Missionnaires d'Afrique
France
Peter Mateso
Toujours heureux dêtre Père Blanc ?
Peter Mateso, 40 ans, originaire de RDC et
venant de la paroisse de Kanengo, au Malawi.
Il suit un cours de master en Histoire de l'Église à lUniversité Catholique de Lyon.
Peter est du diocèse de Bunia (RDC) ; mais il est né en Ouganda (d'où ce nom Peter : beaucoup lui demandent pourquoi il a un nom en anglais alors quil est congolais). Ses deux parents sont décédés, il a une grande sur. Le 22 septembre, il totalisera 8 ans dordination sacerdotale.
J e suis membre de la communauté de Ste-Foy-lès-Lyon depuis septembre 2012. Communauté bien vivante où chacun vit sa vocation missionnaire. Lambiance y est très fraternelle. Quelquefois, on entend le Fr. Gabriel Muratet sadresser, avec humour, à lun ou lautre confrère : « Bonjour, cher Père ! Toujours heureux dêtre Père Blanc ? » La réponse est certainement « oui », mais exprimée de diverses manières. En 1991, je lisais un livre sur luvre des Pères Blancs dans lévangélisation de lAfrique. À la fin de ce livre, dont je ne me rappelle plus le titre, il y avait la phrase suivante : « Aujourdhui encore, il y a beaucoup dhommes qui nont pas encore accueilli la Bonne Nouvelle. Et toi, nes-tu pas prêt à aller annoncer cette Nouvelle ? » Impressionné par le zèle apostolique des premiers Pères Blancs, javais demandé de commencer la formation afin de leur emboîter le pas. Suis-je toujours heureux dêtre Père Blanc ? Je vous partage mon expérience et vous trouverez là ma réponse.
Ma première mission au Malawi
Je viens dune très petite famille de deux enfants : ma grande sur et moi. Vous savez certainement quen Afrique, il nest pas facile à un fils unique de devenir prêtre. Cétait mon cas. Quand javais exprimé le désir dentrer chez les Pères Blancs, mes tantes paternelles sy étaient opposées : étant le seul garçon de la famille, je devais assurer la continuité et leur donner des petits-enfants. Comme je ne les écoutais pas, elles sattaquèrent à mon père ; mais celui-ci ma soutenu dans mon choix jusquau bout.
Jai fait mon Serment missionnaire le 18 décembre 2004 et jai été ordonné prêtre le 22 septembre 2005. Jai été nommé au Malawi, à la paroisse de Kanengo où jallais vivre mes premières expériences de prêtre missionnaire et ce, jusquen juin 2012. Jai eu le privilège de travailler avec un confrère qui était un bon organisateur des activités pastorales, surtout pour la jeunesse. Il était pour moi un aîné et un modèle. Malheureusement, au bout dune année, il dut quitter la paroisse pour raison de santé. Je me retrouvais alors curé de paroisse plus tôt que prévu. Je me sentais peu capable de porter cette responsabilité. Mais il fallait bien que quelquun lassume. Avec confiance dans le Seigneur et lencouragement des confrères, jai accepté de relever le défi.
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Peter au milieu dun groupe de confirmandi
Kanengo : une paroisse hétérogène
Kanengo est située dans la zone industrielle de Lilongwe, la capitale du Malawi. Beaucoup de gens viennent y chercher du travail. Elle a une population denviron 60 000 habitants dont un quart est catholique. La paroisse avait été fondée par les Missionnaires dAfrique en 1976. Elle sest vite développée grâce à l'afflux de la population venant chercher de l'emploi. Quand jarrivai en 2005, elle comptait 36 Communautés Chrétiennes de Base (CCB) ; en 2012, elle en avait 48. En principe, selon la directive du diocèse, chaque CCB devait être composée de 25 à 50 familles, mais en réalité, certaines en comptaient plus de 80. Léquipe danimation pastorale était composée des prêtres, des religieuses, dun catéchiste et des stagiaires. Nous nous réunissions chaque semaine pour planifier le travail. Nous comptions beaucoup sur la collaboration des responsables laïques. Pour les préparer, nous organisions régulièrement des sessions de formation pour toutes les commissions : de liturgie, de justice et paix, de léducation chrétienne, de la jeunesse ?
Je ne décrirai pas la tâche de toutes ces commissions, mais jen mentionne une à titre dillustration : la commission justice et paix. Elle soccupait de la promotion de la dignité humaine. Nous avions enregistré beaucoup de cas de violation des droits des veuves et des orphelins, des conflits de terre, lexploitation des ouvriers par les compagnies industrielles, des accusations arbitraires de sorcellerie, etc. Lintervention des membres de cette commission a réussi à rétablir la paix dans nos communautés chrétiennes. Elle était reconnue par les autorités civiles et elle collaborait avec la police pour pacifier les partis en conflit.
Investir dans la jeunesse
À Kanengo, nous portions une attention toute particulière à la jeunesse. Nous savions que si les jeunes nétaient pas bien accompagnés, ils courraient le risque de la délinquance. Leur préoccupation majeure, cétait léducation et lemploi. Nous croyions que lÉglise avait une contribution à apporter à leur avenir. Pour répondre à leur besoin, la paroisse leur donnait une formation chrétienne, humaine et intellectuelle. La commission chargée de la jeunesse organisait des forums où les jeunes senrichissaient spirituellement et moralement. Pour pallier les problèmes du manque demploi, la paroisse avait créé, avec laide de lUNICEF, un centre offrant une formation en informatique, en couture, en journalisme et en musique.Selon nos moyens, nous envoyions certains à lInstitut des Salésiens pour une formation en maçonnerie, en menuiserie, en automécanique, en haute couture, etc. Ainsi, ils trouvaient des emplois ou établissaient leurs propres ateliers.
Les jeunes ne sont pas seulement des responsables de la société de demain, mais aussi de celle daujourdhui. À Kanengo, ils participaient activement à la catéchèse des plus petits, à lanimation des liturgies, à lentretien de léglise, au fonctionnement des CCB. Jétais toujours touché par leur générosité. Ils mettaient en commun le peu quils avaient pour aider les plus démunis et donner de leur temps pour les malades. Notre rôle parmi eux était surtout celui daccompagnateur. Plus nous leur faisions confiance, plus ils utilisaient leurs talents pour le bien de lÉglise et de la société. Il fallait évidemment une certaine prudence car, dans leur fougue, certains risqueraient de déborder. Il était important de les aider à réaliser leurs rêves comme des jeunes chrétiens.
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Des fidèles apportant leurs contributions à lautosuffisance
lors dune eucharistie dans une CCB
Lautosuffisance :
un défi pour lÉglise locale
Je me rappelle quau premier cycle certains formateurs nous disaient : « Cest fini les oignons dÉgypte. » Cétait pour nous dire que le temps de dépendre de laide étrangère était fini. Notre allocation mensuelle de US$12 était intermitante. Chaque candidat devait apporter son argent de poche de sa famille. Je ne comprenais pas grand-chose à la situation financière à cette époque. Cest en paroisse que jai senti limpact de cette parole-là. Il est vrai que lÉglise en Afrique dépend encore de la générosité de lOccident, mais il est évident que les choses ont changé. Il fallait faire comprendre aux chrétiens quils pouvaient et devaient soutenir lÉglise par leurs propres moyens. Notre ancien confrère, Mgr Kalilombe, avait déjà fait un grand travail de sensibilisation en cette matière pendant son épiscopat à Lilongwe en 1973. Il insistait sur lautosuffisance de lÉglise locale en ressources matérielles et humaines.La réalité montre que cest un long processus. On ne peut pas être autosuffisant à 100 %, mais il est toujours possible de faire mieux. Notre rôle était de sensibiliser les paroissiens pour découvrir leur potentialité et à sinvestir dans lédification de lÉglise avec le peu quils avaient. La générosité extérieure viendrait compléter leffort local.
Heureux dêtre Père Blanc ?
Un événement vaut la peine dêtre mentionné : une bombe artisanale dans notre église. Le 16 juillet 2006, en pleine messe dominicale, un jeune homme avait délibérément fait exploser une bombe quil avait lui-même fabriquée. Son intention était de punir les catholiques car, selon lui, ils sont idolâtres. Il citait Deutéronome 5, 8-9. Heureusement, il ny a pas eu de mort; mais il y avait beaucoup de blessés. Celà avait secoué non seulement notre paroisse, mais tout le pays où jamais un tel acte ne sétait produit. Sur une note positive, cet événement nous souda davantage entre nous et aussi avec différentes confessions religieuses environnantes pour venir en aide aux victimes. La solidarité était impressionnante. Quant au suspect, il fut libéré après trois mois de prison. Le tribunal avait jugé quil avait agi sous leffet de la drogue. Dieu seul sait la vérité !
La formation reçue, la prière, la vie communautaire, le soutien mutuel, lamour de lapostolat , bref, lesprit apostolique de la Société des Missionnaires dAfrique ma permis et me permet encore de répondre à lappel du Christ en tant que prêtre missionnaire. Oui, je suis toujours heureux dêtre Missionnaire dAfrique et de contribuer au témoignage de lamour du Christ pour le monde africain.
Dans le contexte actuel dune Afrique assoiffée de justice, de la paix et de développement, jai toujours fait miennes les paroles de saint Paul que je porte à mes frères et surs africains depuis mon ordination sacerdotale : « Qui pourra nous séparer de lamour du Christ ? La tribulation, langoisse, la persécution, la faim, la nudité, les périls, le glaive ?... Oui, jen ai lassurance, rien ne pourra nous séparer de lamour de Dieu manifesté dans le Christ Jésus notre Seigneur. » Rom 8,35-39.
Peter Mateso
Juillet 2013