Missionnaires d'Afrique
Pères Blancs France Mours

Célébration des jubilaires à Mours, le 24 juin 2012, en la Fête de Saint Jean le Baptiste

Malgré nos forces amoindries,
nous demeurons des agents de salut pour le monde

Homélie d'Armand Duval

Armand DuvalP ar une heureuse coïncidence, nous célébrons, pour notre jubilé, le premier missionnaire, l’annonciateur de la venue du Messie pour le Salut du monde, celui qui prépara la route au Seigneur, son cousin. Nous le voyons d’ordinaire comme l’ascète sévère, vêtu d’une tunique de poil de chameau, se nourrissant de sauterelles et de miel sauvage, et nous oublions qu’il bondit d’allégresse dans le sein de sa mère. Avant même de naître, il dansa lorsque Élisabeth entendit la salutation de sa cousine Marie, enceinte du Messie, et il fut ainsi sanctifié dès son premier contact avec le Fils de Dieu. Plus tard il se définira comme l’ami de l’Époux, heureux d’entendre sa voix ! (Jn 3, 29) C’est donc un homme de joie, ce Jean ! porteur de la plus Belle Annonce qui soit. Il est, pour nous, un homme à écouter et imiter : une voix qui crie dans le désert et appelle à la conversion, la nôtre et celle de ceux que nous côtoyons, où que nous soyons.

Le Baptiste
brûlait d’impatience

Car, qu’on l’écoute ou pas, Jean prêche et invite avec force au changement de conduite afin de préparer ainsi la route au Seigneur. Le Baptiste n’est pas une figure molle, c’est plutôt ‘Jean sans peur’. Hardiment, il dit la vérité, met le doigt sur la plaie, démasque l’hypocrisie de ceux qu’il traite d’engeance de vipères. Car on ne saurait tromper Dieu ! Qui se convertit doit réapprendre à partager, à se contenter de son salaire, à abandonner toute pratique de corruption : ne léser ni dépouiller personne ; s’abstenir de toute violence, en actes comme en paroles. Que tout cela est d’actualité ! Dans un monde devenu impitoyable, l’homme moderne manque terriblement de respect, d’estime et de tolérance envers l’autre, nous manquons souvent d’amour pour l’autre, quel qu’il soit.

Messe presidée par Guy Vuillemin, ProvincialProphète à la charnière de l’Ancienne et de la Nouvelle Alliance, Jean appela à la conversion sans délai. Pour lui, la hache était déjà prête à attaquer la racine de l’arbre sans fruits. Aussi connut-il quelques doutes lorsqu’il entendit Jésus prêcher la patience et la miséricorde infinies de Dieu. Pris par sa mission, il voulait en voir de suite la réalisation. Il brûlait d’impatience. Et je le comprends.

Franchement, il nous est dur aussi de voir en Afrique de sanglantes guerres ethniques qui n’en finissent pas (Congo, Rwanda, Burundi, Côte-d’Ivoire, Nigeria, Mali maintenant, et j’en passe) ; il nous est dur de voir que le SIDA et la misère gagnent encore du terrain, que tant de malades restent sans soins, de constater que la corruption généralisée, que l’apathie, l’égoïsme et la cupidité occidentales perdurent. Nous fûmes parfois tentés de baisser les bras et pourtant nous n’en avions pas le droit. Dieu, lui, ne compte pas les jours, il les pèse ! Il compte sur ma fidélité et ma prière persévérante, à charge pour moi, le premier, de me convertir plus radicalement à lui.

D’abord, approfondir
ma prière et ma vie intérieure.

Et d’abord, approfondir ma prière et ma vie intérieure. Sinon je risque d’être aspiré par la banalité ambiante, abruti par la vulgarité généralisée. Je dois méditer et prier. L’Africain Origène, au début du IIIe siècle, comptait sur un “entraînement de l’humilité d’esprit et sur la prière” pour combattre toute arrogance théologique ; il pratiquait, disait-il, “une théologie de cheminement”, toujours en quête de la vérité. Il nous faut l’imiter

Quand on vieillit, on a parfois l’impression douloureuse de rapetisser. Là, nous avons encore en Jean le Baptiste un modèle. À qui lui annonçait que certains de ses disciples le quittaient et passaient à Jésus, il répondait en humble prophète qui sait laisser la place à celui qu’il représente : « Il faut qu’Il grandisse et que moi, je diminue ! » Hélas, que de place il reste à Lui céder dans ma vie pour qu’il grandisse en moi ! Qu’il me donne seulement la joie de pouvoir encore l’annoncer, le montrer : C’est Lui, l’Agneau de Dieu…Écoutez-le!

La lui laisserai-je cette place désormais dans ma vie, maintenant que j’en ai davantage le temps ? Sera-t-il davantage ma référence dans mes paroles et mes actes ? Dans ce monde sécularisé, où l’on ne demande plus d’avis à Dieu, où la foi est reléguée au domaine privé, les commandements de Dieu remisés au rang de tabous dépassés. Ai-je l’audace de me référer ouvertement à celui qui donne sens à ma vie ? de nommer Dieu, sans fausse honte, comme celui qui me donne stabilité et sécurité parce que je crois en lui ? Il compte sur moi, il compte sur nous. Vais-je rester paralysé par le respect humain ? Des prophètes, de nos jours, il en est tout de même encore quelques-uns que personne ne peut intimider ni museler. Alors, et moi ? Ne suis-je pas sanctifié comme Jean par mon contact avec Jésus dans la messe quotidienne ?

Le précurseur, en disant : « Voici l’Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde », avait accompli sa tâche. Nous savons comment sa tête, servie sur un plat, ‘récompensa’ une danseuse, fille de la concubine d’un roitelet d’opérette. Celui-ci pourtant estimait Jean, mais d’autres voulaient le faire taire. Nous n’avons certes pas la stature de celui dont Jésus disait :« Il n’y eut pas de plus grand prophète que Jean le Baptiste ! », mais, jubilaires de 50 ans, 60 ans ou plus, malgré nos forces amoindries, nous demeurons des agents de salut pour le monde dans lequel nous vivons. Chacun d’entre nous, je pense, a fait de son mieux jusqu’ici ; il reste à continuer : Jésus n’en demande pas plus.


Méditant la charte du chrétien qu’est le sermon sur la montagne, le bienheureux John Newman écrivait ces paroles, pour nous bien consolantes : Votre vie même révèle le Christ sans que vous le vouliez. Vous n’y pouvez rien. Vos paroles et vos actions montreront à la longue où se trouve votre trésor, et aussi votre cœur. De l’abondance de ce cœur jailliront des paroles “pleines de sel”. [..] Qui peut mesurer le pouvoir de nos paroles quand elles tombent au moment opportun ? Combien de fois sont-elles recueillies et entretenues fidèlement en pensée par telle ou telle personne, et portent-elles des fruits, alors que nous les avons oubliées ?

Et combien de fois nos bonnes œuvres en suscitent-elles d’autres, par émulation, sans que nous nous en doutions?… Parfois, quelqu’un dont nous n’avons jamais entendu parler, ou que nous n’avons vu qu’une seule fois, pense à nous du fond d’un pays lointain ! Contemplons cet aspect plaisant de nos actions et pas seulement les tristes conséquences qu’elles ont pu avoir parfois.

Car, comment douter que nous ayons été, parfois à notre insu, sel ou lumière pour l’un ou l’autre de nos frères ou sœurs en recherche de Dieu, comment douter que, bien qu’indignes, mais mus par l’Esprit Saint, nous les ayons amenés à Jésus, comme Jean lui amena jadis ses premiers disciples ? Alors, aujourd’hui, humblement, disons merci, rendons grâce au Seigneur. Amen.

Amand Duval
60 ans de Serment