Un Père Blanc, Michel Lagarde, obtient le Prix de l'UNESCO
Le Prix Sharjah, pour la Culture Arabe.
Jeudi 29 septembre
Maison de l'UNESCO, à Paris

Le jeudi 29 septembre 2005, notre confrère, Michel Lagarde, a reçu le Prix international SHARJAH pour la culture arabe (UNESCO – Émirats arabes unis), à la Maison de l’UNESCO, à Paris. Ce sont les Émirats arabes unis qui ont décidé de lui remettre cette distinction. Il est le premier prêtre catholique à être ainsi récompensé. Ce prix honore le travail de traduction de notre confrère et son enseignement au PISAI. Peut-être aussi, au-delà de sa personne, pouvons-nous penser que sont aussi reconnus les efforts de l’Église pour promouvoir le dialogue interreligieux, spécialement avec les musulmans, et aussi tout le travail du PISAI pour la formation de chrétiens à un dialogue en vérité, scientifiquement fondé, dans l’étude précise des sources religieuses.

Michel Lagarde est né le 11 février 1939, à Tayrac, dans le Lot-et- Garonne. Après sa formation classique de Missionnaire d’Afrique, il a prononcé son serment le 27 juin 1966 à Vals et a été ordonné prêtre le 15 juillet 1967 à Tayrac. Puis il a été envoyé poursuivre des études universitaires à Strasbourg. Michel a obtenu un doctorat en théologie, une licence en droit canon, une maîtrise en histoire, un doctorat en arabe. Prévu comme professeur au PISAI, il est envoyé au Mali, en 1971, dans le diocèse de Sikasso, pour une expérience pastorale et un premier contact avec le monde musulman en dehors du monde arabe. En 1973, il est étudiant au PISAI et, en 1975, encore étudiant, il est membre de l’équipe des professeurs de l’Institut.

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De haut en bas : Les lauréats reçoivent un bateau en argent, l’emblème de Sharjah — Le Sultan Bin Mohamed Al-Qassimi, gouverneur de Sharjah — Remise du Prix — Michel Lagarde prononce son discours.

En 1976, il est nommé pour une seconde expérience en contact avec une Église minoritaire dans un environnement musulman dans le diocèse de Ségou, au Mali. Durant ce séjour, en plus du travail pastoral qui lui avait été confié, il s’est astreint à une lecture quotidienne du Coran ou de textes en arabe. Il n’a plus jamais abandonné cette discipline de travail sérieux. En 1979, il est professeur au PISAI. En 1985, il repart au Mali, à Gao, dans le diocèse de Mopti, pour un troisième séjour en Afrique subsaharienne à majorité musulmane.

Professeur au PISAI
En 1988, il retourne encore au PISAI où il est professeur jusqu’en 2000. Sur sa demande de pouvoir exercer un ministère pastoral en milieu rural, en France, il est nommé curé de Lauzerte, dans le diocèse de Montauban. Il pensait y rester longtemps, mais, en 2003, sur la demande expresse du Conseil Général, il accepte de retourner au PISAI comme professeur. C’est là qu’il se trouve actuellement. Mais, de même que Michel continuait d’assurer un temps de cours à Rome, chaque année, pendant son séjour à Lauzerte, de même, maintenant qu’il est à Rome, durant le temps des vacances de l’Institut, il assure, en été, comme il l’a toujours fait dans le passé, un service pastoral dans son diocèse d’origine d’Agen.

Pour sa thèse de Doctorat, Michel a travaillé le Grand Commentaire Coranique, appelé Mafâtîh al-Ghayb (Clefs de l’Inconnaissable) de Fahr al-Dîn al-Râzî. Ce Grand Commentaire d’al-Râzî comprend 32 volumes. Michel a constitué un index des noms propres et des différents sujets traités de ce monument de l’islam classique du Moyen-Âge. Pour réaliser ce travail, Michel a lu les 32 volumes, a constitué des fiches, lu bien d’autres ouvrages, et ce travail fastidieux a été réalisé en partie pendant son séjour à Gao. Il a voyagé de Bamako à Gao en bateau sur le Niger avec son fichier dans une cantine.

Michel a publié sa thèse aux éditions Brill en 1996 sous le titre : Index du Grand Commentaire de Fahr al-Dîn al-Râzî. C’est un ouvrage de 360 pages. Dans son introduction, le lecteur trouve une synthèse des différents éléments du texte de Fahr al-Dîn al-Râzî, un exposé de ses principes exégétiques et des informations sur l’histoire du commentaire et de son auteur. Ce travail patient et minutieux est d’un très grand intérêt pour toutes les disciplines de l’islamologie, et peut être considéré comme une véritable encyclopédie, particulièrement pour les exégètes du Coran et les théologiens. Fahr al-Dîn al-Râzî est un théologien et exégète musulman, né à Rayy (Iran actuel) en 1149 et mort en 1209. Ses nombreuses œuvres comprennent des traités de théologie, un ouvrage de « controverses » au caractère autobiographique, un traité de métaphysique et un commentaire du Coran où il a mis toute sa science à la fois philosophique et religieuse.

Un travail titanesque
Après ce travail d’analyse du commentaire coranique presque aussi encyclopédique que celui-ci, Michel Lagarde a entrepris la traduction d’un ouvrage de mystique musulmane : Kitâb al-Mawâqif (Le Livre des Haltes) de Abd al-Qâdir al-Djazâ’irî, un ouvrage de 372 chapitres. Sa traduction annotée, avec une introduction et un index, a paru, en trois volumes, aux mêmes éditions Brill. ‘Abd al-Qâdir est un émir algérien, originaire du Rif, né en 1808, de formation traditionnelle, qui, après la prise d’Alger par la France en 1830, se fit proclamer « sultan des Arabes » en 1832 et est devenu le chef de la résistance à l’occupation coloniale. Il était chef de la confrérie Qâdiriyya. En 1847, il a accepté de rejoindre et a été assigné à cinq ans de résidences forcées en France, et, en 1855, il a obtenu de résider à Damas où repose son maître spirituel, Ibn ‘Arabî (1165-1240). Il y a protégé les Chrétiens persécutés et a rencontré l’Abbé Charles Lavigerie, alors directeur de l’Œuvre d’Orient. Il y a vécu un temps de calme et de retraite, écrivant une série d’œu-vres mystiques, et y est mort en 1883. Dans son Kitâb al-Mawâqif, ‘Abd al-Qâdir interprète la doctrine spirituelle d’Ibn ‘Arabî et l’adapte à son contexte. Il donne des commentaires mystiques de versets du Coran et de Traditions du Prophète. Cette traduction de notre confrère permet d’entrer dans le vocabulaire et la pensée mystique inspirés d’Ibn ‘Arabî.

Ce travail de traduction et d’analyse constitue le maître ouvrage de Michel. Mais il a aussi fait des traductions pour “Études Arabes” du PISAI, dont celle de quelques œuvres de poètes palestiniens, Abû Salmâ (1907-1980) et Husnî al-Khatîb Shahâda (contemporain), in : “Poèmes palestiniens d’hier et d’aujourd’hui, Études Arabes n° 98-99, pp. 1-25 ; 259-280”. Il a également écrit divers articles pour des revues. En voici quelques-uns : Quelques aspects concrets du dialogue islamo-chrétien au Mali, “in : Islamochristiana n° 5 (1979), pp. 147-170” ; Violence et Vérité. Études de textes islamiques, “in : Bulletin (ancien nom de la revue du Conseil Pontifical pour le Dialogue Interreligieux) n° 81 (1992/3), pp. 282-327” ; La paternité de Dieu dans l’Islam, “in : Pro Dialogo (nouveau nom de la revue du même Conseil Pontifical) n° 102 (1999/3), pp. 326-331”. Il a aussi publié un dossier pédagogique polycopié pour un cours au PISAI : “La Magie Arabe”, PISAI, 1981, 112 p.

Michel a passé des jours et des jours, des années, à son bureau, s’imposant une discipline de travail et de vie stricte, pour mener à bien tout ce travail de recherche, d’analyse et de traduction de ce commentaire du Coran et de cette œuvre mystique. Mais à côté de cela, il est resté un professeur exigeant, mais excellent pédagogue, attentif, ouvert et accueillant à ses étudiants. Il est un maître en exégèse coranique et en mystique musulmane, et ses cours et commentaires dans ces domaines sont fortement appréciés. Il est aussi rigoureux dans sa propre vie spirituelle, ses analyses scripturaires, sa réflexion théologique et ses homélies ; ses retraites ou ses conseils spirituels sont aussi très goûtés et nourrissants.

Homme de dialogue
Michel est l’homme du dialogue en vérité, basé sur des sources sérieuses, qui permet le respect de l’autre tout en étant capable de l’interpeller. C’est ce qu’il appelle, en terme imagé, le “dialogue musclé”. Il n’apprécie pas le dialogue de compromis qui tente à éviter les discussions ou ce qui blesse, en cherchant un plus petit dénominateur commun réducteur et édulcorant, qui finit par trahir la vérité. C’est cette exigence de vérité et de sérieux qui l’a poussé à entreprendre cette œuvre immense d’étude approfondie des sources de la pensée musulmane. Et c’est cette même double exigence qui fait de lui aussi un passionné des mystiques chrétiens et de l’exégèse chrétienne. Michel est aussi un confrère agréable, accueillant, qui aime blaguer et taquiner. Il aime le beau, en musique, peinture, poésie, théâtre ; Michel est aussi resté très attaché à sa région natale.

Le prix Sharjah
Le prix Sharjah pour la culture arabe, comme l’indique le livret offert au moment de sa remise, a été créé en 1998 par le gouvernement de l’Émirat, pour commémorer la désignation de la ville de Sharjah en tant que « Capitale culturelle de la région arabe » sous le patronage de l’Unesco. Il récompense les efforts d’un ressortissant d’un pays arabe et d’un ressortissant de tout autre pays qui auront contribué, par leurs œuvres, au développement et à la propagation de la culture arabe dans le monde.

L’Ambassadeur – Délégué permanent des Émirats Arabes Unis auprès de l’Unesco, Mr Hussein Ghubash, écrit : « Il a été créé conformément à l’esprit de la mission humaniste de notre organisation, de promouvoir la compréhension entre les peuples, par une meilleure connaissance mutuelle et par l’échange entre les différentes cultures. » Ce prix a été décerné pour la première fois en 2001. Et depuis 2003, il est décerné tous les ans. Le lauréat, ressortissant d’un pays arabe, qui, cette année, a reçu le prix avec notre confrère, est le Professeur Taher Ouettar, journaliste et écrivain algérien, dont les romans, pièce de théâtre et nouvelles, écrits en arabe, sont traduits en plusieurs langues (nouvelles : Fumée de mon cœur, Les coups, Les martyrs reviennent cette semaine, Le pêcheur et le palais ; théâtre : Le fugitif ; romans : L’as, Le séisme, Noces de mulet, Expérience amoureuse, Aimer et mourir à l’ère Harrachite, La bougie et les cavernes, Le saint Tahar regagne son sanctuaire)

Lors de la remise du prix, 18 confrères entouraient Michel Lagarde. On reconnaît sur nos photos les Pères Gaudeul, Vernhet, Gibert, Chaptal, Mayaud, Didier, Perrier.

Lors de la remise du prix, qui a eu lieu dans la grande salle n° 1 de l’UNESCO en présence d’une foule assez nombreuse et à laquelle ont participé 18 confrères, dont le Recteur et le bibliothécaire du PISAI, Justo Lacunza et Gian-Battista Maffi, Mr Hussein Ghusbah, en présentant Michel Lagarde a souligné que son travail s’inscrivait dans la ligne des efforts des chrétiens qui ont œuvré pour faire connaître la culture arabo-musulmane, comme Louis Massignon, Louis Gardet, Roger Arnaldez, et il a aussi noté les démarches de dialogue de l’Église.

Guy Vuillemin, Assistant Provincial de France

 

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