Voix d'Afrique N°111.


Notre-Dame de la Confiance :
Chrétiens et Musulmans
vivent ensemble


Quartier de la Porte d’Asnières, 15 000 habitants, 164 rue de Saussure, une cité de dix immeubles de dix étages. Beaucoup de jeunes se regroupent, le jour, la nuit, parlent fort, les gens en ont peur, il suffirait d’aller leur parler, mais la peur, la peur… Drogue, autrefois dégradations d’installations publiques, voitures brûlées.
Le quartier ? En 2004, un diagnostic psycho social disait que c’était : « Une avancée de la banlieue dans Paris ».
Au rez-de-chaussée d’un immeuble, la Chapelle Notre-Dame de la Confiance.


Au rez-de-chaussée d’un immeuble, la chapelle Notre Dame de la Confiance.

À Notre-Dame de la Confiance, aux messes des samedis et dimanches, 120 personnes.
La communauté prépare avec grand soin les eucharisties du dimanche, l’Assemblée étant petite, il en résulte des liturgies fortes. Les Chrétiens mettent l‘énergie qu’ils en reçoivent au service du quartier.

Naissance
d’une troupe scout

Octobre 2004 : Les Scouts de France fondent le Groupe « Pari(s) la Confiance ».
Dans le Groupe, majorité de musulmans, quelques chrétiens, de rares juifs, c’est la proportion des jeunes du quartier.
Au début, comme dans la cité, beaucoup de violence, de jour, de nuit, c’était plus fort qu’eux. Pour les chefs, c’était assez sportif. Je vois encore, dans la nuit, ce chef assis sur l’herbe, serrant contre lui un jeune en lui montrant les étoiles pour essayer de le calmer.

Actuellement, dans les camps, avant les repas, on prie, Musulmans d’abord, Chrétiens ensuite ou inversement.
Une scoute musulmane fait son invocation en riant… Le prêtre lui demande : « Es-ce que tu crois vraiment ? Refais ton invocation en pensant que tu parles à Dieu. »
Le lendemain, au petit-déjeuner, il dit à un jeune : « Ne t’amuse pas à faire le signe de la croix : c’est un geste important et profond pour les Chrétiens. »
On apprend le respect de soi-même et des autres jusqu’au niveau de la religion, de la Foi.

Les camps scouts : lieux de prières et de réflexions pour les Chrétiens et pour les Musulmans
Dans les camps : un lieu de prière avec une croix pour les Chrétiens, un lieu de prière avec un poteau indiquant la direction de La Mecque pour les Musulmans.

Il y a toujours aussi une journée interreligieuse : un Imam présente la religion musulmane, le Prêtre présente sa foi en Jésus-Christ ressuscité. On prie ensemble en silence, puis Musulmans et Chrétiens prient de façon plus rituelle chacun dans son lieu de prière.

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Dans les camps : un lieu de prière avec une croix pour les Chrétiens,
un lieu de prière avec un poteau indiquant la direction de la Mecque pour les Musulmans.

Il y a aussi le temps des questions :
Un chrétien demandait : « Vous dites qu’il n’y a que les musulmans qui iront au paradis, et nous alors ? »
Réfléchissant ensemble, nous avons réussi à aller jusqu’à dire : « On ne connaît pas tout. », c’est déjà une grande ouverture.
Il y a un mois, dans la cité, un scout disait : « Le Prêtre ira au Paradis ». Grande ouverture d’esprit et liberté de parole de ce jeune musulman qui, dans sa religion, se prépare à faire comme l’aumônier scout : devenir Imam.
Tous les jours, il va à une mosquée toute proche pour les prières, mais pour le prêche du vendredi, il va jusqu’à Pantin dans une mosquée qui est en lien avec une paroisse catholique. Cela peut être bon pour le dialogue musulmans-chrétiens à venir.


Mohamed déclare : « Les scouts m’ont appris à être utiles à la société, à moi-même, aux autres. »

Hier, Mohammed, 24 ans, originaire du Mali, m’accoste dans la rue :
« C’est grâce aux scouts que j’ai trouvé ma voie ».
« Expliquez-moi »
« Dans la cité, le matin, on se lève, on cherche ce que l’on va faire, le soir, on se couche, c’est tout… Les scouts m’ont appris à être utiles à la société, à moi-même, aux autres. »
Après le bac, comme dans la cité, Mohammed cherchait à faire quelque chose : il s’inscrit en fac de commerce. Il y va en traînant les pieds. Puis, conversion, il décide de faire ce qu’il veut : faire l’animation des jeunes comme il avait vu faire les chefs scouts. Un chef lui avait dit : « Ne jamais fermer la porte à quelqu’un, toujours garder le contact. » Il réussit très bien, il est demandé partout pour encadrer des jeunes. Il va prendre une formation en animation.
Mohammed a décidé de vivre en donnant le meilleur de lui-même aux autres, il déborde de bonheur, et d’action de grâces.

Dans le quartier, plus de 250 jeunes ont été touchés par le scoutisme.
Déjà, un an après la fondation du Groupe, le Président des locataires écrivait : « Nous avons noté un changement notable dans le comportement des petits de notre résidence. Cette troupe a fait beaucoup pour recréer le lien social. Vous avez rendu leur fierté aux jeunes, c’est crânement qu’ils se disent scouts. »
Comme les scouts vivent en symbiose avec les jeunes du quartier, par leur progression personnelle, c’est toute la jeunesse du quartier qui a progressé en humanité, on le sent bien dans les nouveaux qui entrent maintenant chez les scouts. Ils sont davantage capables de vivre ensemble, ils ont encore la violence en eux, mais rien à voir avec la violence des débuts.

Le groupe Parents Seuls
Parents Seuls, un groupement qui élève seuls leurs enfants.
Elles sont très nombreuses. Sur les listes : 35 Parents Seuls, Chrétiennes et Musulmanes.

Dimanche 15 mars 2015 après midi. Comme tous les mois, une dizaine de « Parents Seuls » sont réunis dans une salle sous la chapelle.
Rose française et camerounaise dit : « Nous n’avons pas les moyens de partir en vacances pendant l‘été ? Nous irons passer une journée à la plage. »
Elle prend contact avec une société de cars, fait sa pub. : 20 euros par adulte, 10 euros par enfant. Le 8 août 2015, un car de 60 places est rempli de mamans seules. Sur la plage de Trouville, les femmes musulmanes se roulent tout habillées dans l’eau, les chrétiennes se baignent, les enfants jouent : grand succès ! Rose en reçoit une nouvelle dimension dans le quartier, on parle d’elle dans tous les appartements.

Réunion du 14 février 2016
Malika, sénégalaise, parle : « Son fils Abdul Aziz a 23 absences du collège pour le seul mois de janvier, il traîne dehors, mauvaises fréquentations, drogue, vol de voiture, problèmes avec la police. Malika ne sait pas lire les courriers que lui envoie le collège : ses garçons se moquent d’elle. »
Louise, ivoirienne se tourne vers Malika avec son cœur de mère et de chrétienne : « Ne reprends pas ton garçon devant les autres, il ne te le pardonnerait pas. Prends le seul dans ta chambre, montre-lui des photos quand il était petit, montre-lui comment tu le portais sur tes bras. S’il refuse de t’écouter, prie ton Dieu, dis-lui : tu m‘as donné cet enfant, moi, je n’y arrive pas, viens à son secours. Tu verras Dieu t’aidera, il te donnera les paroles qu’il faut. »

D’autres lui disent : « La vraie solution serait qu’il parte en Afrique, comme tu as fait pour ton aîné, là coupé de ses mauvaises fréquentations, encadré par la famille, il pourra être sauvé », des chrétiens de la communauté vont se cotiser pour aider au voyage. En dehors des réunions, les mamans se téléphonent, une bénévole va chez Malika pour prendre en charge son fils.
Parfois, quand les difficultés exprimées sont trop fortes, on prie, les chrétiennes en parlant, les musulmanes en silence.


Sous la Tente des belles histoires, ensemble, enfants chrétiens, musulmans
réfléchissent sur la vie et découvrent le goût de lire.

La Tente
des belles histoires :

Une bibliothèque de la chapelle a pour nom « Bibliothèque de rue ».
Tous les derniers samedis du mois, le gérant des immeubles envoie un SMS aux résidents : « Cette après-midi, la Tente des belles histoires sera plantée sur la place. »
Des chrétiens, des jeunes de l’aumônerie installent la tente, se mettent au service de 15 à 20 enfants.
Les enfants écoutent, puis cherchent dans les livres des exemples, des illustrations, dessinent, colorient, écrivent sur ce qu’ils ont entendu.
Ensemble, enfants chrétiens, musulmans réfléchissent sur la vie et découvrent le goût de lire, le plaisir de laisser jouer leur imagination.

Soutien scolaire,
alphabétisation :

Des besoins immenses : lire, écrire, compter, beaucoup d’enfants sont très en dessous du niveau de leur classe.
17 bénévoles aident 17 enfants. Un adulte pour un enfant. Dans les familles, il y a beaucoup d’enfants, la mère a toujours un bébé sur les genoux, les enfants sont laissés à eux-mêmes. Pour une fois, l’enfant va avoir un adulte pour lui tout seul pendant une heure.
Des femmes, des hommes parlent difficilement le français, ne savent ni lire ni écrire : 4 bénévoles aident 5 adultes.
La joie des bénévoles, la joie des enfants, la joie des adultes est le moteur de ces rencontres.


17 bénévoles aident 17 enfants

Entre Chrétiens et Musulmans, il y a comme un abîme que les Chrétiens n’osent pas franchir. Avec le Soutien scolaire, avec l’Alphabétisation, les Chrétiens, dans un esprit de service, créent naturellement des liens avec des familles musulmanes.
Nous avons essayé d’aller plus avant dans la rencontre Chrétiens-Musulmans. Il y a longtemps, c’était en 2006. Avec un ami marocain, nous avons organisé une rencontre interreligieuse. Thème choisi ensemble. 15 Musulmans, 15 Chrétiens. Lieu neutre. Temps égal d’intervention. L’invitation rédigée par mon ami marocain proposait :
« Une simple rencontre… ma foi influence-t-elle ma relation aux autres ? Une personne de chaque religion nous fera partager son expérience et nous pourrons ensuite échanger sur le thème. »
Je propose la rencontre aux Chrétiens : 15 personnes se présentent.
Mon ami marocain cherche, cherche… finalement il réussit à trouver un étudiant de l’autre côté de Paris, un Antillais anciennement chrétien converti à l’Islam.
Le jour de la rencontre, dans la salle : d’un côté, 15 Chrétiens, de l’autre, mon ami marocain et l’étudiant très gêné, que nous cherchons à mettre à l’aise.
Nous n’avons pas renouvelé l’expérience.
En 2015, nous avons essayé à nouveau, cette fois, ce serait une rencontre toute simple entre quatre ou cinq amis maghrébins, et chrétiens, chrétiennes dans le salon d’un appartement pour partager ce qui est important pour nous dans la vie. ça n’a jamais marché : ça ne pouvait plus se faire dans l’appartement prévu, un des amis est tombé malade, ça ne s’est pas réalisé.

Autant c’est facile d’organiser une rencontre au sommet.
Pour les scouts : un Iman et un prêtre.
Pour une paroisse : une table ronde avec Iman, Prêtre, Rabbin.
Autant c’est très difficile à la base,
En tout cas, au niveau des gens, nous n’y sommes pas arrivés.


En conclusion :
Le Seigneur nous invite à la convivialité avec lui dans l’Eucharistie, la communauté veut en partager les fruits avec ceux avec qui nous vivons, ce faisant nous avons bien conscience de travailler avec le Seigneur au rassemblement de tous les hommes dans sa famille, à sa table. Le panier de dattes qu’une musulmane offre tous les ans à la chapelle pour la fête de la Pâque et que la communauté partage à la fin de la veillée pascale est pour nous un signe de cette convivialité plus plénière à venir.

Père Jean-Pierre Ledoux, M. Afr.
Aumônier de N.-D. de la Confiance.

 

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