Missionnaires d'Afrique - Pères Blancs

UNE GALERIE DE PORTRAITS

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NOS ANCÊTRES DANS LA MISSION


MONSEIGNEUR

AUGUSTIN HACQUARD

1860 - 1901

Premier Vicaire Apostolique

à SÉGOU (MALI)

 


SOMMAIRE

I - La jeunesse - la formation - l'engagement
II - Les Frères armés du Sahara
III - Une mission en pays Touareg
IV - Vers le Soudan : Ségou et Tombouctou
V - La mission Hourst
VI - Séjour en France et nouveaux voyages au Soudan
VII - Hacquard Vicaire Apostolique
VIII - Voyage au pays Mossi, au Gourma, et au Dahomey
IX - La mort tragique
X - Quelques témoignages sur Hacquard
--- Sources

INTRODUCTION

Les portraits que tracent de Mgr Hacquard ses compagnons de route sont très flatteurs, trop flatteurs ? Le lecteur en jugera. L'homme est séduisant, très actif, missionnaire dans l'âme, de cette première génération de Pères Blancs à la forte personnalité, dont on dira volontiers qu'ils étaient un peu aventuriers, pionniers de l'évangélisation.

Il fallait une forte personnalité, physiquement et moralement, et aussi une sérieuse trempe spirituelle pour faire ce qu'ils ont fait. Il leur fallait courage, audace et persévérance. Ce fut le cas pour Hacquard, doué, en outre, d'une santé de fer.

Une grande exigence de collaboration et de vie de communauté les animait. Faut-il s'étonner qu'il y eût des heurts ? Faut-il s'étonner que leur obéissance fût parfois difficile, au moins un peu rugueuse. Ce n'étaient pas des enfants de chœur !

Le parcours du Père Hacquard, beaucoup trop vite interrompu, à nos regards humains, par sa tragique noyade dans le Niger, à Ségou, à l'âge de 41 ans, parle, témoigne de quelle sorte d'hommes, de missionnaires et de prêtres il s'agissait. De quoi prendre de la graine, et combien !

I. LA JEUNESSE - LA FORMATION - L'ENGAGEMENT

Augustin Hacquard est né le 18 septembre 1860 au village d'Alberstroff en Lorraine, dans le diocèse de Nancy (France). Après l'école primaire, en 1873, il entre au petit séminaire de Pont-à-Mousson. Puis, en 1877, au Grand Séminaire de Nancy.

Le 27 juin 1878 il décide de solliciter son admission au noviciat des Pères Blancs à Maison-Carrée : refus des parents. Il va alors faire quelques jours de retraite à la chartreuse de Bosserville, " après quoi, dit-il, je désertai avec mon petit trousseau, et c'est de Marseille que j'instruisis mes pauvres parents du beau coup que je venais de faire ". Il embarque pour Alger le 1er septembre 1878.

Il est accueilli chaleureusement à Alger par le Cardinal Lavigerie. Le soir même, il se trouve à Maison Carrée, à la maison-mère, où il va commencer son noviciat avec 11 autres novices. Le programme en est pour l'essentiel la prière, la formation spirituelle et l'étude de l'arabe.


Enseignement - Ordination - Études universitaires

En septembre 1881, Hacquard est nommé professeur au collège de Carthage : le Conseil Général avait besoin de sujets professeurs. Il doit donc interrompre ses études théologiques ; Il les reprendra en 1883.

Le 31 août 84 commence sa retraite d'ordination. Il est ordonné sous-diacre le 4 septembre, diacre le 6 et prêtre le 8 septembre. Il est nommé professeur à Alger, au petit séminaire saint Eugène, chargé de la classe d'humanités. En 1886, le Cardinal Lavigerie lui confie la classe du bac et lui donne l'ordre de préparer lui-même ses grades universitaires. Dès la session de septembre, il est reçu premier de 47 candidats.

Il désire profondément partir aux Grands lacs avec la prochaine caravane, conduite par Mgr Hirth. Deux membres de cette caravane sont effectivement des professeurs de saint Eugène. Hacquard, lui, reste.

" Son Éminence m'a demandé si je voudrais bien y aller et sur ma réponse affirmative : " c'est bien m'a-t-il répondu, voilà une belle occasion de renoncer à votre volonté propre pendant plusieurs années… Voilà ce qui s'appelle se moquer du pauvre monde " (lettre du 2 juin 1887)

Il est nommé préfet des études à st Eugène. En novembre, il écrit :

" Ce travail de licence est énorme ; J'ai 10 à 12 voyages à Alger chaque semaine. Je me lève à 4 heures, je dis ma messe à 5, et on ne me voit plus que le soir au souper. J'aime beaucoup cela, C'est fatiguant, c'est tuant, mais ces belles grandes études m'intéressent et me plaisent beaucoup " (Lettre du 11-10-87)

Parfois, le préfet des études apparaissait à saint Eugène dans l'intervalle des cours, pour faire à l'improviste la visite d'une classe. Il croit qu'il va rater ses examens ; en fait, le 28 juillet, il est reçu premier à la licence, avec mention bien, par la faculté d'Aix-en-Provence. Le cardinal lui demande alors de préparer son doctorat, sur l'ancienne Afrique chrétienne.

En 1890, il craint qu'on ne lui confie encore d'autres responsabilités : une mission vers le sud du Sahara et Tombouctou. Il écrit à sa sœur :

" N'en dis mot à personne : on doit, de concert avec l'œuvre anti-esclavagiste, établir plusieurs stations de mission au Sahara, en même temps que des postes de l'armée antiesclavagiste, et je devrais être le chef de tout cela. Je devrais résider d'abord à Ouargla, tout au sud de l'Algérie, et conduire mon monde, en quelques années, jusqu'au Soudan et à Tombouctou sans nous faire tuer comme nos six missionnaires, comme les Flatters et autres. Le danger ne me fait pas peur, et comme simple missionnaire j'irais avec enthousiasme. J'ai eu la sottise de le dire cette année au Cardinal, autant qu'il a voulu l'entendre, mais avoir la direction d'une mission entière, je ne m'en sens pas capable… Et puis, il faudrait, plus ou moins prochainement, être préfet apostolique, et vicaire apostolique ou évêque missionnaire : je te demande un peu, quelle honte pour moi d'être choisi pour de pareilles fonctions, quand je vaux si peu… A tout prendre cette œuvre me tient à cœur ; mais, en somme, pour devenir vicaire apostolique, je préférerais encore rester préfet des études à Saint-Eugène ". (Lettre du 27 juillet 1890 citée par Marin, p. 90)

En réalité le Chapitre Général de novembre 1890 le maintient dans les maisons de formation. Il négocie alors habilement avec le Cardinal.

" Il fallait d'abord faire un programme, tel que je ne le voulais pas, afin d'avoir quelque chose à céder dans la discussion, et de garder, à la fin, juste ce que je désirais. Dieu merci, j'y suis arrivé ; je connaissais assez le cardinal pour dresser mes batteries d'avance, et nous nous sommes entendus admirablement, non sans fatigue et sans démarches, ni sans diplomatie. Encore ne fallait-il pas avoir l'air trop content à la fin ; il fallait que le Cardinal pensât m'imposer ses vues et non entrer dans les miennes ; que veux-tu, s'il a besoin de croire qu'il arrange tout lui-même, c'est une consolation bien facile à lui donner ; il est si content, et moi aussi, que c'est vraiment charmant ". (Lettre du 9 janvier 1891, Marin p. 92)

Avec la fanfare du petit séminaire, il joue la Marseillaise au fameux Toast d'Alger, le 12 novembre 1891 : " J'ai joué cette terrible Marseillaise ! Je ne trouvais pas cela si scandaleux ", écrit-il à sa sœur. (9 janvier 1891, Marin p. 93)

En 1891, le Cardinal nomme le P. Hacquard à Biskra pour faire de lui le premier supérieur d'un nouvel institut religieux et militaire, les Frères armés du Sahara. Il quitte donc saint Eugène. Ses élèves, à cette occasion, lui témoignent toute leur affection, et font de lui un vibrant éloge.


La formation première est ainsi achevée. Étonnantes, cette estime et confiance mutuelle entre Lavigerie et Hacquard ! Étonnant le parcours imposé ! On parle aujourd'hui de formation permanente, de recyclages. Différence d'époques. Mais Lavigerie savait être exigeant quand il décelait une personnalité forte et des qualités, des possibilités exceptionnelles chez un jeune candidat pour la mission. Formation " à tout faire " dirait-on. Formation pour faire face aux situations les plus imprévues. Il ne s'agissait nullement cependant d'une formation de commandos parachutistes, comme le laissait supposer et le rêvait il n'y a pas si longtemps encore un cinéaste en mal d'imagination. Mais sûrement formation à la liberté et à l'initiative, bâtie sur le roc d'une foi profonde et d'une piété personnelle et solide.


II. LES FRÈRES ARMÉS DU SAHARA

Le Cardinal, qui réside alors souvent à Biskra, a le projet de fonder des postes de volontaires antiesclavagistes (50 membres environ). Leur rôle serait surtout de recueillir les esclaves enlevés ou échappés aux caravanes faisant la traite. Ils devront mener une vie partagée entre la prière, le travail (y compris l'agriculture et la chasse), et le maniement des armes. Il fait appel à Hacquard. Celui-ci a toujours aimé le désert et il se plaît très vite à Biskra. Il cherche aussitôt à créer des contacts amicaux avec les indigènes - tout en gardant de bonnes relations avec les militaires français.

Il raconte ainsi une de ses journées :

" J'ai du travail nuit et jour ; de temps en temps une petite lessive du cardinal, qui ne laisse pas d'être très paternel et très confiant avec moi ; quand on veut être bien tranquille et ne rien faire, je comprends qu'on n'aime pas venir près de lui, il n'y fait pas bon ; mais quand on désire faire ses premières armes sous un chef actif, vigoureux, d'une intelligence qui subjugue, et par-dessus tout d'un homme de Dieu ; alors on est à bonne école et c'est plaisir d'être manié par cet homme-là, pourvu qu'on ne soit pas une demoiselle, car, s'il est exigeant, il estime les hommes de caractère et de dévouement "


Hacquard construit beaucoup - oubliant ses livres - et tient une abondante correspondance pour le recrutement. L'idéal de cette fondation était très beau. Lavigerie le décrit ainsi dans sa lettre de carême 1891 :

" L'œuvre à laquelle j'invite ces auxiliaires est une œuvre de courage, mais encore plus une œuvre d'abnégation. Je ne veux que des hommes qui se résignent à vivre pauvres dans les travaux et les fatigues, sans récompense humaine, sans traitement, sans solde, se contentant, comme ont fait les apôtres, du vêtement qui les couvre et des aliments qui soutiendront leur vie, consacrant tout ce qu'ils ont d'intelligence, d'ardeur, d'énergie à l'accomplissement d'une œuvre qui intéresse leur patrie, l'humanité, et, par suite, dans l'avenir, la religion, les âmes. […] Il faut, à la terre du désert, des hommes qui l'étudient, qui la travaillent, qui la cultivent, qui l'ouvrent là où la nature a su emmagasiner ses eaux, et qui joignent à l'exercice de la charité envers les pauvres et les malades, envers tous les déshérités, les arts utiles à la vie ".

Les postulants sont très nombreux : Mais parmi tous ces jeunes, combien de vocations sérieuses ? Pour beaucoup, l'attrait de l'inconnu, de l'aventure, le mirage du désert africain ont dû jouer. On parle alors de " milice sacrée " et Il y eut bien 1700 demandes. Hacquard dit en avoir retenu seulement 50. Il les reçoit à Biskra, mais peu de temps après il n'en reste que 30. Ils se mettent au travail et commencent leur formation. Les difficultés et critiques ne manquèrent pas…


" D'autre part, Mgr Toulotte, chef de la mission du Sahara, devenait, pendant son séjour à Biskra, le supérieur effectif de la station ; forcément, l'action du supérieur ordinaire était entravée, et sa situation imprécise devenait d'autant plus délicate que le vicaire apostolique passait pour n'avoir point foi en l'œuvre des Frères armés ". (Marin, P. 127-128)

En octobre, Hacquard fut nommé à Ouargla avec six " frères " pour fonder un nouveau poste. Long et pénible voyage de 15 jours.

L'existence des Frères armés devait finalement être très courte. À la conférence de Berlin, les puissances européennes s'étaient quasiment partagé l'Afrique. Dès 1890, Lavigerie savait déjà que ses frères armés ne pourraient agir qu'en zone d'influence française. Mais même là, il y eut très vite des oppositions politiques. Et beaucoup s'imaginaient qu'il y avait à Biskra une troupe armée encombrante et indépendante. Lavigerie avait parlé de 1700 candidats. Il n'y avait en réalité que 22 frères armés en formation ! En octobre 1892, Lavigerie prit finalement la décision de licencier la petite société des Frères armés. C'était tout juste avant la mort du Cardinal.


Étonnante aventure que celle des Frères armés du Sahara ! Que n'aurait pas entrepris Lavigerie pour débarrasser l'Afrique de ce fléau de l'esclavage ! Il rêvait aussi un peu de " moines défricheurs ". Mais il sut décider, le jour venu et devant l'échec quasi assuré de ce projet - très peu de temps avant sa mort, et ce fut une de ses dernières décisions - de dissoudre cette " milice ", d'ailleurs fort peu nombreuse.


Le P. Hacquard reste à Ouargla, où il est responsable de la mission. Quelques extraits de ses lettres montrent comment se passent les journées des missionnaires :

" Je n'ai guère fait que recevoir des visites et courir le pays à cheval pour les rendre ; ces visites à rendre prennent beaucoup de temps, car les nomades qui campent autour de Ouargla en sont quelquefois à 8 ou 10 km, et toujours à 4 ou 5… Chemin faisant on nous présente des malades. C'est ainsi que se remplissent nos journées, sans autres émois que ceux de la vie de nos gens ; une tribu a enlevé des chameaux à une autre, les Touaregs qui sont signalés ici ou là ; on met du monde à cheval, à méhari, on se donne une bonne frottée, et tout se termine par des malédictions mutuelles, dont on est prodigue dans ce pays-ci. Vous voyez que cette vie est fort intéressante, mais il faut l'aimer pour y trouver de l'intérêt ". (Lettre du 09 02 1892)

En janvier 1893 on apprend la mort du Cardinal Lavigerie ; Hacquard écrit :

" C'est un bien gros deuil. Outre que j'étais personnellement très attaché au cardinal, notre Société tout entière mettra du temps à bien s'orienter en devenant indépendante et autonome. Nous aurons donc pour la première fois un vrai supérieur général, pris parmi nous, et un conseil agissant d'après sa propre initiative. Cela amènera nécessairement quelques changements dans la marche de nos œuvres. De plus, il y a mille difficultés que le nom seul du Cardinal suffisait à aplanir, et désormais il faudra les surmonter péniblement au lieu de ne les connaître que de nom. Enfin le cardinal était le chef des diocèses d'Alger et de Carthage, c'était lui en Algérie, c'était lui en Tunisie ; actuellement, ce seront des intérêts séparés et bien des affaires à traiter jusqu'à ce que toutes les questions mixtes soient nettement tranchées. Dieu y pourvoira. Notre situation n'a rien d'alarmant ; mais il y aura une période laborieuse comme pour un navire qui change de direction… Mais, quelque vénération que nous ayons pour notre illustre fondateur, notre œuvre n'est pas l'œuvre d'un homme, c'est une des nombreuses fondations de la Providence, et notre véritable Chef ne nous fera pas défaut si nous restons dignes de notre mission. (Lettre du 27 01 1893)


Il ajoute ailleurs :

" Après cela (les solennités des funérailles) aura lieu un règlement d'affaires entre notre Société et le diocèse d'Alger. Il est bien rare que ces sortes de démêlés n'aient pas leurs côtés tristes aussi, car les hommes y mêlent nécessairement leurs petitesses, dans lesquelles la préoccupation de la gloire de Dieu n'est pas toujours en première ligne. ' Délimitation de frontière, d'abord, entre les diocèses algériens et la mission du Sahara établie en 1868… Ce sera pour notre Société une crise douloureuse à passer ".


Hacquard était supérieur de la mission de Ouargla. Mgr Toulotte, vicaire apostolique du Sahara, était son supérieur immédiat. L'abbé Marin note : " Sans chercher à les opposer, en aucune façon, l'un à l'autre, il est permis de constater que le Père Hacquard et son supérieur immédiat, avec lequel il eut désormais de fréquents et nécessaires rapports, différèrent plus d'une fois dans leurs vues sur les plus utiles moyens de prosélytisme ou d'influence du missionnaire d'Afrique, en face des indigènes et des européens ".

Mgr Toulotte était un ascète, très pieux et humble. " Ses confrères le regardaient comme un saint, et bien qu'il ne fût pas le candidat du cardinal, qui eût préféré le Père Hacquard, ses vertus l'avaient désigné au choix du conseil de la Société des Missionnaires d'Afrique pour le nouveau vicariat apostolique " (Marin). Et Lavigerie disait : " Mgr Bridoux nous apportait les dons d'une nature plus active, en apparence, et plus propre à répandre autour d'elle l'influence de son ministère. Mgr Toulotte nous donne davantage l'exemple de l'humilité et de la prière intérieure, du travail assidu, de la mortification presque sans mesure ". (Lettre circulaire du 2 juillet 1891)

Le 21 juillet 1893, Hacquard est mandé à Maison Carrée. Pour quel changement ? Il l'ignore encore.


III. UNE MISSION EN PAYS TOUAREG
(sept 1893 - avril 1894)

En août, le P. Hacquard fait une retraite de trente jours. Il vient de vivre une année d'épreuves. " J'ai tant souffert cette année que j'en suis encore tout meurtri et que je n'en guérirai jamais, écrit-il à Mgr Livinhac. Comme je ne suis guère vertueux, j'avais peut-être besoin de ce remède énergique pour me détacher complètement de moi-même et me mettre sans arrière-pensée et sans regret entre les mains de la providence ; aujourd'hui c'est fait " (Marin, p. 201-2). Quelles furent ces épreuves ? Lui-même en parle ainsi :

" Rien ne m'a peiné comme cette menace de quitter la Société, ni les accusations, ni la défiance, ni les soupçons peu fondés, ni l'humiliation : tout disparaissait devant cette perspective. Ne pensez pas que je vous écrive sous le coup d'une crise de découragement : je ne suis pas découragé, pas même triste, et j'espère qu'avec la grâce de Dieu, je ne déshonorerai pas ceux qui m'ont envoyé, ni l'habit que je suis si heureux de porter ". (idem)

Le 10 septembre 1893 le P. Hacquard est désigné par ses supérieurs, avec le P. Ménoret, pour faire partie d'une mission en pays Touareg. Mission d'exploration, de découverte, pourrait-on dire. Il s'en réjouit. Il va rencontrer à Toulouse le responsable de la mission, l'explorateur Gaston Méry. Ce dernier lui semble très hardi et même téméraire. Pourtant Hacquard ne craint pas le danger ; " Je mourrai volontiers, si Dieu a marqué mon dernier jour sur cette route du Soudan "

L'organisation de la mission se révèle très défectueuse, au plan matériel et pour toute la logistique. Aucun inventaire de ce qu'on emportera, Méry ne veut pas qu'on emmène de livres, ni le petit matériel du géologue de la mission. Méry n'a jamais fait la route, et n'accepte pas les avis des autres, plus expérimentés. Il s'écarte des routes sûres, se moque des cartes et des guides. À Touggourt la mesure est comble. Méry ne veut plus de guides ! Les autres membres de l'équipe finissent par trancher : " En conscience, nous ne pouvions pas accepter la responsabilité de nous engager plus avant et de compromettre des intérêts aussi graves en courant à un désastre ".

Retour à Biskra. On demande à Hacquard d'accepter le commandement de la mission. Il refuse, parce que cette fonction est incompatible avec son caractère de prêtre et de missionnaire. Mr d'Attanoux est alors désigné. Mais c'est toute la mission qui est remise en question, à cause de troubles et d'agitation dans le sud. La situation se calme et se clarifie ; on continuera à quatre seulement, les touaregs garantissent cette fois leur sécurité. Hacquard est précieux par son expérience. En plus, il parle arabe et un peu le tamasheq. Il a fait, dans de nombreuses lettres à Mgr Livinhac, un long rapport sur la mission. Notons simplement cette réflexion, concernant sa vie personnelle et sa prière :

" Ordinairement nous ne pouvons pas dire l'office, obligés de nous occuper de tout quand on campe, ce n'est possible que les jours de séjour, où nous avons aussi la consolation de célébrer la sainte messe : en marche nous la disons aussi le dimanche. Bref, à part les ennuis inséparables de notre existence, nous n'avons qu'à remercier Dieu et à lui demander de nous conserver la charité patiente et la charité apostolique ".


Partie le 12 janvier, la mission sera de retour à Alger le 17 avril. Un Chapitre Général des Pères Blancs s'ouvre à Maison-Carrée (Alger) le 25 avril. Hacquard y participe : " Après ce Chapitre, j'irai à peu près sûrement en France pour préparer mon départ vers des régions plus lointaines que le pays des Touaregs. Creusez-vous bien la tête, vous ne trouverez pas. Préparez seulement vos commissions pour Ségou-Sikoro ".
(Lettre du 17 avril).


IV. VERS LE SOUDAN : SÉGOU ET TOMBOUCTOU


Rappelons d'abord quelques dates. Dans les années 1860, Faidherbe, gouverneur du Sénégal, cherche à étendre l'influence de La France vers l'intérieur. Ce projet sera poursuivi par le Colonel Brière de l'Isle, soucieux d'ouvrir une voie commerciale vers l'intérieur. Il obtient la construction du chemin de fer Dakar Niger. Il fait construire des forts jusqu'à Médine et Kita.

En 1883 Borgnis-Desbordes entre à Bamako et en 1886 Galliéni est nommé comman-dant supérieur du Soudan français. Il est remplacé par Archinard en 1886. Samory est pris en septembre 1898. Archinard conquiert Djenné en 1893. Tombouctou est prise par les français en janvier 1894, après des avancées téméraires et meurtrières dûes à des rivalités entre " armes " pour arriver les premiers à Tombouctou.


Au point de vue missionnaire la préfecture du Sahara - Soudan existe depuis juillet 1867 et en 1888 est érigé le Vicariat Apostolique du Sahara Soudan. On sait que les deux premières équipes de Pères Blancs envoyées vers Tombouctou, à travers le Sahara, ont été massacrées. Maintenant, la voie semble libre à partir de Dakar pour fonder la mission à Ségou et à Tombouctou. L'autorisation de départ pour une fondation de mission catholique au Soudan est donnée par le ministère des colonies le 9 novembre 1994. Rome également a donné son accord. Le 25 décembre, la première caravane du Soudan (4 Pères Blancs) s'embarque à Marseille. Le P. Hacquard en est le Supérieur. Il a alors 33 ans.

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1ère Caravane pour le Soudan 25 XII 1994
1ère photo: debout P. Hacquard et P Dupuis, assis P. Ficheux et P. Eveillard
2è Photo: PP Eveillard, Dupuis, assis: P. Ficheux, Hacquard

Hacquard a fait une tournée de conférences en France, à Lille et à Paris (" très bel auditoire… 7OO personnes) :

" Le président a été d'une amabilité assommante à force d'éloges… Nous avons maudit les Anglais solennellement… Les conférences ont réussi grâce au vif intérêt que l'on porte partout en France aux choses d'Afrique, et au regain de notoriété que les événements de Tombouctou donnent aux Touaregs. Ce nom de Touareg éveille l'attention et, depuis Flatters et Bonnières, il semble qu'ils doivent nécessairement couper la tête à tout Français qu'ils aperçoivent ". (Lettre du 1er juin 94, Marin, p. 287)


2ème Caravane pour le Soudan avec le Père Sauvant
Ayant quitté Marseille le 25 septembre 1895, arrivée à Segou le 8 décembre 1895

" Et le Vicaire apostolique du Soudan ? Mgr Toulotte est Vicaire apostolique du Sahara et du Soudan… Il est vrai que la mission du Soudan, une fois occupée effectivement, sera distraite du vicariat trop grand, mais on commencera par en faire une préfecture apostolique, et quand nous serons suffisamment développés… on nous fera, à Alger, un beau vicaire apostolique tout battant neuf, et on nous l'enverra… Si votre affection peut vous tromper, personne, chez nous, ne partage vos illusions ; je suis un monsieur bon à crosser de temps en temps, mais pas à mitrer. J'avoue que cela ne me ferait pas le moindre plaisir : l'humilité est absolument étrangère à ce beau sentiment. Je trouve que je suis bien plus heureux, comme je suis, et un peu moins coupable que si j'avais de grosses responsabilités. Et puis, franchement, je n'ai pas la tête de quelqu'un qui pontifie, et le jour où je voudrais m'y mettre je serais tellement drôle qu'on en rirait de bon cœur : je ne suis acceptable, dans une cathédrale, fût-elle de roseaux, que dans les fonctions de bedeau ". (Lettre du 22 octobre 1894 Marin, p. 299)

LE VOYAGE : DE MARSEILLE A DAKAR -- DE DAKAR A SÉGOU

Les nombreuses lettres du P. Hacquard sont un rapport précieux et détaillé de ce voyage. Nous nous contentons ici d'en marquer les principales étapes. Départ de Marseille le 25 décembre 1894 - On atteint les Îles Canaries pour le nouvel an : on appelle les Pères " Los Moros ", les considérant d'abord, vu leur habit, comme des arabes convertis.

Arrivée à Dakar, accueil chaleureux par les Pères du Saint-Esprit. 12 heures de train jusqu'à Saint-Louis, où la petite caravane est accueillie au presbytère jusqu'au 16 janvier. Cette fois on s'enfonce à l'intérieur des terres. L'équipe s'embarque sur le Brière-del'Isle et remonte le Sénégal. Le 17 on est à Podor, à Bakel le 6 février, enfin à Kayes le 12. Accueil par les Pères Spiritains et les Sœurs de St Joseph.

Jusqu'au 21, on attend que la voie de chemin de fer soit réparée. On atteint ensuite Bafoulabé, gare terminus, au confluent du Sénégal et du Bakoy. Et de là on continue à cheval ou à pied, des porteurs assurant le transport des bagages. À Boulouli, on trouve le Père Fall, prêtre sénégalais, venu depuis Kita à leur rencontre.
Le 3 mars, arrivée à Kita. Le P. Abiven, curé de la Paroisse, les reçoit. On recrute d'autres porteurs, et on recueille le maximum d'informations auprès de ceux qui reviennent du Soudan et de Tombouctou.


Case du P. Hacquard à Segou

Le P. Hacquard écrit au P. Livinhac, supérieur général, pour lui demander d'envoyer d'autres missionnaires : trois pour Tombouctou et quatre pour Ségou, de façon à pouvoir visiter les centres environnants (Mopti, Djenné, Sansanding, Bandiagara…)

" Le voyage en caravane n'est pas trop dur ; les étapes sont de 15 à 2O km… Vers 2 heures et demie je réveille tout le monde, et on part à 3 heures, après avoir avalé un peu de café préparé la veille au soir… on fait 4 km à l'heure, ce qui nous met au gîte d'étape entre 7 et 8 heures. Nous trouvons généralement des cases rondes en terre, recouvertes de toits pointus en chaume pour nous abriter durant la journée. On prie, on prend des notes, on vaque à ses petites affaires, bien que la chaleur du jour soit supérieure à 40° à l'ombre, et le soleil très mauvais. Les santés sont bonnes, le moral aussi ".

" 31 mars - Dimanche de la Passion et clôture du mois de st Joseph. C'est le premier dimanche où nous sommes privés de la sainte messe, mais en chaland il n'y faut pas songer ; en plein air, sur la berge, pas davantage. Cette privation elle-même nous sera méritoire "

Une journée de repos à Bamako et on rejoint, 50 km plus loin, Tulomajo, point à partir duquel le Niger redevient navigable. On embarque sur quatre chalands, et bientôt on dépasse Koulikoro.

Arrivée à Ségou le 1er avril 1995. La première installation est en principe très provisoire. Mais très peu de temps après, nous dit Hacquard :
" On vient de confisquer une caravane de 80 esclaves ; ils sont libres, même de mourir de faim. Je les ai adoptés et m'en charge. Il faudra les nourrir leur donner du mil à semer, et se charger de tout ce monde jusqu'à la récolte, c'est-à-dire pendant six mois ; plus de la moitié sont des enfants au-dessous de dix ans : quelle misère ! […]" Depuis que nous sommes ici, j'ai remis au Père Éveillard la direction du poste : cela marche bien. Le règlement est observé aussi intégralement que dans n'importe quelle maison de la Société."

On fonde ainsi un premier " village de liberté " : 80 esclaves libérés.

Un officier de Ségou écrit à un de ses proches : " Tu aurais été heureux de voir, ce matin, dans la petite paillote qui abrite provisoirement le Bon Dieu à Ségou, tous les officiers de la garnison assister à la messe. Il faut dire aussi quel homme les Pères blancs ont à leur tête, d'ailleurs tu le connais, ce charmeur qui s'appelle le Père Hacquard ! Il en est ici qui ne peuvent plus se passer de lui et ne veulent plus le lâcher. Il a déjà séduit tout le monde ".

Le 30 avril, embarquement pour Tombouctou, avec le Père Dupuis. Arrivée à Kabara, le port, le 21 mai. En ville, le soir même, accueil et relations très cordiales avec tous. Le dimanche, messe et bénédiction des tombes. " Dans ce pays, il faut toujours commencer par le cimetière, c'est l'endroit le plus peuplé du poste "

" Quand j'ai vu Tombouctou, j'ai cru devenir fou de je ne sais quelle émotion, un mélange de joie, d'espérance, de tristesse, de retour en arrière, de sauts dans l'avenir, et, comme chose actuelle, moi, en face de ce but tant désiré de nos aînés, les Paulmier, les Ménoret, les Richard, et mes pauvres amis Morat et Pouplard, tous noyés dans leur sang avant d'avoir pu l'atteindre ".

Le premier jour, on installe la chapelle et l'autel ; le lendemain, le dispensaire et la pharmacie. Beaucoup de rencontres, de visites reçues et rendues. Hacquard se fait appeler Abdullah (serviteur de Dieu). À peine arrivé, il demande instamment du renfort :

" Ma grande occupation, à l'heure qu'il est, c'est de frapper à toutes les portes pour qu'au mois de septembre, on nous envoie beaucoup de monde, une dizaine de missionnaires ; c'est un peu partout la même chose, près des hommes comme près du Bon Dieu : plus on se démène, plus on fait de bruit, plus on obtient, ce sont toujours ceux qui crient le plus fort qui ont raison. Le difficile, c'est de crier fort, quand on est si loin, et qu'on a des rivaux sur place pour enlever les hommes disponibles ; aussi, à chaque courrier, Mgr Livinhac reçoit une lettre essoufflée pour exposer mes doléances. " (20 mai 1895)


Le 3O juin 1895, il écrit :

" L'œuvre s'établit et acquiert tous les jours de la solidité. Nos relations avec les indigènes se multiplient et conservent leur caractère très bienveillant. À la curiosité s'est mêlée la sympathie, et aujourd'hui nous ne sommes plus ni des suspects ni des indifférents pour la population. Les notables viennent souvent nous saluer et causer avec nous, même ceux dont on redoutait l'hostilité à notre égard. […] Nous ne sommes que deux ; je ne quitte guère la pharmacie où je reçois journellement de trente à cinquante malades. Le P. Dupuis tient l'école (une quinzaine d'enfants), ce qui ne nous laisse guère de loisirs. "

Un officier français, pour sa part, dit, dans une lettre à sa famille : " Je suis au milieu des paquets ; Ahmadou m'annonce que les Pères ont envoyé pendant que je n'étais pas là, cinq bouteilles de vin, une de chartreuse verte, et cinq poulets. Quelle gâterie ".

Hacquard n'a vraiment pas fait vœu de stabilité. Le 8 septembre 1895, il écrit :

" Figurez-vous que, à peine depuis trois mois à Tombouctou, je rêve déjà d'aller camper plus loin. Ne m'accusez pas d'esprit aventurier, je n'y suis pour rien, et si mes rêves se réalisent, la Providence aura tout fait. ".


Carte de 1901

 

V. LA MISSION HOURST (1896)
Mission hydrographique du Niger
(Janvier-novembre 1896)

De quoi s'agit-il ? M. Hourst, commandant de la flottille française du Niger, est chargé d'une mission hydrographique sur le fleuve. Il demande au père Hacquard de l'accom-pagner. Hacquard est très intéressé, et par la mission elle-même et par la reconnaissance à faire pour fonder une nouvelle station de missionnaires.. Il connaît tous les membres de la mission Hourst. Les Supérieurs et les autorités ont donné leur accord.

Avant son départ, Hacquard a confié la responsabilité du poste de Tombouctou au Père Éveilllard. Il a écrit à ses supérieurs pour leur signaler une bonne liste d'ouvrages à consulter par les futurs missionnaires du Soudan, en même temps que diverses notes sur Tombouctou, sur les Touaregs et sur le trafic des esclaves dans la région… Quand aux espérances concernant l'évangélisation, il lui semble bien qu'elles soient à long terme.


La mission Hourst quitte Kabara le 22 janvier 1896. Le rapport du Cdt Hourst a été publié chez Plon, et le journal de voyage du P. Hacquard a paru dans la revue " Les Missions catholiques " en 1897. Les risques étaient grands. Au début, on est en pays connu, mais cela ne dure guère. On arrive au passage étroit et encaissé de Tossaye, qu'on avait dit très dangereux. Tout se passe sans accrochages.

À Gao, par contre, " Madidou nous attendait avec une cavalerie qu'il est difficile d'évaluer, mais qui n'était pas inférieure à plusieurs centaines de guerriers ". Négociations, auxquelles Hacquard, très précieux, prend une grande part. Cadeau à Malidou ; et ce dernier donne son accord pour la poursuite du voyage ; Il retire ses guerriers.

Viennent les difficultés de la navigation sur le fleuve : bancs de rochers… On va " de caillou en caillou ", rapides et passes étroites. Accroc à la coque d'un des bateaux. Progressivement les riverains, sans être hostiles, diminuent de confiance et de bienveillance. Le pays n'est plus sous la dépendance directe de Madidou mais sous celle de ses vassaux.

Le jour de Pâques 1896 on franchit le dernier des rapides et on entre chez les Toucouleurs. On arrive à Dounga, où demeure Ahmadou :

" Les forces dont dispose celui-ci sont massées autour du village. Presque tous les hommes sont en grande tenue, à cheval, le fusil prêt, dans une attitude magnifique. Nous-mêmes, pavoisés de tous nos pavillons, qu'ils connaissent bien, nous descendons le fleuve assez près de la rive pour leur offrir le combat, si c'est leur dessein, assez loin pour ne pas avoir l'air de les provoquer, s'ils ne sont là que pour la défense. On se regarde fièrement, comme des ennemis qui se sont maintes fois mesurés. Mais tout reste digne et pacifique. ".

Le 7 avril, la mission hydrographique jette l'ancre devant Say. Le chef local déclare à Hourst que Say est trop petit pour deux chefs, et qu'en conséquence il ne leur permet pas de rester au-delà de 5 ou 6 jours. Hourst a des ordres formels : attendre de nouvelles instructions. La mission choisit une île boisée, s'y installe et organise sa défense. On s'occupe à divers travaux scientifiques et littéraires. C'est la saison des tornades, les eaux sont encore très basses. Et les instructions n'arriveront jamais. Il ne reste qu'à attendre la montée des eaux… Le 15 septembre, on se remet en route.

À Giris, " par l'intermédiaire du P. Hacquard, on échange des compliments au musc et à la rose ", et on boit même le champagne avec le chef local.

" À plusieurs reprises, écrit Hacquard, il nous est arrivé, à tous, d'entendre des voix qui riaient d'un air moqueur, ou qui chuchotaient, ou qui se disputaient. Chacun, en faisant son quart, averti pourtant par l'expérience des autres, s'y est laissé prendre et a demandé au quartier-maître : " N'entends-tu pas parler ? ". Et chacun recevait cette réponse invariable : " Non, il n'y a rien, tu crois qu'il y a des hommes qui parlent : ce n'est pas des hommes, c'est le fleuve seulement…". J'ai bien compris, pour la première fois, la création des fées, des génies, des revenants, par des imaginations frappées. Ah ! la longue, l'affreuse nuit toute pleine de réflexions sombres ". Le 4 novembre, la mission était à Porto Novo, et le Père Hacquard chantait une messe solennelle d'action de grâces..

Nous avons cité plus haut l'hommage que Hourst rendit au P. Hacquard et à sa précieuse contribution au succès de l'expédition.

" En arrivant au Dahomey, le P. Hacquard comptait bien avoir, à Cotonou, des nouvelles de sa mission au Soudan. Soit oubli, soit négligence, ou ignorance de l'époque de son retour, il n'en trouva aucune, ni de ses confrères ni de son vicaire apostolique, qui avait entrepris, en l'absence de ce missionnaire, la visite des postes de Ségou et de Tombouctou. Il en fut profondément affligé et en reçut au cœur une blessure qui devait être lente à se fermer. L'imagination et la fatigue aiguisant ses inquiétudes et sa peine, il croyait voir les portes du Soudan se fermer désormais pour lui "

Mais " Mgr Livinhac sut trouver bientôt, dans son affection toute paternelle pour le Père Hacquard, les paroles consolatrices, rassurer enfin le missionnaire et lui donner les plus éclatants témoignages de son estime et de sa confiance ". (Marin)

En passant aux Canaries, quelques jours après, autre déconvenue : Dans toutes les églises et les couvents, on lui refuse de célébrer la messe. Il est trop mal vêtu, sale et déguenillé. Enfin le supérieur d 'une maison religieuse, quoique méfiant, lui permet de célébrer à la sacristie. " Comme j'avais le cœur serré en voyant des prêtres, des religieux, me suspecter de la sorte ! Il est vrai que je ressemblais assez à un brigand ! "

La mission s'arrêta à Dakar pour se présenter au Gouverneur général. Seul le P. Hacquard poursuivit sa route, parce qu'il devait y avoir des fêtes, réceptions et banquets, " toutes cérémonies où ma place ne me semblait pas indiquée : à la peine tant qu'on voudra, mais pas à ce genre d'honneurs ; j'entends un jour être mieux payé, si le bon Dieu me fait miséricorde ; je suis plus ambitieux que cela, je prétends être missionnaire ".

À peine arrivé en France, Hacquard donne ses impressions :

" Je vous dirai seulement qu'à mon point de vue personnel de missionnaire, j'en suis tout à fait content. J'y ai souffert, je m'y suis instruit, j'y ai pu faire un peu, et, peut-être préparer beaucoup de bien, tout ce qu'il faut pour satisfaire une ambition. Mes compagnons de voyage sont parfaits, et pas un seul instant je n'ai eu à regretter de m'être joint à eux… Pas un coup de fusil, de Tombouctou au Dahomey, pas une attaque, rien d'intéressant en un mot.. Il y a des gens qui le regretteront ; j'avoue que je n'en suis pas, et que j'ai fait tous mes efforts pour qu'il en soit ainsi : là où nous avons passé, on peut se présenter sans crainte de représailles ou de mauvais souvenirs "..

Certains avaient nettement eu du mal à admettre sa présence dans l'expédition..

VI. SÉJOUR EN FRANCE
NOUVEAU VOYAGE AU SOUDAN

Hacquard resta près de 11 mois en France et en Algérie. Il rédigea des comptes-rendus, fit des conférences, mais surtout il prépara le départ pour le Soudan d'une double caravane de Pères Blancs et de Sœurs Blanches. Citons quelques extraits de lettres de cette période :

" L'année que nous terminons, et qui a été pour moi particulièrement pénible, à cause de l'isolement dans lequel j'ai vécu, a donné une force nouvelle, chez moi, à l'attache-ment que tout missionnaire doit porter à la Société ". (Le 29 décembre 1896, à Mgr Livinhac)

Il n'aime pas qu'on le traite d'aventurier, alors qu'il se remue beaucoup pour trouver de l'aide et des ressources pour la mission du Soudan.

" Je trouve qu'on avait disposé de moi en mon absence sans me consulter ; vendredi pour Paris, et dimanche pour Lyon. Je me suis fâché, on m'a ri au nez, et il faut que je m'exécute. Quelle tribulation que ces supérieurs ! "

" Notre cher Mgr Toulotte vient de rentrer du Soudan, criblé de fièvres, moulu de fatigues, vieilli de vingt ans ; pour moi, je me dispose à reprendre la route dans trois ou quatre mois ; je ne serai qu'à moitié content jusqu'alors. ".


Caravane 1996 (par Dakar) 3è au Soudan
Mgr Anatole Toulotte Vicaire Apostolique conduisant au Soudan
missionnaires et anciens esclaves rachetés
Pères Ménoret François, Pierre Hébrard et le Fère Celestin Sochay

Pendant son séjour en France, Hacquard est aumônier d'une communauté d'une centaine de religieuses de N. D. de Sion, auxquelles s'ajoutent 5O novices, durant six semaines.

Quant au voyage prévu : " J'avais pensé, un moment, à la route de Konakry. Actuellement, j'y vois deux difficultés… D'abord la route de Konakry est en espérance, et n'est pas ouverte, on n'y a pas de moyens de transport ; ce serait charmant pour moi d'aller par là, seul ou à deux, mais, avec huit religieuses, je crois plus sage d'aller par les chemins battus où tout sera disposé pour nous faciliter le voyage. Et, en second lieu, nous avons assez souffert l'année dernière - nous, la mission du Soudan - de l'abandon de nos bagages : ils ne sont arrivés qu'en mai et juin de cette année et dans quel état ! et quelle perte ! C''est une école que je ne tiens pas à recommencer cette année. S'il plaît à Dieu, je ne quitterai la place qu'avec le dernier colis ".

Embarquement à Marseille le 25 octobre 1897. " J'amène huit Sœurs, deux Pères et deux Frères. Nous sommes en tout 14 missionnaires et Sœurs à bord ". La caravane arrive à Ségou le 1er janvier 98 :


Caravane 1897 : Frères Jules et Gonzague
Pères : Piery, Hacquard et Garlentezec

" Le voyage est fini, Dieu merci ; j'ai envoyé mon monde aux quatre coins du Soudan ; j'ai laissé quatre religieuses à six jours d'ici ; j'ai conservé les quatre autres ici, où je les ai déposées dans leurs cases couvertes de paille. Si tu savais combien je suis soulagé, et combien j'ai souffert en route de voir souffrir ces pauvres filles ! J'ai le souvenir de certaines étapes que je n'oublierai jamais et qui ont été de vrais chemins de croix : fatigues, privations, manque de sommeil, fièvre, tout venait à la fois, tout manquait, excepté le courage et la bonne humeur quand même. Elles ont été admirables, et le seul souci qu'elles m'aient donné était de m'apercevoir à temps de la maladie et du surmenage, tant elles étaient énergiques pour tout cacher jusqu'à ce qu'elles n'en puissent plus, pour ne pas m'inquiéter davantage. Je vais rester ici un mois environ et recommencer ma vie de bohème vers Tombouctou. Mais, comme je serai seul, ce sera un jeu d'enfant. Je me porte beaucoup mieux qu'en France, je me retrouve dans mon élément, et, à part quelques jours de malaise au Sénégal, je n'ai pas eu la moindre menace d'indisposition ; j'avais besoin de force et d'énergie pour treize, Dieu me les a données et tout mon monde est rendu sur le Niger en bon état " (lettre du 1er janvier 1898)

Le 2O janvier : " J'ai trouvé le poste de Ségou en très bon état moral ; on y fait du bien, et on est très désireux de l'étendre ; les missionnaires y sont zélés et pleins d'un véritable esprit apostolique ; j'aime à penser, jusqu'à preuve du contraire, qu'il en est de même partout ".

La réalité était sans doute moins brillante. Hacquard rencontrait une certaine tension, même de l'hostilité. Dans les différents postes, le moral des missionnaires n'était pas très brillant. La forte personnalité du P. Hacquard rencontrait une certaine opposition chez ses confrères, surtout chez ceux qui avaient considéré sa participation à la mission Hourst comme une escapade.

Hacquard écrit à Livinhac " J'enlève les dernières pierres du chemin et après y (à Ségou) avoir reçu un accueil presque grossier, je considère la place reconquise ". (Lettre du 12 mai 1898, archives P. B.)

À quoi attribuer ces tensions ? La mission avait trois ans ; les premières désillusions se faisaient sentir dans l'apostolat : les gens ne répondaient pas autant que les missionnaires l'avaient espéré, les langues étaient encore mal connues, la situation matérielle était précaire, les renforts tardaient à venir.. Le climat, la chaleur pesaient :

" Partout, grâce à Dieu, on se comporte en dignes prêtres, on est vertueux et très régulier, mais l'apostolat manque d'élan ; là où sont d'anciens missionnaires du Sahara, ceux-ci se figurent avoir tout fait quand les services ont eu lieu à l'heure fixée et qu'on a soigné une trentaine de malades au dispensaire " (ibid).

Hacquard aura toujours la même attitude : comment connaître un pays, comment connaître les gens si on ne va pas les visiter chez eux. Il ne conçoit pas que les pères restent à la mission, attendant la visite des gens, même avec beaucoup de zèle, d'œuvres, etc. Il faut "inventer la mission", pourrait-on dire, et pas seulement reproduire les œuvres et les activités que l'on avait ailleurs.

VII. Le Père HACQUARD
VICAIRE APOSTOLIQUE (1897-1900)

C'est dans cette ambiance que Hacquard reçoit l'annonce officielle de sa nomination comme vicaire apostolique du Sahara et du Soudan ; lui-même en était informé depuis plus d'un mois…

" Je ne vois guère de quoi me réjouir. La gloriole ? Outre que je ne suis pas assez fou pour m'en contenter, il faut reconnaître qu'ici, elle a bien peu à voir. Ce n'est plus la situation d'un évêque vis-à-vis de son clergé : on est toujours en famille ; j'aurai la charge de commander, la responsabilité de faire marcher la mission, cela n'empêche pas d'être toujours avec les missionnaires sur un pied très familier, de manger le riz à la même calebasse, et d'écarter tout ce qui pourrait s'appeler cérémonie. Sans doute, ils auront pour moi quelques attentions, quelques prévenances, qu'on n'a pas pour tout le monde, je leur payerai cela en bonté, en sollicitude, et cela compense " (Lettre du 11 avril 1897)


Mission à Segou en 1900


Et il ajoute : " Je vais partir d'ici dans trois ou quatre jours, pour aller à Kati visiter les deux postes de missionnaires et de religieuses ; après y être resté quelques jours, je prendrai la route de Kayes pour rentrer en France ou en Algérie, puisque mes supérieurs m'invitent à venir me faire sacrer ".

Comment voit-il désormais sa mission ? Il est d'une grande clairvoyance pour l'avenir. Il écrit :

" Si les missionnaires ambitionnent, pour leurs pupilles, d'en faire de simples noirs chrétiens, vivant du travail de leurs mains, comme faisaient leurs ancêtres il y a deux cents ans, avec la seule différence de la religion, c'est évidemment une illusion que les faits ne permettront pas de garder. Pour le Soudan aussi, le temps marche avec rapidité, et dans le trouble qui accompagne une occupation militaire, une conquête, on perçoit déjà les indices d'une transformation, même matérielle, qu'on n'empêchera pas en fermant les yeux pour ne pas la voir. Aujourd'hui, le contact des blancs s'arrête au bord du fleuve, et à quelques kilomètres des postes, mais avant cinquante ans, le pays sera sillonné en tous sens par des agents de l'administration, des commerçants, etc. Dans la population indigène, l'influence, la prépondérance iront à ceux que leur éducation aura initiés au nouvel état du pays ; ils seront les intermédiaires nécessaires entre les chefs et la masse… Ce serait une souveraine maladresse de prétendre les tenir, de parti pris, en dehors du mouvement, puisque, au contraire, ils peuvent être appelés à le diriger ".

" De population noire isolée, vivant dans la simplicité primitive, il n'y en aura bientôt plus au Soudan ; il faut renoncer à cette chimère et former pour les différents degrés de l'échelle sociale, selon l'aptitude de chacun, des hommes cultivés, à l'esprit largement ouvert, et par-dessus tout, foncièrement chrétiens. […] Il faut surtout des catéchistes, il faudrait que chacun des enfants élevés chez les missionnaires soit à l'occasion un catéchiste… Pour préparer l'avenir, c'est en avant qu'il faut regarder ".

" De toutes les entreprises du poste de Ségou, la plus immédiatement apostolique est certainement celle des catéchismes dans les villages avoisinants… il faut dès maintenant former pratiquement des catéchistes. Les jeunes gens qui accompagnent le missionnaire peuvent faire sous sa direction leurs premiers essais et acquérir l'autorité et l'ascendant nécessaires pour remplir seuls ce ministère, quand ils en seront capables ". (Carte de visite du Poste de Ségou, le 26 mars 1898).

" Pour moi, écrit-il à un ami, j'ai fini d'être heureux ; ça été ma première parole en recevant la dépêche qui m'annonçait ma nomination, parole aussi spontanée que peu surnaturelle. Adieu les belles années sans grand souci, sans autre souci que de servir utilement Dieu et l'Évangile ; Ma part, maintenant, c'est le charme de l'administration, le souci de tous les besoins spirituels et temporels, les commissions désagréables, la responsabilité, et, jusqu'à un certain point, l'isolement ". (Lettre du 30 avril 1898)

Hacquard arrive à Marseille le 17 juillet. Il rencontre Mgr Livinhac pour fixer la date et le lieu de son sacre. Le 28 août 1898 il reçoit la consécration épiscopale dans la chapelle des Dames de Sion, à Paris. Il reprend aussitôt ses courses pour sa mission, fait le voyage de Rome pour rencontrer le Pape et le Cardinal préfet de " Propaganda fide ". Il ne peut pas se rendre au pays natal, ni revoir sa famille.


1898 : G à dr : Frère Eugène (Gall), P. Kopp, F. Philibert
P. Auguste Barié, Mgr Augustin Hacquard, P. Paul Barbé

. Il quitte Marseille le 25 octobre. Il emmène avec lui trois nouveaux prêtres, deux Frères et trois Sœurs. Ils arrivent à Ségou le 10 janvier 1899. Mgr Hacquard y demeure un mois. Il veut, sans tarder, visiter quelques-unes des immenses régions de son immense vicariat et il choisit d'aller en priorité au Pays Mossi (Ouagadougou est à 700 km de Ségou) et au Gourma.


VIII. VISITE AU PAYS MOSSI,
au GOURMA et dans le HAUT-DAHOMEY

Accompagné du P. Barbé, il quitte Ségou le 24 février et sera de retour le 12 avril. Ils traversent les Pays Bobo et Samo, pays où sévit à ce moment-là une dure famine, et arrivent au Pays MOSSI. Hacquard est séduit. Il est accueilli d'abord par les officiers et officiels français, puis, peu après, par le Moogo Naaba lui-même, venu à sa rencontre, entouré de ses dignitaires… Durant les quelques jours passés à Ouaga, il s'enquiert sur le pays, les habitants, l'organisation sociale, etc.

Cette fois Hacquard ne poursuit pas plus loin son périple. Il ne va pas au Gourma, qui faisait alors partie du Haut-Dahomey, mais ce n'est que partie remise. Rentré à Ségou, il attend l'arrivée de la sixième caravane. Il obtient la permission de ne pas participer au Chapitre Général de Maison-Carrée : son absence hors de son vicariat serait néfaste " car c'est l'anarchie par mollesse, par manque de commandement ; on ne sait pas se contraindre, ni aller contre ses goûts, ni accepter les idées d'autrui… on croirait lire une épître de saint Paul, n'est-ce pas ? " (Lettre à Mgr Livinhac 17 avril 1899, Archives P. B.)


Carte de 1938

La sixième caravane est nombreuse : 6 Pères, deux Frères et quatre Sœurs. Hacquard va pouvoir fonder au MOSSI. Le départ est fixé au 20 décembre 1899. Pas question de souffler pour les nouveaux arrivés. On arrive à Ouagadougou le 13 janvier et Hacquard décide de poursuivre jusqu'à Koupéla. Partout on reçoit le meilleur accueil. À 4 km de Koupéla, accueil officiel par les messagers du Naaba de Koupéla. L'accueil du Naaba de Koupéla lui-même fut plus froid et méfiant au départ, mais très vite les relations s'améliorèrent, et la fondation d'un poste à Koupéla fut décidée. Le 29 janvier 1900 Hacquard poursuivit jusqu'à Fada Ngourma. Fin mars, retour à Koupéla, puis Ouaga et Ségou. Il rentre très content de son périple. La mission en pays Mossi semble démarrer sous les meilleurs auspices :

" Quant à l'œuvre morale et religieuse, son succès est surtout le secret de Dieu, mais j'affirme qu'il n'est pas possible de trouver un chef et une population mieux disposés, avec toute la droiture et la sincérité qui les caractérisent ; aussi, ne les ai-je pas quittés sans une vraie peine, et j'avoue sans rougir qu'en disant adieu au naaba et à ses notables, à quelques kilomètres de Koupéla, il me fallut un réel effort pour empêcher mes yeux de se mouiller ; j'avais le cœur gros "


Le 16 avril, Mgr Hacquard écrit à sa sœur :

" Je suis rentré depuis 15 jours - la nuit du Jeudi Saint - avec quatre mois de route dans les jambes de mes chevaux : sur trois, j'en ai deux que je crains bien de perdre, ils sont à bout. Pendant qu'ils se reposeront, je vais aller à Tombouctou, lundi prochain, en pirogue. […] Ce qui m'a fait le plus de bien, pour la santé, je crois, c'est d'avoir pu établir deux postes nouveaux dans des pays qui semblent excellents, à tous les points de vue "

De Ségou, à cette période, il dit ceci : " Je suis installé dans ma case, cuisant dans mon jus, car il fait chez moi plus de 40°. Nous sommes au plus mauvais moment de l'année : le temps est orageux, lourd, avec des coups de vent, des tourbillons ".

En rentrant à Ségou, Hacquard a trouvé la population en proie à une très sévère famine. La lettre qui suit témoigne du désarroi des missionnaires, incapables de secourir les gens comme ils le voudraient :

" Nous sommes pauvres, pauvres, pauvres, cette année : sécheresse et sauterelles ont fait périr la dernière récolte ; on meurt de faim ici, les pauvres du moins, et c'est la majorité, car si le mil ne manque pas absolument, la quantité qui valait 4 centimes l'année dernière en vaut 50 maintenant. Nous sommes aux semailles, aux pluies ; d'ici la récolte, en octobre, on mourra encore de faim, on mangera de l'herbe, des feuilles, des racines, on mourra de dysenterie. Et le gouvernement ? Le gouvernement lève l'impôt et les parents vendent leurs enfants pour payer. Nous faisons ce que nous pouvons ; malheureusement c'est bien peu : quelques centaines de personnes sur deux cent mille dans le pays de Ségou ". (Lettre à un ami, le 21 juin 1900)


Caravane 5 nov 1900, 7è
P. Cousin, P. Chollet
P. Fau, P. Templier, P Eveillard, P. Thomas


Le 9 novembre 1900 Mgr Hacquard quitte de nouveau Ségou pour aller à Djenné, Bandiagara, Djebo, et Dori. Il envisage de fonder plus à l'est, à Say. Voici ce qu'il écrit à Mgr Livinhac, supérieur général des Missionnaires d'Afrique :

" Comme cela va être loin et me promet encore des courses plus qu'il ne m'en faudrait ! Non seulement ce sont de grosses fatigues, mais il va arriver que matériellement il me sera impossible de voir tous mes postes une fois l'an, même en restant douze mois sur les routes. Et avec cela, quelle connaissance sommaire je puis avoir des besoins de chaque mission, de la méthode à y suivre ? Je suis obligé de m'en rapporter à ce que l'on me dit, et de laisser faire ; alors autant dire que je n'existe pas. Je ne cesse de demander la dislocation de mon vicariat, puisque, même en me limitant au pays noir, je n'y aboutis plus. " (Lettre à Mgr Livinhac, 10 décembre 1900)


Mission à Segou (P Sauvant qui deviendra évêque 1928-1931)
Mission contruite par P. Eveillard et P Ficheux


A propos de ce souhait de Mgr Hacquard de voir son vicariat divisé, voici ce qu'écrit l'Abbé Marin, son biographe :

" Depuis longtemps déjà, des négociations étaient ouvertes entre la Société des Pères Blancs, la Congrégation des Pères du Saint-Esprit et la Société des Missions Africaines de Lyon pour une délimitation nouvelle des territoires de l'Afrique occidentale ouvertes à leur apostolat. Les pourparlers devaient se prolonger plusieurs mois encore, et Mgr Hacquard n'en vit point la conclusion " (Marin, p 621).

Curieux paradoxe, tout en souhaitant se voir déchargé d'une partie de son immense territoire Hacquard ne cache pas sa crainte de voir des régions qu'il aime passer sous une autre responsabilité : " Je pressens qu'on nous prendra jusqu'à Say… Pendant dix mois, j'ai exposé ma vie pour étudier ce pays et en prendre possession au nom de la Société, et on nous l'enlèverait aujourd'hui ? " (Lettre à Mgr Livinhac 27 mars 1901)

IX. UNE MORT TRAGIQUE


Le Jeudi Saint, 4 avril 1901, Mgr Hacquard mourait à Ségou, dans les eaux du Niger. Vers six heures du soir, il alla au fleuve pour se baigner, Il était accompagné de deux jeunes gens, l'un de 17 ans, l'autre plus jeune.

Vingt minutes plus tard, on entendit une voix qui appelait depuis les bords du fleuve. L'un des Pères et d'autres témoins se jettent à l'eau, mais personne n'est plus là pour indiquer le lieu de l'accident. Les deux enfants ont fui… Ils finissent par dire que Monseigneur s'est noyé et indiquent l'endroit précis de l'accident. De nombreux pêcheurs Somono arrivent et cherchent en vain. Finalement un filet ramène le corps.

Que s'est-il passé ? L'aîné des jeunes gens, Eugène, raconta par la suite que lui-même était tombé dans un trou profond, dont il sortit en criant : " Monseigneur, n'avance pas ! " C'était trop tard ; Mgr Hacquard avait déjà perdu pied. Eugène parvint, à deux ou trois reprises, à l'amener au-dessus de l'eau mais, la quatrième fois, Monseigneur, voyant qu'Eugène serait entraîné par lui, le poussa en disant " Mon enfant, laisse-moi, sauve-toi vite ". Puis il disparut.


1ère Tombe de Mgr Hacquard

Les funérailles eurent lieu le lendemain, Vendredi Saint.

X - QUELQUES TÉMOIGNAGES SUR HACQUARD

1) Mgr Livinhac

" Mgr Hacquard était un de ces hommes qui, par leurs allures et leur manière d'entendre les choses, tranchent tellement sur le commun que Dieu semble avoir créé pour eux un monde spécial, et qu'il n'est pas toujours facile de les comprendre et de les représenter au naturel. […] Il y avait en lui un mélange de pétulance et de gravité, de sévérité et de douceur, de raideur et de souplesse, d'audace et de timidité que je n'ai jamais rencontré dans un autre.

Sa piété même et son zèle, de bon aloi sans doute, avaient un cachet fort original, si bien que durant les premières années qu'il passa dans la Société, ses supérieurs se demandaient ce que serait un jour ce jeune aspirant. " (Lettre-préface de Mgr Livinhac in Abbé Marin : Monseigneur Hacquard des Pères Blancs, Bonne Presse -


2) Le Commandant Hours
(Chef de la mission hydrographique du fleuve Niger, 1896)

" Pour moi, pour la réussite de l'œuvre entreprise, le concours du P. Hacquard était capital. Familiarisé déjà avec les mœurs, les coutumes des Touaregs, il serait un conseil précieux ; arabisant distingué, il pourrait dans bien des cas s'entretenir directement avec certains indigènes, comme aussi contrôler traductions et écritures de mon interprète arabe. Enfin, surtout, son intelligence, la hauteur de ses vues, la droiture et l'énergie de son caractère étaient un sûr garant que je pourrais, en toutes circonstances, trouver en lui le contrôle le plus précieux, le plus efficace de mes actes, de mes projets.

Le P. Hacquard a été pour nous, en effet, tout ce que je viens de dire. Souvent, sur ses conseils, j'ai changé mes desseins, et, toujours je m'en suis bien trouvé. Si la mission du Niger a passé sans un coup de fusil au milieu de tant de populations diverses, parfois mal disposées, c'est en grande partie à lui qu'en revient l'honneur " (La mission Hourst, Paris, Plon-Nourrit, 1898 p. 83)

3) Un Membre de la mission Hourst

" Il était parmi nous l'élément d'union et de conciliation, chose précieuse, par-dessus toutes, dans un pays et dans des circonstances où la " soudanite " devait se développer avec tant de facilité. Son caractère de marabout blanc nous donna toujours, dans nos entrevues avec les chefs, un cachet de dignité et de paix qui en imposait. Nous n'avions qu'un reproche à lui faire, c'était de vouloir souvent nous amener au même avis malgré nous ! C'est vous dire que nous l'adorions, qu'il était pour nous l'ami, le compagnon idéal. Les noirs, nos laptots, le vénéraient et l'aimaient ".
(Cité par Marin p. 494)

4) Portrait par l'Abbé Marin

L'abbé Marin fait le portrait suivant du P. Hacquard quand il quitte Ouargla, âgé de 36 ans :

" Grand, l'œil vif et clair, le regard assuré, la barbe noire ordinairement taillée à l'arabe, d'allure dégagée et presque militaire, le P. Hacquard manifestait par tout son extérieur la vaillance et l'entrain, avec toute la vigueur, l'endurance et la ténacité d'un robuste tempérament lorrain. Son esprit, naturellement judicieux et pondéré, compréhensif et large, s'était affiné par la culture et l'enseignement des belles-lettres, et plus encore, peut-être, par un habituel commerce et de fréquents entretiens avec les Arabes et autres indigènes, si aisément ingénieux, déliés et subtils.

Il avait une rare puissance et facilité de travail, et le labeur intellectuel était pour lui comme un jeu. Sans aucune recherche d'art et sans effort, il était conteur et causeur exquis, affable, discret agressif doucement, avec une gaieté grave relevée d'une pointe de malice bienveillante ; et le récit de ses voyages et même de ses occupations quotidiennes, débordait de pittoresque, de coloris et de verve souriante…

Les heures bénies de la prière faite à loisir apparaissent rares peut-être dans son existence d'ouvrier apostolique toujours en course pour le royaume de Dieu, aussi n'avoue-t-il point que dans l'immensité et le silence du désert, son âme s'élève naturellement vers son Créateur et qu'il trouve dans cette méditation solitaire "les seules joies sans mélange" ?

Pas de vertu renfermée mais au contraire de très nombreux contacts, rencontres et visites. Marin souligne le contraste avec Mgr Toulotte :

" Il est vrai que sa vie, toute de mouvement et d'activité extérieure, paraissait être comme un perpétuel contraste avec l'existence plus calme, moins débordante, moins répandue de son vicaire apostolique ; aussi bien, toutes deux devaient se compléter l'une l'autre ; et plus tard, après de nombreuses courses sans trêve ni repos, le P. Hacquard devait être appelé à succéder à Mgr Toulotte, qui lui survit cependant, et qui consacre à la prière et au travail intellectuel la fin d'une vie studieuse et recueillie. Si l'évêque de Tagaste rappelle davantage ces moines d'autrefois, qui vinrent sanctifier les déserts, le P. Hacquard ressemble davantage au conquérant, au pionnier toujours en route à la poursuite des âmes ; et sa vie tout entière, sa vocation religieuse, ses voyages si féconds, tout s'explique par l'ardeur de sa foi et de son zèle apostolique "
(Marin, p. 195-197).

Joseph Vanrenterghem
Missionnaire d'Afrique
Bry-sur-Marne
Février 2005
Crédit Photos archives Webmaster

SOURCES

1) - Notre source principale est l'importante biographie écrite par l'Abbé Marin : Vie, Travaux, Voyages de Mgr HACQUARD des Pères Blancs d'après sa correspondance, Berger-Levrault, 1905. La plus grande partie du volume, de fait, est constituée par de longues citations de lettres de Mgr Hacquard.

Le même auteur a publié une version abrégée de son ouvrage : Monseigneur Hacquard des Pères blancs, aux éditions Bonne Presse.

2) - Les Archives des Missionnaires d'Afrique, Maison Généralice, Rome, contiennent deux dossiers concernant Hacquard :

- Dossier 71/207-237 : Mgr Hacquard, sa personne, nominations, tournées, rapports à la S.C.P.F. (1898) ; rapports à la Maison-Mère (1899) ; son décès.

- Dossier 71/238-359 : Mgr Hacquard, correspondance avec la Maison-Mère, Mission Attanoux - Avant son épiscopat - vicaire apostolique.

3) - La Mission Hourst : le rapport du commandant Hourst a été publié chez Plont et Nourrit sous le titre La Mission Hourst. Le journal de voyage du Père Hacquard a paru dans la revue Les Missions Catholiques, année 1897 : De Tombouctou à l'embouchure du Niger, p. 247, 253, 270, 282, 296, 307, 320, 333, 343, 352.

4) - Le premier voyage au Pays Mossi : Nous en avons trois récits ; dans Les Missions Catholiques, année 1899, p. 448, 466, 473, 486 ; Dans Le Bulletin des Missions d'Afrique des Pères Blancs, année 1899 ; enfin il faut consulter la lettre d'Hacquard au Supérieur Général, Archives Missionnaires d'Afrique, Rome (sans date), qui constitue le récit le plus complet.


5) - Le second voyage au Pays Mossi : Dans Les Missions Catholiques, année 1901, Promenade au Mossi, p. 94, 106, 117, 128, 142, 147, 174 ; dans Le Bulletin des Missions d'Afrique des Pères Blancs, année 1901/2, Promenade au Mossi, p. 175, 210, 299, 338, 362 ; Lettre de Mgr Hacquard à un ami officier, 2 août 1900, cité par Marin p. 595-601 ; enfin lettre d'Hacquard au Supérieur Général, 2 août 1900.

Annexe :Trouvé sur un site Récit de la Mort du P. Hacquard

4 avril 1901 mort de Mgr Hacquard, le premier témoin du Christ au Burkina -
Monseigneur Augustin Hacquard, premier Vicaire apostolique du Sahara et du Soudan, premier missionnaire à fouler le sol du Burkina mourut le Jeudi Saint 4 avril 1901 à Ségou-Sikoro, dans les eaux du Niger, voici comment.

Dans nos pays du Sahel, il fait très chaud au mois d'avril et Monseigneur Hacquard quand il n'était pas en voyage aimait prendre un bain dans les eaux du fleuve. Il se faisait accompagner habituellement par deux jeunes gens de la mission de Ségou. Eugène, dix sept ans et un autre plus âgé et qui était maintenant marié depuis deux ans.

ce soir du Jeudi Saint, Mgr Hacquard voulant aller au fleuve appela Eugène, le jeune garçon de dix sept ans et ne trouvant pas le plus âgé, prit un enfant de huit à neuf ans du nom d'Olivier et lui dit : " Nous partons ". L'enfant répondit : "Il est bien tard". "Nous ne resterons pas longtemps, et il ya un clair de lune magnifique", reprit.Mgr Augustin Hacquard

A cette époque de l'année, au mois d'avril, les eaux du Niger sont très basses à Ségou, et de plus on s'accorde à reconnaître que la prudence de Monseigneur était extrême et que les enfants de la mission allaient se baigner bien plus loin. Il est vrai que l'aîné des jeunes gens qui accompagnaient Monseigneur raconta, une fois son affolement passé, qu'il nageait devant le Vicaire apostolique et tout d'un coup il tomba dans une cavité profonde, il réussit à sortir et lança un cri : " Monseigneur n'avance pas ! ". C'était trop tard, Monseigneur avait lui aussi déjà perdu pied. Eugène parvint par trois fois à l'amener au-dessus de l'eau, mais la force du courant et le poids du corps de Monseigneur rendirent inutiles les efforts du jeune garçon. Le vicaire apostolique reparaissant une quatrième fois et voyant qu'Eugène pourrait être entraîné avec lui, le repoussa brusquement en disant : " Mon enfant, laisse-moi, sauve-toi vite. ". L'enfant le vit faire le signe de la croix et disparaître sous les eaux.

Tout cela se passa en quelques minutes. Les pères de la Mission arrivèrent au bord du fleuve avec les plus grands enfants de l'orphelinat. Un des missionnaires se jeta à l'eau ainsi que ceux des enfants qui savaient nager. Ils cherchèrent dans toutes les directions. Mais ni Eugène, ni Olivier n'étaient là pour indiquer avec exactitude le lieu de l'accident. Le premier a comme perdu la tête, et le second s'est sauvé. Finalement Eugène finit par dire que Monseigneur s'est noyé et, ramené au bord du fleuve il indiqua l'endroit de l'accident.

" En quelques minutes 150 pêcheurs Somono avec leur chef nommé Kalikou arrivèrent sur leurs pirogues. Pendant quatre heures ces hommes plongèrent et explorèrent toutes les cavités du fleuve. A minuit moins vingt, arrivait un immense filet qu'on avait envoyé chercher au village de Ségou-Koro à 12 kilomètres en amont de Ségou-Sikoro. On le tendit. A quelques mètres en avant, on en jeta un autre plus petit.

Tout à coup, de la pirogue où l'on commençait à retirer ce filet, une voix se fait entendre : " Kalikou, c'est le nom du chef des pêcheurs. Il y a quelque chose ici". Kalikou se précipite aussitôt vers la pirogue. Les restes mortels du vénéré Vicaire apostolique étaient enfin retrouvés.

Les funérailles de Mgr Hacquard eurent lieu le vendredi saint. Etait présent à ces funérailles Alfred Diban (premier chrétien de Haute-Volta) qui n'était pas encore baptisé, mais travaillait déjà avec les Missionnaires dans la mission de Banakourou nouvellement ouverte.
Tel fut le témoignage de Monseigneur Augustin Hacquard, le premier témoin du Christ au Burkina. Il aima cette partie de l'Afrique et entrevoyait déjà dans ce coin de la boucle du Niger une des plus belles chrétientés de l'Afrique Occidentale.