Voix d'Afrique N°56
RDC

A KINSHASA, une Source pour Tous

Le Père Jean-Baptiste Marchais, originaire de Nantes, est missionnaire au Congo Kinshasa depuis une cinquantaine d'années. Il nous livre son expérience dans un quartier de la capitale.


Kinshasa, la mégapole près de l'équateur, étale ses artères au bord de l'immense fleuve Congo. Sur des kilomètres et des kilomètres, les larges avenues rectilignes sont bordées de maisons de toutes tailles et de pavillons coquets ou délabrés. Après le centre et ses buildings, les résidences côtoient les bidonvilles .

Avec les Kinois de Salongo.
A 20 km. du centre ville, à Salongo, on est encore à Kinshasa ; une maison basse à côté d'autres résidences ne fait rien pour attirer l'attention ; elle rentre dans le rang des constructions larges mais basses au milieu des pelouses , des parterres de fleurs ou des jardins broussailleux, à l'ombre de flamboyants et de jacarandas. Rien ne la différencie de ses voisines si ce n'est la pancarte à l'entrée : les Pères Blancs, missionnaires d'Afrique. Ce n'est pas une paroisse, il n'y a pas d'église dans les environs ; les Pères blancs, autrefois, avaient besoin d'une " procure " permanente pour assurer le lien avec les administrations de la capitale (permis, licences, visas ou billets d'avion) au service des centaines de missionnaires dispersés dans l'immense pays ; c'était un pied à terre pour ceux qui partaient ou revenaient de congé, pour les étudiants et les visiteurs. Puis le service de la maison a évolué : Aloïs, allemand, s'occupe des relations avec l'Islam pour l'archidiocèse de Kinshasa, Franz et Luc, belges, sont responsables d'une paroisse à une dizaine de kilomètres, et Jean Baptiste Marchais est le permanent, économe …et hôte, car la maison de Salongo est une sorte d'hôtellerie : la maison des Pères est la maison de tout le monde.

De Nantes aux frontières du Soudan
Jean Baptiste ne porte pas ses 74 ans : il est vif, avenant et intarissable quand on lui parle de Kinshasa et de ses habitants, les kinois. Son parcours l'a amené de Belgique, où il est né, à Nantes, où il a grandi, puis à Maison Carrée, en Algérie où il a commencé sa formation de missionnaire, en Belgique pour les études de théologie, jusqu'au Congo, dans la province de l'est, la frontière avec le Soudan et l'Ouganda. Peu après son arrivée, c'était l'indépendance, avec son cortège de tensions, de luttes, de révoltes tribales ; dans les années '60, les Soudanais voisins venaient chercher refuge à la suite de la guerre du Sud-Soudan contre le Nord, puis les populations de l'Ouganda passaient la frontière pour fuir les guerres : Oboté, le premier président de l'Ouganda indépendant, était renversé par le redoutable Amin Dada, lequel était à nouveau détrôné par Oboté, chassé à son tour par Yoweri Museveni. à chaque révolte, des populations de Soudanais et d'Ougandais venaient chercher refuge de l'autre côté de la frontière, dans l'est du Congo relativement calme. L'histoire missionnaire de Jean Baptiste, comme pour beaucoup de ses confrères, est une longue histoire de révolutions et de guérillas.


Chorale et harpistes de la paroisse de Geti

Portes ouvertes
Pour sûr, Kinshasa est à l'abri de tous ces soubresauts ! Le quartier de Salongo regroupe une population de hauts fonctionnaires, d'étudiants - l'université est toute proche - de militaires - les camps et écoles militaires ne sont pas loin -, tout un petit peuple de déplacés, de pauvres, de mendiants et de voyous, d'ouvriers ou de chômeurs, et un foisonnement de jeunes de toutes conditions, collégiens, étudiants ou enfants des rues. Les pères vivent pratiquement avec les portes ouvertes : c'est encore le meilleur moyen d'éviter les pillages et les intrusions indésirables. Tout le monde peut frapper à la porte : Jean Baptiste est là pour les accueillir.

" Venez ! c'est gratuit ! "
Ce sont des jeunes désœuvrés qui viennent pour passer un moment ou des étudiants qui veulent discuter ou se familiariser avec l'ordinateur. Un professeur d'anthropologie de l'université voisine vient partager et réfléchir sur les religions traditionnelles. Des voisins cherchent un parent, voire un frère ou un époux qui est parti quelque part en Afrique, à moins que ce ne soit en Amérique ou en Europe, en Belgique ou en France. Le Père est le seul qui peut arriver à rétablir le contact, à renouer les relations ; heureusement, les cyber-cafés sont maintenant de plus en plus répandus et à la disposition de tous, pour une somme relativement modique. Des jeunes étudiants viennent pour discuter plus sérieusement de problèmes personnels, pour se faire aider dans leur prière et leur engagement chrétien. Souvent ce sont des groupes qui demandent à se réunir dans le silence de la paillote au fond du jardin : catholiques ou protestants, seuls ou accompagnés par un pasteur, ils sont bienvenus pour un après midi, une soirée, voire une journée entière.

Œcuménisme
Un jeune pasteur presbytérien doit fonder une nouvelle paroisse : il trouve ici une photocopieuse pour distribuer les informations et des tracts pour ses ouailles. Une infirmière, abandonnée par son mari, lance un groupe de prière pour ses voisins et voisines. Un jeune protestant partage ses soucis : son pasteur est âgé, les jeunes acceptent mal sa façon de faire ; il voudrait être plus indépendant pour regrouper ses camarades et les aider à célébrer à leur façon. L'œcuménisme se vit concrètement dans les rencontres quotidiennes.


Une avenue du centre de Kinshasa

Tous les accueillir
A côté de cela, il y a des escrocs, des oisifs, des jeunes resquilleurs à l'affût de toutes les occasions ; il faut avoir l'œil, mais ne jamais juger, ni condamner, et saisir toutes les occasions pour écouter, faire réfléchir, évangéliser.
" Le riche prévoit l'année à venir, le pauvre voit seulement la journée qui commence " dit le proverbe chinois. Ce sont les pauvres qui viennent rencontrer Jean Baptiste : ils ne sont pas sûrs de trouver la solution à leurs problèmes, mais déjà, de pouvoir prendre le temps de parler, de se savoir écouté, de rencontrer une patience aimante à toute heure du jour, et l'optimisme renaît.

A la chapelle
Près de l'entrée, des peintures congolaises illustrent des scènes de la vie congolaise : une femme puise de l'eau à une source ; la parole d'Isaïe illustre la scène : "Vous tous qui avez soif, venez ! c'est gratuit !" ; un homme part à son travail : "Vous tous qui peinez, venez, partageons le fardeau." La rencontre des disciples d'Emmaüs, le signe du pain partagé en frère : c'est là qu'Il est présent. La semence est jetée : c'est la Mission.

Interview du Père J.B. MARCHAIS
par G. Guirauden.