a fondé également la congrégation des Benebikira en 1913 ; la première profession religieuse intervient en 1919 ; la première supérieure générale est élue le 12 janvier 1953.
Et puis il y a eu une fondation tout à fait rwandaise, les Bizeramariya, fondée à Gisagara par l'abbé Raphaël Sekamonyo en 1956. D'autres fondations autochtones, ont eu lieu ces dernières années. Il faut dire aussi que plusieurs congrégations religieuses internationales, masculines et féminines, ont élu domicile dans nos diocèses, ces dernières années, et elles y ont trouvé un vivier de vocations…

Le problème ethnique
Il n'y a pas d'exposé sur le Rwanda qui vaille, s'il ne parle pas du problème ethnique, surtout si l'exposé parle de l'action et de l'influence de l'Église, qui est accusée d'avoir sinon inventé, du moins aggravé le problème ethnique. J'aimerais dire que l'Église regrette les thèses de Mgr Classe qui, pour s'attirer la bienveillante attention de la cour royale et des chefs coutumiers, affirmait la supériorité du Tutsi. Mais il me plaît d'affirmer que, fort heureusement, sur ce point précis, Classe n'avait pas le consentement de toute l'Église du Rwanda. Il est injuste de juger l'Église et toute son action pendant les 100 ans de sa présence au Rwanda, uniquement à partir de prises de position malheureuses de quelques figures de l'Église. Les thèses actuelles avec leurs accusations feraient penser que l'Église du Rwanda en 1994 était majoritairement hutu. Or les chiffres montrent le contraire : le clergé et les congrégations étaient à majorité tutsi.

Un défi pour l'Église
De toutes les façons, le problème ethnique reste un grand défi pour l'Église qui doit travailler à l'extir-per en son sein d'abord, et dans la société rwandaise ensuite. Elle doit collaborer avec la société civile, avec les intellectuels, avec les dirigeants, avec toute personne qui veut réconcilier le peuple rwandais avec lui même. Même si une certaine propagande continue à tout faire pour diaboliser l'Église, le peuple n'a jamais perdu sa confi-ance en elle: elle reste incontournable sur le terrain de la réconciliation. L'Église du Rwanda n'est pas un corps étranger dans la société rwandaise. La proportion de catholiques dans la population fait que ce serait une erreur grossière et fatale de chercher à les écarter dans cette tâche de réconciliation et de reconstruction nationales. Eux-mêmes ont initié, lors de la préparation au jubilé, une forte sensibilisation, lors de synodes sur la réconciliation.

autres photos du jubilé

L'autofinancement
Dans le domaine des finances de notre Église du Rwanda, les missionnaires nous ont donné la mauvaise habitude de tout attendre de l'Occident ; ils ne nous ont pas appris à nous prendre en charge, malgré l'institution du denier du culte déjà en 1928.Il est compréhensible qu'il faille tendre la main pour la gestion des écoles et des hôpitaux ou pour la construction de nouvelles églises, ou pour les bourses d'études, mais il n'est pas du tout normal d'attendre la manne de l'Europe pour l'entretien des paroisses et des ouvriers apostoliques, donc pour les budgets ordinaires et les dépenses récurrentes. Celles-ci montrent que notre Église vit au-dessus de ses moyens. En fait, l'autofinancement n'est pas une question de sous. C'est une question de pastorale. Mon expérience comme ancien vicaire général du diocèse de Butare m'a affermi dans cette conviction. De gré ou de force, les paroisses devront s'autofinancer, car l'Europe ne continuera pas à envoyer des virements bancaires : les jeunes générations perdent de plus en plus le goût de soutenir "la mission". Il est normal que l'Église se prenne en charge.

L'inculturation
Il fut une époque où l'Église voulait déraciner la religion traditionnelle. Cette époque est révolue : la religion traditionnelle offre au christianisme ses pierres d'attente. La Parole de Dieu a besoin de s'incarner dans la culture rwandaise de sorte que le Rwandais chrétien pense, prie et agisse en Rwandais et en chrétien. Nous sommes une Église catholique romaine, mais elle est d'abord l'Église du Christ établie au Rwanda. Il est temps que la théologie, la catéchèse et la liturgie soient spécifiquement rwandaises, dans la fidélité à l'Église universelle bien entendu. Il ne s'agit pas là d'avoir de l'imagination, ce serait faire de la théologie en chambre. Il s'agit de se laisser saisir par l'Esprit du Seigneur qui inspirera comment exprimer la foi en Jésus-Christ selon le génie de notre culture. Le peuple de Dieu au Rwanda a déjà fait des pas appréciables sur ce chemin de l'inculturation, surtout les groupes issus du renouveau charismatique et de Kibeho (lieu supposé d'apparitions) : on chante et on danse pendant la liturgie, mais cela reste un peu du "cosmétique". La hiérarchie a imprimé un mouvement dans le sens de l'inculturation, surtout depuis l'édition intégrale de la Bible en kinyarwanda. Mais cela ne suffit pas.

Les droits de l'homme :une Église prophétique
On a reproché à l'Église du Rwanda son silence. C'est vrai en partie. Il y a quand même une masse impressionnante de messages qui sont mal connus, mal connus surtout de ceux qui critiquent l'Église, parce qu'ils ne la fréquentent pas, parce qu'ils ne l'écoutent pas ou parce que c'est souvent le bruit des armes qui se fait entendre. L'Église doit changer sa façon de parler. Elle doit apprendre les gestes prophétiques et ne pas parler seulement "ex cathedra" ou dans les lettres pastorales. Et il faut que les fidèles sentent, sans en douter, que tous les pasteurs ont le même langage, la même audace.
Un terrain sur lequel l'Église doit défendre sa place, c'est le terrain des droits de l'homme. C'est là que se font les nouvelles croisades. Il ne suffit pas de nommer une commission "Justice et paix". Même un évêque n'a pas le droit de parler seul. L'Église du Rwanda doit être prophétique au service de la justice et de la paix, elle doit avoir le courage d'être la voix des sans-voix, elle doit avoir le courage de l'option préférentielle pour les pauvres. Elle doit être attentive aux appels du présent qui viennent du Rwanda profond. On l'accusera toujours de faire de la politique ; même quand elle se tait, elle sera accusée de faire la politique du silence. Autant faire résolument la politique des droits fondamentaux de la personne humaine, la politique de la justice, de la paix, de l'unité. Elle doit apprendre à s'engager avec les laïcs, qui sont là sur leur terrain propre. Clergé et laïcs engagés, nous devons nous efforcer à la réflexion et oser prendre la parole.


 

Une Église qui doit être missionnaire
L'autre reproche qu'on a fait à notre Église du Rwanda, c'est qu'elle n'est pas missionnaire. On l'a dit quand Sekou Touré a chassé les missionnaires de la Guinée Conakry, on l'a répété quand Bagaza a fait de même au Burundi : le Rwanda aurait pu dépêcher quelques abbés pour donner un coup de main à une Église-sœur. Même à l'intérieur, il n'est pas normal qu'un diocèse comme Gikongoro ne soit pas aidé en personnel par les diocèses voisins, qui n'ont peut-être pas un personnel pléthorique, mais qui sont beaucoup plus nantis. Il est curieux, par ailleurs, que ce soit Gikongoro qui manque cruellement de prêtres, alors qu'une de ses paroisses, Kibeho, enregistrait chaque année au moins une ordination sacerdotale dans les années 1970-1990.

L'évangélisation en profondeur Affermir une culture de l'amour
Le génocide a prouvé que le christianisme au Rwanda est encore sociologique, encore superficiel ; l'évangélisation en profondeur est encore à faire, mais cela ne veut pas dire que l'Église a échoué en prêchant l'amour et la fraternité, la tolérance et la convivialité. Cela veut dire plutôt qu'un long chemin reste à faire. L'Église a occupé le terrain, elle a implanté ses structures et ses institutions, mais dorénavant, elle doit travailler à consolider le message proclamé et accueilli. Il s'agit d'évangéliser les consciences, d'affermir une culture de l'amour. Le chemin est long, puisque même en terre européenne, où l'Évangile est prêché depuis 2.000 ans, le pape Jean-Paul II lance encore la seconde évangélisation. Là, évidemment, nous nous heurtons à l'exigence d'une planification et d'une pastorale d'ensemble bien pensées, bien élaborées, ce qui n'a pas été la force de notre Église jusqu'à présent. C'est surtout là que nos yeux se tournent vers l'épiscopat désormais renouvelé et rajeuni.
Oui, le grain de sénevé a déjà de la hauteur, il a déjà donné quelques fruits, mais il a besoin d'être encore affermi ; on doit encore émonder, bêcher autour et ajouter de l'engrais. Par la grâce de Dieu, la moisson promet.

Abbé Vénuste Linguyeneza