Voix d'Afrique N°58Tanzanie
Etienne Sion - Missionnaire d'Afrique
Le kilimandjaro vu d'Arusha. (5895m) |
Etienne Sion est missionnaire en Tanzanie depuis 1968.
A la demande de Mgr.Pengo, archevêque de Dar es Salaam,
il anime une " école d'évangélisation".
Il nous décrit son cheminement.
L'Ascension de nuit.
" Allez ! debout ! c'est l'heure, il faut y aller ! "
L'heure,
c'est minuit ! Le refuge est rudimentaire. à 4700 m il fait très
froid ; la seule eau est celle des bouteilles, pour boire uniquement. Nous émergeons
de nos duvets, chaussons nos souliers de montagne sur les chaussettes de laine
et prenons un bref petit déjeuner, et c'est parti pour le cinquième
jour de marche, de la dernière étape, le sommet du Kilimandjaro.
Mais ce n'est pas pour une aventure touristique : moi et mes compagnons nous
sommes envoyés pour étendre les mains et prier sur l'Afrique.
Au clair de lune, le sentier abrupt serpente dans le gros sable et la caillasse.
Nous marchons lentement : cinquante mètres, puis un temps d'arrêt
pour reprendre souffle, de nouveau cinquante mètre et encore une minute
ou deux de repos, encore et encore ; à cette altitude, l'oxygène
est rare, le moindre effort est essoufflant ; il est prudent d'avancer doucement.
Nous n'osons par regarder vers le sommet pour ne pas perdre courage, mais seulement
droit devant, à quelques mètres devant soi, le prochain espace
pour le prochain pas.
La lune disparaît ; nous marchons à la mince lumière de
la torche électrique tenue par les épaisses moufles.
Nous gardons le silence : l'altitude oblige à économiser son souffle.
Une seule pensée, un seul désir nous anime, mes trois compagnons
et moi : arriver en haut, sur le sommet de l'Afrique, pour étendre les
mains et prier pour tous les peuples de ce continent : c'est la mission que
nous avons reçue. Arrivés en haut, l'aurore commence à
briller : nous prenons le pain et le vin pour élever le Corps du Christ
à la rencontre du Soleil levant qui inonde rapidement de sa lumière
toute l'Afrique à nos pieds.
Envoyés par la communauté pour bénir l'Afrique
En 1890, un des premiers évêques missionnaires de Tanzanie , Jean
Marie de Courmont, a tenté l'ascension du Kilimandjaro pour consacrer
l'Afrique à Marie. Il n'avait pas pu dépasser les 3000 mètres.
Le mois dernier, nous étions envoyés par Josaphat Lebulu, l'archevêque
d'Arusha : c'était la conclusion d'une séminaire de cinq jours
où plusieurs centaines d'Ougandais, Kényans et Tanzaniens s'étaient
donné rendez-vous pour réfléchir et prier pour l'évangélisation
de l'Afrique . Ensemble nous avions pris conscience que l'Afrique n'est pas
maudite ; l'Esprit du Seigneur est à l'œuvre pour nous mettre en marche
vers le Royaume. En conclusion, une célébration réunissait
près de 20000 chrétiens pour prier, demander pardon et rendre
grâces pendant plus de cinq heures pour tous les peuples d'Afrique, pour
l'Afrique éprouvée dans son histoire et dans sa vie présente
: après des siècles d'esclavage, aujourd'hui ce sont les guerres
et les massacres, les parasites et les maladies, le sida, la famine, l'extrême
pauvreté, les enfants soldats à qui on n'apprend qu'à tuer…
comme si la malédiction de Ham, le fils maudit de Noë, continuait
à répandre ses ravages. Faudrait-il désespérer ?
La solution à tous ces problèmes dépend non des autres,
mais de nous, les chrétiens africains. Comme geste concret, nous étions
envoyés au sommet du Kilimandjaro.
Si le trajet est très touristique, l'ascension était plutôt
un pèlerinage, une longue marche de cinq jours, qui furent pour moi comme
une retraite.
Une démarche spirituelle.
L'ascension du Kilimandjaro (5895 m) est comme un symbole de la vie spirituelle : au début, premier jour de marche dans la forêt . Le chemin est encore assez large et ne monte pas trop ; il serpente au milieu des arbres et des fleurs sauvages ; les oiseaux de mille espèces accompagnent notre marche de leurs chants. Puis, petit à petit la végétation se fait plus rare, les fourrés et buissons émergent à peine de terre ; on entre dans les nuages, le brouillard : le soleil a disparu ; le regard ne dépasse pas quelques mètres de chemins dans les graviers et le sable ; parfois le pied achoppe sur un cailloux. Il faut refaire et répéter encore et encore le même geste, un pied devant l'autre, un pied devant l'autre, sans regarder ni devant ni derrière, sans penser au chemin parcouru ni rêver au chemin qui reste encore à faire. Enfin, lorsqu'on approche du but, secouer la somnolence et repartir dans la nuit, pas à pas, dans le froid glacial, lentement, en silence, sans impatience mais avec constance jusqu'au sommet : et là, se laisser baigner par le Soleil qui se lève comme un premier matin sur un monde nouveau.
Le Centre " Agapè ".
C'était là une étape de mon voyage : depuis Fez, au Maroc,
où je suis né en 1940, en passant par mon éducation en
France et mon ordination en 1968, la mission en Tanzanie, les rencontres œcuméniques
à Dublin et Bossey en Suisse, l'Esprit me guidait vers ce sommet.
En 1995, l'Archevêque de Dar es Salaam, Mgr. PENGO, me demandait d'animer
un centre spirituel dirigé par des laïcs pour être une école
d'évangélisation. Témoigner de l'Evangile n'est pas réservé
aux prêtres ou aux religieuses : c'est la vocation de tout laïc chrétien.
Au cours de sessions et de retraites, notre petite équipe d'animateurs
fait prendre conscience aux chrétiens de leur pouvoir d'évangéliser
; beaucoup sont bloqués dans cette démarche d'aller vers les autres
parce qu'ils traînent avec eux des blessures de leur vie passée.
Ainsi commençait " le centre Agapè " où des chrétiens
et chrétiennes se rencontrent pendant trois mois pour une formation spirituelle
et intellectuelle d' "évangélistes " au service de leur
communauté locale. Avec eux je partage tout mon quotidien, repas et prières,
entretien matériel et études.
Une équipe d'Evangélistes.
Récemment nous avons lancé l' "Opération ANTIOCHIA".
D'après les Actes des Apôtres, c'est à Antioche que l'Esprit
a mis à part Barnabas et Paul pour annoncer la Bonne Nouvelle aux Païens.
Une centaine d' "évangélistes" ont été
envoyés pour une année dans les paroisses qui le demandaient.
Chacun était soutenu matériellement par un parrain ou une marraine,
et spirituellement par quatre personnes qui intercédaient pour eux chaque
jour.
Ainsi, c'est toute l'Eglise de Tanzanie qui se met en marche. C'est toute l'Eglise
d'Afrique qui est en pèlerinage : pas à pas, au milieu de mille
difficultés et tentations, malgré les guerres et les fléaux,
elle s'achemine vers la Lumière du Royaume.
Etienne Sion, Missionnaire d'Afrique,
Agapè Center. - P.O.Box 76021 DAR ES SALAAM. TANZANIE