Missionnaires d'Afrique


de Stefaan Minnaert,
M.Afr Archiviste Rome

Lavigerie nous parle de son œuvre missionnaire en 1869

Récemment, dans nos archives, j’ai trouvé un texte intéressant du Cardinal Lavigerie. Il s’agit de son rapport du 1er décembre 1869, adressé au Préfet de la Congrégation de la Propagation de la Foi, le Cardinal Allesandro Barnabò (Lettres de Mgr Lavigerie à la Congrégation de la Propagation de la Foi, N° 10). Dans ce rapport, Lavigerie présente son œuvre missionnaire, dont la fondation de la Société des Missionnaires d’Afrique en 1868.

J’ai pensé que ce texte, malgré ses limites, pourrait intéresser les confrères qui veulent mieux connaître les origines de leur famille missionnaire. Notre fondateur n’est-il pas la personne la mieux indiquée pour nous en informer ? Il faut évidemment lire ce texte avec un certain recul, en tenant compte du contexte historique du 19e siècle qui n’est pas le nôtre ; nous sommes encore au début de la colonisation de l’Afrique par l’Occident. Il faut tenir compte aussi de la missiologie de cette époque qui s’intéresse plutôt au salut des âmes qu’à l’annonce de Jésus Christ.

Depuis 1869, notre Société a évolué. C’était déjà le cas durant la vie de notre fondateur. Le moteur de son évolution a été les différents Chapitres qui ont essayé de répondre aux appels de l’Église et du monde africain, ayant des attentes toujours nouvelles.

Aujourd’hui, personne ne fera la mission comme à l’époque du Cardinal. Il reste que le rapport de 1869 garde son actualité. Il nous montre l’importance d’avoir un objectif clair et des moyens adaptés pour le réaliser : des personnes motivées et formées et aussi des moyens financiers. Le rapport montre qu’au début de son existence, notre Société faisait partie d’un ensemble de fondations missionnaires dont elle a finalement émergé. Pour avancer vers l’avenir, nous devons connaître nos racines, c’est-à-dire connaître d’où nous venons pour savoir quelle direction nous voulons prendre, toujours en compagnie de Celui qui nous appelle à aller plus loin.

Je vous laisse le plaisir de découvrir notre passé d’une manière assez particulière. Evidemment, chacun lira ce rapport avec son expérience missionnaire et sa culture. Aucun ne pourra rester indifférent ! Bonne lecture.

Stefaan Minnaert M.Afr., Archiviste
Mars 2009

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Alger, le 1er décembre 1869

Délégation Apostolique du Sahara et du Soudan

Eminentissime Seigneur,

Lorsque la S.C. de la Propagande me fit l’honneur de me confier, en qualité de Délégué Apostolique, la fondation d’une mission nouvelle dans les vastes contrées qui s’étendent au sud de l’Algérie, je promis à Votre Eminence de lui rendre, chaque année, un compte exact de ce que nous aurions pu faire dans l’intérêt de cette mission nouvelle.
Je viens, à la fin de cette première année, tenir la promesse sacrée que j’ai faite et je demande à Votre Eminence la permission de lui exposer brièvement, premièrement, ce qu’il nous a été donné de réaliser jusqu’à ce jour et, deuxièmement, quels sont nos besoins et comment je pense que la S.C. et le Saint-Siège pourraient très efficacement, sans aucun embarras pour eux, nous venir en aide.

I. Ce qui a été fait dans l’intérêt de la mission depuis le 1er octobre 1868
C’est le 1er octobre 1868, après avoir reçu les pouvoirs réguliers de la S.C. de la Propagande, que j’ai commencé à m’occuper de la fondation d’une mission dans le Sahara et le Soudan. Il n’existait pour cette mission ni un seul établissement, ni un seul prêtre, ni même un seul chrétien.

C’est donc à préparer les éléments indispensables pour une prédication sérieuse, efficace et durable de notre sainte foi que j’ai dû, tout d’abord, employer mes soins, et voici ce qui est actuellement réalisé :

1° Fondation d’un grand séminaire spécial et d’une société spéciale de missionnaires pour l’évangélisation du Sahara et du Soudan.
Le premier besoin d’une mission naissante c’est la formation d’un clergé capable de remplir, avec fruit, les fonctions de l’apostolat. J’ai donc songé, tout d’abord, à le former et pour cela voici la marche que j’ai suivie. J’ai lancé un appel aux jeunes ecclésiastiques de mon séminaire diocésain et des séminaires diocésains de France, leur exposant le triste état d’abandon dan lequel croupissent, depuis tant de siècles, les populations musulmanes et idolâtres de l’Afrique du Nord, et demandant à ceux d’entre eux qui se sentiraient le zèle et le courage nécessaires de se consacrer à cette mission.
Dès le principe, c’est-à-dire dès les premiers jours du mois d’octobre 1868, six jeunes ecclésiastiques, dont deux étaient prêtres, répondirent à ce premier appel. Je les réunis dans une maison commune ; je leur exposai les difficultés et l’importance de leur mission, et aussi les raisons qui, selon moi, ont été jusqu’ici la cause de l’insuccès complet de l’apostolat catholique auprès des musulmans et, de concert avec eux, je traçai les premières règles de leur petite société dont les principes fondamentaux sont les suivants :

a) Ils forment une société de missionnaires uniquement destinée à l’apostolat parmi les Arabes musulmans de l’Afrique ;
b) Ils vivent en communauté, et, au moins, toujours trois ensemble ;
c) Ils adoptent, dès le temps du séminaire, du noviciat, la nourriture, la langue, le costume, la manière de se coucher, etc., des Arabes.
d) Ils apprennent assez de médecine pour donner quelques soins aux malades.

Ces diverses règles ont pour but de faciliter leur entrée dans les diverses régions où ils pourront être envoyés et aussi de leur gagner plus facilement la confiance et l’affection des Arabes. L’œuvre a maintenant quatorze mois d’existence. Aux six premiers missionnaires, huit autres sont venus se join­dre. Ils forment donc une communauté de quatorze ecclésiastiques qui se disposent à partir pour la mission.

Les Jésuites ont bien voulu accepter la direction de ce séminaire ou de ce noviciat, comme on voudra l’appeler. Je l’avais établi l’année dernière, dans une maison de louage, mais le nombre des sujets augmentant, je l’ai placé maintenant à Saint-Eugène, dans une vaste propriété diocésaine.

2° Fondation d’un petit séminaire spécial pour le Sahara et le Soudan.
Le grand séminaire et la Société dont je viens de parler ont pour but de donner, immédiatement, des ouvriers évangéliques à la mission du Sahara, mais il faut aussi songer à l’avenir et chercher à utiliser tous les éléments qui sont entre nos mains et, en particulier, les éléments indigènes.

Or, parmi les 1 753 enfants arabes recueillis par nous, durant la dernière famine, et dont plusieurs appartiennent aux régions sahariennes, il s’en est trouvé un bon nombre de très intelligents et doués de dispositions particulières à la piété et à la sagesse. Peu à peu, on leur a parlé non seulement de recevoir le baptême, mais encore de se faire prêtres. Ils ont accepté, de grand cœur, cette pensée, et nous avons choisi, parmi eux, trente quatre, que nous avons réunis il y a quatre mois dans une maison spéciale.

Ils y font les mêmes études que dans les petits séminaires de France, montrent des dispositions aussi consolantes que possible et préparent à la mission une pépinière abondante de sujets tout préparés d’avance aux usages et à la langue du pays.

Ce petit séminaire est aussi situé à Saint-Eugène. Il est dirigé par les missionnaires qui ont terminé leur premier noviciat, auxquels j’ai adjoint un excellent indigène originaire du Sahara qui a déjà reçu le baptême. Notre intention est de n’ordonner, plus tard, ces jeunes gens qu’en autant qu’ils voudront entrer dans la Société des missionnaires afin d’être mieux assurés de leur persévérance.

3° Fondation aux confins du Sahara de deux établissements, l’un des PP. Jésuites et l’autre de religieuses pour servir d’avant-postes et d’entrée à la mission.
Pour nous mettre en rapports plus fréquents et plus directs avec les populations sahariennes que nous devons évangéliser, j’ai cru important de fonder, il y a huit mois, à Laghouat, dans le désert même, mais cependant encore sur le territoire du Diocèse d’Alger, deux établissements religieux, l’un d’hommes et l’autre de femmes. Le premier est confié aux RR. PP. Jésuites, le second aux Sœurs de la Doctrine Chrétienne.

On fait, dans ces deux établissements, l’école aux enfants indigènes ; on donne des secours aux adultes, l’hospitalité aux habitants du désert qui viennent dans la ville, quelques remèdes aux malades, et on prépare ainsi très sûrement un bon accueil aux missionnaires.

Il faut déjà songer à augmenter l’établissement des PP. Jésuites par l’acquisition d’une maison. Cette maison appartient à un Caïd, ou chef musulman, qui consent à nous la vendre, « en reconnaissance du bien que nous faisons à ses compatriotes. » Ce sont ses propres expressions.

4° Fondation dans le Diocèse d’Alger d’orphelinats et d’asiles destinés aux enfants de la mission du Sahara et du Soudan.
Je ne reviendrai pas, ici, sur la création et l’existence des orphelinats destinés aux enfants arabes de l’Algérie, recueillis par nous durant la famine. Nos orphelinats algériens continuent leur marche progressive. Mais dans l’intérêt de la mission, j’ai dû multiplier ces établissements, les rendre permanents et assurer autant que possible leur avenir.

1870Dans le courant de l’année, j’en aurai donc établi cinq nouveaux, à l’intention de la mission, et sur des terres achetées par moi, dont j’aurai à parler plus tard. Les orphelinats se­ront, pour les missionnaires, les plus précieux des établissements. Ils y en­verront tous les enfants de l’intérieur qu’ils pourront soit recueillir, soit obtenir de leurs parents, soit enfin acheter dans les pays à esclaves, pour les faire élever et les rappeler ensuite dans la mission, où ils deviendront, de toutes façons, leurs auxiliaires.

Je crois que c’est là le seul moyen pratique d’arriver à des résultats sûrs et considérables. Il est d’expérience, en effet, que les adultes convertis donnent mille embarras par leurs exigences et leur inconstance, tandis que les enfants qui ont été élevés dans la foi chrétienne s’y attachent fortement et, comme ils ont reçu une éducation qui leur permet de gagner utilement leur vie, ils sont une aide véritable pour les missions de l’intérieur.

Il faut ajouter à cela que l’insalubrité du climat, qui moissonne rapidement les missionnaires européens, rend plus précieux encore le concours d’enfants du pays qui sont à l’abri de ces atteintes.

5° Achats de terres et création d’établissements agricoles, en Algérie, dans l’intérêt de la mission.
Toutes les raisons que j’ai exposées dans le précédent paragraphe m’ont décidé, ainsi que je l’ai dit, à créer, dans l’intérêt de ma Délégation du Sahara, des orphelinats en Algérie. Ces orphelinats sont des établissements agricoles où les enfants, dont je viens de parler, seront élevés.

L’Algérie m’offrait, pour cela, toutes les conditions désirables. Son climat est sain, les terres y sont fertiles et abondantes, et quoique l’envie ne lui en manque peut-être pas, son Gouvernement n’ose plus s’opposer ouvertement à nos desseins. J’ai donc pu, d’un seul coup, assurer l’établissement territorial de la mission.

Pour cela j’ai acheté pour le prix lourd, il est vrai, de six cent cinquante mille francs, neufs grandes propriétés différentes, comprenant ensemble près de trois mille hectares d’excellentes terres, et où, lorsque tout sera mis en culture, nos missionnaires, nos orphelins, la mission elle-même, trouveront des ressources abondantes. C’est là que les enfants envoyés par les missionnaires seront reçus et élevés par les communautés dont je vais parler dans le paragraphe suivant.

6° Fondation pour la mission de deux communautés agricoles et hospitalières.
Pour diriger les travaux des enfants, exploiter convenablement les terres et même aider à l’installation des missionnaires dans les régions barbares où il faudra tout se procurer, par le travail, sur les lieux mêmes, il fallait d’au­tres ouvriers évangéliques dont le caractère et les fonctions fussent appropriés à ce ministère.

J’ai donc cru devoir provoquer et favoriser la création de deux communautés, l’une de Frères et l’autre de Sœurs, qui seraient exclusivement destinées à aider les missionnaires, par la direction des établissements agricoles distincts où les orphelins et les orphelines sont recueillis, par l’exercice des œuvres de miséricorde envers les pauvres et les malades, séparés suivant leurs sexes, et enfin par la culture de nos terres.

Ces deux communautés existent déjà. Celle des femmes compte 27 Sœurs, et celle des Frères a reçu 15 postulants.
Devant de semblables résultats, il fallait songer à donner des règles provisoires à ces deux communautés : c’est ce que j’ai fait, en attendant qu’elles soient assez consolidées pour que je soumette ces règlements à l’approbation et à la correction de la S.C. et du Saint-Siège.

Les fidèles ont donné à ces deux communautés le nom de Frères et de Sœurs des missions étrangères, et elles se sont placées sous le patronage du Vénérable martyr Géronymo. Je joins leurs règles imprimées à ce rapport.
Je ne puis mieux les définir, du reste, qu’en disant qu’elles se proposent de réaliser pour notre mission, dans la mesure de leurs humbles forces, ce que l’ordre de Saint Benoît, à la fois agricole et apostolique, a réalisé au Moyen Age pour l’Europe barbare et païenne, qu’il a défrichée et convertie.
Le noviciat des Frères est dirigé par les RR. PP. Jésuites, celui des Soeurs par les religieuses de Saint-Charles de Nancy.

7° Fondation en France et préparation en Belgique de postulats pour les deux communautés de Frères et de Sœurs de notre mission.
Les deux communautés dont je viens de parler, quoique fondées en Afrique et y ayant leurs noviciats et leurs maisons-mères, ne trouveraient certainement pas à s’y recruter dans la mesure nécessaire, à cause du petit nombre de chrétiens et surtout de bons chrétiens qui se trouvent dans ce pays.

La divine Providence est, ici, venue avec bonté à notre aide, en nous ouvrant, elle-même, les voies à la création de postulats en France et en Belgique. J’avais fait connaître, par lettre à l’œuvre de la Propagation de la Foi, les commencements de ces deux petites sociétés et le but qu’elles se proposaient.

Bientôt après, de nombreuses demandes d’admission me furent adressées de France. Je ne crus pas devoir les accueillir toutes, à cause de la difficulté des voyages et de la distance et je priai d’attendre. Pendant ce temps, Mgr Deleusy, Évêque de Viviers, consentait charitablement à l’établissement de deux postulats, l’un pour les Frères et l’autre pour les Sœurs, dans son Diocèse. J’ai profité de sa bienveillante autorisation et loué, près de la petite ville de Vans, deux propriétés où les postulats s’installent, en ce moment même.

Pendant que ce mouvement se produisait en France, il s’en produisait un semblable en Belgique. M. l’Abbé Jaspers, excellent prêtre du Diocèse de Malines, m’écrivait pour me demander de l’admettre dans la communauté des Frères et, avec lui, environ 100 jeunes gens faisant partie d’une très nombreuse association d’ouvriers à Anvers. J’ai différé cette admission jusqu’à ce que j’aie pu, avant de venir au concile, avoir, à Paris, une entrevue avec M. Jaspers et les délégués de ses jeunes ouvriers.

Leur entrée dans la communauté a été décidée. M. Jaspers et ses compagnons se rendent au noviciat à Alger, au mois de février prochain et, si je puis, comme je l’espère, obtenir l’autorisation de Mgr l’Archevêque de Malines, je me propose de fonder aussi dans son diocèse un postulat pour favoriser les vocations aux missions.

Pendant que je recevais ainsi des demandes de Belgique pour la communauté des Frères, j’en recevais de plus extraordinaires encore, peut-être, pour celle des Sœurs. Une des jeunes filles les plus distinguées de ce pays, par leur noblesse et leur fortune, Mlle de Mortier, me faisait instance sur instance pour venir, me disait-elle, gagner le pain des pauvres, à la sueur de son front. Elle est maintenant novice à Alger, avec plusieurs de ses compatriotes.

8° Traduction et impression du catéchisme et des Saints Évangiles en langue berbère.
En même temps que nous préparions le personnel de la mission, nous devions également lui donner les moyens de s’entendre avec les populations qu’il devait évangéliser. En conséquence, tous les missionnaires ont été immédiatement appliqués, ce qui n’avait pas encore eu lieu dans le clergé algérien, à l’étude de l’arabe et du berbère.

De plus, il fallait songer à mettre entre leurs mains des livres religieux écrits dans la langue du pays et qui pussent ultimement servir aux infidèles, c’est ce que nous avons fait. Pour les livres arabes, cela n’était pas difficile, nous avons eu recours aux excellentes publications faites sous la direction de la Propagande.

Pour les Berbères, cela était plus difficile. Il n’existait en cette antique langue aucun livre catholique. J’ai fait mettre immédiatement la main à l’œuvre et le P. Creusat, Supérieur du séminaire de la mission, aidé de plusieurs néophytes indigènes, a composé :

a) une traduction en berbère du catéchisme diocésain d’Alger.
b) une traduction dans la même langue des Saints Évangiles pour les dimanches de l’année.

J’ai fait imprimer à mes frais ces deux premiers livres, que j’aurai l’honneur d’offrir à l’Eminentissime Préfet de la Propagande, comme prémices d’une langue encore inconnue à l’Europe, quoiqu’elle soit certainement contemporaine des langues phénicienne et assyrienne.
Voilà, en quelques mots, l’exposé simple et succinct de ce que nous avons fait dans cette première année.

II. Des espoirs et des difficultés de la mission.
D’après ce qui a été dit dans la première partie de ce compte-rendu, on voit que la mission a déjà, dès à présent, en Algérie, 11 établissements qui lui appartiennent ou lui sont destinés, à savoir :

Un grand séminaire ou noviciat de missionnaires.
Un petit séminaire indigène.
Cinq orphelinats dont trois de garçons et deux de filles.
Une Maison-Mère de Frères-agriculteurs.
Une Maison-Mère de Sœurs-agricoles.
Une résidence de PP. Jésuites à Laghouat.
Une résidence de Sœurs de la Doctrine, idem.

Maison-Carrée à Alger (photo de 2006)Ces établissements ont été achetés et payés par moi pour la somme de sept cent cinquante mille francs, environ, à savoir, comme je l’ai dit, six cent cinquante mille francs environ pour les terres et cent mille francs de constructions. Cette somme est complètement payée, parce que je tenais à n’avoir aucune dette sur nos biens fonds. J’ai épuisé, à ces paiements, toutes mes ressources et pour marcher convenablement, et acheter l’établissement proprement dit de la mission dans le Sahara et le Soudan, même pour élever les orphelins, former les missionnaires, etc., il me faut pendant trois ou quatre ans, au moins 300 mille francs, par an.

Nos propriétés nous en donnent déjà cent mille, mais il faudra en trouver deux cent mille autres, en s’adressant à la charité catholique. Les difficultés que nous avons à vaincre pour obtenir ce résultat, sont de deux sortes :
Les premières viennent du Gouvernement de l’Algérie qui, quoique n’osant, ainsi que je l’ai déjà dit, rien faire ouvertement contre nous, conserve toujours une hostilité sourde mais très réelle et s’efforce de jeter sur les centres de la mission une défaveur qui diminue la confiance et ralentit l’élan de la charité.

Les secondes, et ce sont les plus pénibles et les plus graves, (je ne les confie à Votre Eminence qu’avec la répugnance la plus vive) viennent de l’attitude prise, dès le commencement de toutes nos affaires, par les deux suffragants et, plus particulièrement, par l’Évêque de Constantine. J’aurai l’honneur d’exposer de vive voix cette triste situation à Votre Eminence. La prudence et la charité m’empêchent de le faire ici.

Quoi qu’il en soit, devant de semblables obstacles, j’aurais besoin, pour arriver à avoir les ressources qui me sont nécessaires, de l’appui de la S.C. de la Propagande et de son Eminentissime Préfet.

a) Auprès des Œuvres de la Propagation de la Foi et de la Sainte Enfance. La première ne me donne que 15000 Fr pour la mission et la Sainte Enfance absolument rien, alors que j’élève douze cents enfants infidèles qui sont entièrement à ma charge. Je suis convaincu qu’un seul mot de Son Eminence à cette Œuvre nous assurerait une allocation.
b) Surtout auprès du Saint Père, de qui je désirerais obtenir un Bref d’encouragement et de satisfaction pour tous ceux qui nous ont déjà si généreusement aidés et qui pourraient nous aider dans la suite.

J’ai la confiance que cela suffirait pour nous assurer les ressources dont nous avons besoin et je connais assez la haute bienveillance de Votre Eminence pour espérer qu’elle daignera accueillir ma demande.
C’est dans ces sentiments que j’ai l’honneur d’être, avec un profond et respectueux dévouement,

de Votre Eminence, Eminentissime Seigneur,
le serviteur très humble et très obéissant,
Charles, archevêque, Délégué apos. du Sahara et du Soudan.