Voix d'Afrique N°90.

PITIÉ POUR LA FORÊT !

 



Parler de déforestation, c’est souvent citer l’Amazonie qui détruit 1,7 million d’hectares de forêts par an. Pourtant, en Afrique, ce sont 4 millions d’hectares (presque la superficie de la Suisse) qui disparaissent chaque année dans l’indifférence générale. Il faut à peine quelques minutes aux employés de l’industrie du bois, armés de tronçonneuses, pour faire tomber un géant à bois rouge de 30 mètres de haut. Les villageois, eux, font le même travail à la hache.

Cette déforestation n’atteint pas seulement les forêts au sens strict du terme, mais encore l’ensemble du couvert boisé, notamment dans les zones de savane. Face à cette situation, les différents acteurs que sont les populations, les pouvoirs publics, les exploitants forestiers ou les charbonniers et les bûcherons, adoptent des stratégies différentes et leurs intérêts particuliers sont souvent contradictoires.
Essayons de comprendre un peu mieux les enjeux de cette question.

Pourquoi
la déforestation ?

La première et la plus ancienne cause de déforestation vient de l’activité agricole des populations : les cultures sur brûlis si fréquentes dans les zones forestières. On brûle la forêt pour rendre les terres arables. La fréquence des feux est particulièrement élevée au nord de l’Angola, au sud de la République démocratique du Congo, dans le Soudan méridional et en République Centrafricaine. En effet, l’empiètement régulier des exploitations agricoles réduit de plus en plus les zones protégées. Le café, le sucre, le coton, le cacao, les fruits exotiques et tous ces produits que nous consommons tous les jours, contribuent à la déforestation. Il y a aussi dans ces pays un problème énergétique. La population utilise du charbon de bois pour faire la cuisine. Il n’est pas rare de voir en forêt des essences de bois pourtant protégées, débitées pour être transformées en charbon.

La deuxième cause, plus récente, est l’extension des banlieues. Depuis 1978, on a progressivement, mais rapidement remplacé de larges pans de la forêt par le béton. L’expansion démographique, comme la croissance des villes remplacent peu à peu la campagne verdoyante.

La troisième cause, et non la moindre, est l’abattage massif des arbres. « Les forêts et la population souffrent de méthodes d’exploitation menant à la destruction et au gaspillage ». Aujourd’hui, la plupart des forêts restantes sont en danger. En Afrique centrale, plus de 90% des abattages se passent dans les forêts primaires, ce qui est le plus haut taux au monde.

La seconde forêt tropicale de la planète, située dans le Bassin du Congo, est particulièrement touchée par cette destruction à grande échelle. Les sociétés étrangères, qui pratiquent une exploitation forestière sélective et anarchique, participent activement à ce pillage. On estime que la moitié du bois abattu au Cameroun échappe à la règlementation. Cette exploitation illégale prive l’Afrique centrale de revenus vitaux. Par contre, les compagnies étrangères tirent de solides bénéfices d’une activité qui ne répond pas aux exigences du développement durable.

D’aucuns diront qu’il est des régions où l’abattage des arbres ne cause pas tant de dommage car seules quelques espèces d’arbres sont retirées. Cependant, les routes nécessaires à ce commerce ouvertes au milieu des forêts sont autant de portes d’accès pour les braconniers et autres exploitants illégaux. Ces routes ouvertes pour l’abattage du bois représentent 38% de toutes les routes tracées.

Enfin, ces dernières années, une autre menace plane sur les forêts africaines : le développement de l’industrie des agrocarburants va achever sans coup férir le processus de dévitalisation des écosystèmes chancelants. « C’est un comble, mais les agrocarburants, présentés comme un moyen révolutionnaire et efficace pour combattre le réchauffement climatique, pourraient en fait provoquer l’effet inverse. Raison : leur développement participe de plus en plus à la déforestation. Or les forêts tropicales sont un piège à gaz carbonique (CO2) irremplaçable. » Les faits sont parlants : entre 2000 et 2007, la fabrication d’éthanol a été multipliée par quatre, et celle d’ agrodiesel, par dix. De nouvelles cultures, donc, qui ont inéluctablement besoin de nouvelles terres. Or, une scientifique de l’Université Stanford (Californie), Holly Gibbs, a prouvé à l’aide d’images satellites que la moitié des surfaces utilisées à ces fins est issue du défrichement de zones de forêt tropicale intacte. « C’est une préoccupation majeure pour l’environnement de la planète », a-t-elle précisé.

Quelles sont les conséquences de la déforestation

Il y a d’abord les problèmes environnementaux tels que la désertification et l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre. Détruire le patrimoine forestier, c’est détruire une importante barrière contre le réchauffement climatique. Jusqu’à présent, l’attention était retenue par les effets spectaculaires de ce réchauffement, entre autres la baisse du niveau des eaux du lac Victoria ou l’assèchement du lac Tchad. Mais d’autres faits ont été montrés par les photos satellites : en Ouganda, les glaciers des monts Rwenzori ont réduit leur volume de 50% entre 1987 et 2003 ; et il en va de même pour ceux du Kilimandjaro au Kenya. Ces changements climatiques constituent une menace directe pour les écosystèmes africains : le rythme des sécheresses et des inondations s’accroît. Or, les forêts tropicales jouent un rôle important de régulation de la pluviométrie du continent. Les racines des arbres protègent les sols en retenant l’eau de pluie ; or, sans arbre, la pluie et l’eau des nappes phréatiques se mélangent en provocant des crues énormes et des coulées de boue dévastatrices pour la population à proximité. Le recul des forêts (surtout sur les pentes) favorise les glissements de terrain, les avalanches et les coulées de boue, en augmentant la pollution des cours d’eau, au détriment de la flore aquatique et de la faune piscicole.

Il faut parler encore d’une autre conséquence de la déforestation tropicale, et elle est toute aussi importante : elle détruit sou-vent les moyens de subsistance de millions de gens des communautés locales. Il y a expulsion de populations dont la vie est liée à la forêt. Dans le Bassin du Congo, des centaines de milliers de personnes auraient déjà perdu leur habitat.
En République Démocratique du Congo (RDC), les provinces du Nord et du Sud Kivu sont parmi les zones les plus touchées par la déforestation et la dégradation du sol.

Et demain ?

Les pertes de forêts devraient se poursuivre au rythme actuel. La demande croissante de denrées alimentaires et d’énergie, ainsi que la hausse de leurs prix, aggravera la situation, notamment à mesure que l’augmentation des investissements dans les infrastructures ouvre de nouveaux territoires. Le changement climatique aura également des retombées : la fréquence accrue des sécheresses, la diminution des ressources en eau et les inondations pèsent lourdement sur les dispositifs d’adaptation aux niveaux local et national, compromettant les efforts de gestion durable des forêts. »

En Afrique subsaharienne, seulement 7,5 % de la population rurale a accès à l’électricité. « Comme les revenus des ménages restent peu importants, tout comme les investissements en faveur d’autres solutions, il est probable que le bois continuera d’être une source d’énergie importante pour eux au cours des prochaines décennies. » (FAO, 2008) Les prévisions de 2001 laissaient entrevoir une augmentation de 34 % de la consommation de bois de feu, entre 2000 et 2020, mais elle pourrait être encore plus importante en raison de l’escalade des prix des carburants ces dernières années.
La déforestation, ce fléau du troisième millénaire naissant, est en passe de devenir l’ennemi public n° 1 de la planète par l’effet de serre qu’il lui inflige. L’arbre prend une revanche, à sa manière, sur l’humanité.

Ne peut-on rien faire ?

La situation appelle à prendre d’urgence les mesures appropriées : mise en place d’aires protégées, encadrement de l’exploitation du bois, promotion d’usages moins destructifs de la forêt.

La plupart des pays ont tenté d’améliorer l’approvisionnement en renforçant la gestion des forêts et des zones boisées et en établissant des plantations de bois de feu. De plus, ils ont tenté de diminuer la demande en faisant la promotion d’instruments de cuisson plus efficaces et de carburants de rechange. De nombreux pays africains, conscients du problème, ont considérablement augmenté le nombre de leurs zones protégées. On en compte maintenant plus de 3.000.

Les États africains doivent aussi agir dans un autre domaine : les forêts africaines sont m-nacées par le manque de législation sur la propriété des terres. Moins de 2% des forêts africaines sont soumises au contrôle des localités. Certes l’Angola, le Cameroun, le Niger, la Gambie, le Mali, le Mozambique, la RDC, le Soudan et la Tanzanie ont introduit de nouvelles lois pour renforcer les droits de propriété des terres. Mais il faut inciter ces pays à aller plus loin. Les États africains doivent être plus prudents lorsqu’ils cèdent leurs terres à des compagnies privées susceptibles de dégrader l’environnement. Ils doivent aussi faire prévaloir le droit coutumier des communautés forestières, sur les intérêts des sociétés occidentales.

Actuellement, les exportations à bon marché de bois d’origine illégale, associées au non-respect par certains industriels des normes sociales et environnementales de base, risquent de mener à la ruine des pays comme le Sénégal, le Ghana, le Liberia et le Cameroun. La mauvaise gestion des ressources en bois se répercute sur les marchés ; elle devient une cause de déstabilisation et réduit les revenus des pays producteurs. De plus, ce problème entraîne des pertes d’emplois et oblige la population à se déplacer vers des zones plus prospères où la subsistance est possible.

La France pour sa part, comme les autres bailleurs de fonds occidentaux, doit examiner les conséquences écologiques et sociales de cette industrie forestière qui profite aux Occidentaux. C’est une incitation à mieux contrôler l’exploitation des forêts et la chaîne du bois. Une invitation à protéger les dernières forêts primaires d’Afrique.
Il y a aussi la Chine qui, à cause de son avidité pour les matières premières africaines, exerce des pressions auprès des gouvernements du bassin du Congo afin qu’ils lui accordent des concessions forestières en échange d’infrastructures et d’aide médicale.


Mme Wangari Maathai, Kényane, Prix Nobel de la Paix en 2004

Peut-on conclure ?

En 1 an, un arbre moyen absorbe 12 kg de gaz carbonique (CO2) et expire assez d’oxygène pour une famille de quatre personnes pendant 1 an. Un hectare d’arbres peut absorber 6 tonnes de CO2 par an (par comparaison, un vol long courrier produit 3,75 tonnes de CO2). La militante écologiste kenyane Wangari Maathai, Prix Nobel de la Paix en 2004, a lancé avec le soutien de l’ONU un ambitieux projet visant à planter des arbres pour lutter contre le réchauffement climatique et la pauvreté... « Tout le monde est capable de creuser un trou, tout le monde est capable de mettre un arbre dans ce trou et de l’arroser. Et tout le monde est capable de faire en sorte que l’arbre qu’il a planté survive », dit-elle. « Nous sommes six milliards. Donc, même si nous sommes seulement un sur six à planter un arbre, nous atteindrons à coup sûr l’objectif d’un milliard d’arbres », a-t-elle ajouté. Wangari Maathai a acquis sa notoriété grâce à une action similaire menée à l’échelle du continent africain. Son organisation, le mouvement Green Belt (Ceinture verte), a planté environ 30 millions d’arbres à travers l’Afrique pour lutter contre la déforestation et l’érosion. Le comité Nobel avait vu dans cette initiative un moyen de lutter contre la pauvreté et de tarir des sources de conflits potentiels nés de la raréfaction des ressources naturelles.

Voix d’Afrique
d’après des sources variées



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