Voix d'Afrique N°61.....

JOURNALISME & MISSION

Le Père Joseph Roger de Benoist,
de passage à Paris, est venu rencontrer
"Voix d'Afrique".
Par ses études et ses multiples rencontres au moment de la décolonisation, il est devenu une figure de la vie religieuses et sociale de l'ancienne Afrique Occidentale Française.
Nous essayons, en quelques pages de décrire son aventure missionnaire.

TOUT HOMME EST MON FRERE

Un " Mètis" d'Ardennais et de Normande

Né d'un père ardennais et d'une mère normande ; il passe 50 ans de sa vie en Afrique de l'Ouest.
Il est tenté un moment par la vie contemplative : il a été missionnaire, journaliste et voyageur.
Il avait souhaité être affecté en Afrique de l'Est anglophone : il a été envoyé au Sénégal, à Dakar.
Soixante ans d'une telle vie en Afrique, ça conserve ! à 80 ans, il est droit comme un "i" : il a le regard clair, direct et souriant, le verbe abondant, la mémoire très fidèle ; soixante années de rencontres en Afrique de l'Ouest et dans une centaine de pays de tous les continents, ce sont des heures de partage passionnant d'où naît la conviction que "tout homme est mon frère".

La première traversée

Son premier voyage, sa première rencontre avec l'Afrique, c'était en septembre 1941.
Il a dix-huit ans lorsqu'il traverse la Méditerranée ; il a à peine le temps de commencer ses études en Tunisie qu'il est appelé sous les drapeaux. Pendant plus de trois ans, il prend part à la 2ème guerre mondiale, notamment en Italie, dans un régiment de spahis Marocains. Ordonné prêtre à Carthage en 1950, il est pressenti pour faire une licence de lettres, mais est finalement envoyé à l'Ecole Supérieure de Journalisme de Lille. On a besoin de missionnaires journalistes. Les évêques d'Afrique Occidentale Française ont demandé à la Société des Missionnaires d'Afrique (Pères Blancs) de fonder un hebdomadaire pour l'Afrique francophone, notamment celle de l'Ouest. Le 15 juin 1947, les PP.Paternot et Rummelhardt font paraître à Dakar le premier numéro "d'Afrique Nouvelle". Joseph les rejoint le 15 mai 1952.

"Afrique Nouvelle"

"Connaître, Aimer, Servir", la devise d'Afrique Nouvelle imprimée au dessus du titre, est un programme d'action, ambitieux mais sage. Il y a en une autre qui paraît dans certaines rubriques : "Il faut que cela change". Les évènements de 1939-1945 ont fait évoluer les mentalités. Les colonisateurs en ont conscience : une conférence qui se tient à Brazzaville au début de 1944 pose les bases d'une évolution. Mais celle-ci est trop timide et trop lente aux yeux des Africains que l'on appelle justement des "évolués". La scolarisation fait des progrès et nombreux sont les Africains qui ont soif d'information et de moyens de réflexion. La télévision n'existe pas encore, la radiodiffusion est balbutiante, quelques journaux existent, mais leur parution est intermittente et leur diffusion restreinte. "Afrique Nouvelle" répond à un besoin : sa parution régulière, sa diffusion sur une vaste aire géographique vont faire son succès.


Le numéro1 d'Afrique Nouvelle

AFRIQUE NOUVELLE
Extrait de
l'éditorial du n° 1

... "Afrique Nouvelle" n'oubliera pas que le plus grand nombre des Africains de ce pays est profondément religieux. Animistes, Musulmans et Chrétiens forment, en effet, la grande masse du peuple africain de l'A.O.F. : or, tous croient en Dieu, tous ont foi en l'existence d'un monde meilleur, tous pratiquent une morale. C'est en tenant compte de ces croyances et de ces principes que seront appréciés les problèmes que pose la vie familiale, la vie sociale ou la vie civique. Ne pas en tenir compte dans l'évolution d'un Peuple, c'est inévitablement faisse fausse route, c'est mal prendre le virage, c'est aller à la ruine ...
M. Paternot


Il faut que cela change

L'apport d'Afrique Nouvelle dans ce changement se situe à deux niveaux. Depuis 1945, les anciennes colonies françaises, devenues territoires d'Outre-mer, sont représentées par des députés dans les assemblées françaises et dans celles qui sont créées dans les huit territoires d'A.O.F. Les nouveaux parlementaires n'ont aucun moyen de communication avec leurs électeurs. "Afrique Nouvelle" devient peu à peu la tribune privilégiée par laquelle ils présentent leur programme et rendent compte de leurs activités à leurs concitoyens. Et de plus en plus, ceux-ci veulent donner leur avis sur les problèmes politiques, économiques, sociaux, culturels.
L'hebdomadaire devient la forme moderne de l'arbre à palabre, où des interlocuteurs séparés par des milliers de kilomètres peuvent échanger leurs idées et leurs propositions. On assiste à la naissance d'une véritable opinion publique. Le courrier des lecteurs est particulièrement abondant : chaque semaine, des centaines de réaction, "d'accord" ou "pas d'accord" sont dépouillées et sélectionnées sans à priori. Les dépositaires bénévoles de journal deviennent des notables dans leur village : lorsque, chaque semaine, l'hebdomadaire arrive, les lecteurs - il y en a souvent dix pour un seul exemplaire - se rassemblent, diffusent les nouvelles autour d'eux ; des groupes spontanés de discussion se forment qui deviennent parfois de véritable cercles d'étude. Le tirage ne dépassera jamais 18 000 exemplaires, mais un seul exemplaire du journal passe de main en main et est lu par dix personnes au moins. Sans compter que les lettrés le lisent aux autres et le commentent. C'est ainsi que les nouvelles se propagent, les idées sont discutées, les frontières et les distances sont abolies.

Un journal indépendant

"Afrique Nouvelle" n'est pas un journal partisan. Il acquiert rapidement la réputation d'être indépendant de tout pouvoir. Sa liberté de parole dérange parfois. Et lorsque les autorités coloniales lui intentent en 1951 un procès dans l'espoir de le faire taire, tous les défenseurs de la liberté de la presse, y compris les francs-maçons et les anticléricaux, en Afrique et en France, font bloc autour de l'hebdomadaire catholique. On ne pouvait pas espérer une meilleure publicité. Certaines autorités ecclésiastiques, plus timorées devant l'évolution de la situation politique, s'effarouchent de certaines prises de position du journal, favorables à la décolonisation. Les fondateurs, le P.Paternot en 1952, puis le P.Rummelhardt en 1954, sont obligés de se retirer. Joseph de Benoist, seul journaliste professionnel, est invité à assurer l'intérim de la direction pendant quatre mois. Cet intérim dure cinq ans, jusqu'à l'indépendance des anciennes colonies. Ce sont cinq années d'activités intenses. Joseph sillonne l'Afrique Occidentale et est présent à tous les grands évènements ; meetings, élections, conférences. Il connaît tous les dirigeants, gagne leur confiance et souvent leur amitié par l'objectivité de ses prises de positions et le combat du journal pour un idéal de justice et de liberté. Il reste avant tout un missionnaire dont la ligne de conduite s'inspire de l'enseignement des papes, notamment dans les encycliques "Evangeli praecones" et "Fidei donum".

Une passion : l'Afrique

A la fin de 1959, il passe la main aux laïcs ; il va au Mali où, après quelques temps d'activités en brousse, il revient à Bamako y créer une librairie, Djoliba, qui est à l'origine d'un centre de formation et de réflexion qui, depuis quarante an, joue un rôle de premier plan dans la capitale malienne. Après le Concile Vatican II, il consacre plusieurs années à l'information missionnaire, fait, pour la presse catholique, mais aussi profane, des reportages dans de nombreux pays d'Amérique, d'Asie. Il fonde le magazine "Peuples du monde". En 1973, il répond à l'appel du président Léopold Sédar Senghor qui souhaite qu'il rejoigne, à Dakar, "l'Institut Fondamental d'Afrique Noire" (IFAN). Dans le cadre de l'Institut des Hautes Etudes des Sciences sociales il soutient, grâce à ses archives personnelles et ses relations, une thèse de doctorat de 3ème cycle sur l'histoire de L'Afrique Occidentale Française de 1944 à 1960. Chercheur à l'IFAN à partir de 1978, il soutient en 1985, sous la direction de Catherine Coquery-Vidro-vitch, une thèse d'Etat sur Eglise et pouvoir colonial au Soudan occidental, et est nommé directeur de recherches en 1990. à partir de 1989, il se spécialise dans l'histoire de l'île de Gorée, et après sa retraite universitaire, est nommé conservateur honoraire des Musées de l'IFAN. En 2002, l'Université lui rend hommage pour le cinquantenaire de son arrivée au Sénégal ; à cette occasion l'Etat sénégalais l'a élevé à la dignité de Commandeur de l'Ordre national du Lion.

Mission et colonisation

La passion du Père de Benoist est la même depuis les débuts : les relations entre mission et colonisation, entre évangélisation et politique. Son expérience, faite de rencontres avec les élites africaines de tous bords pendant plus de cinquante ans, avant, pendant et après les indépendances, est unique et incontournable pour quiconque veut comprendre l'Afrique d'aujourd'hui. Il continue à mettre cette expérience au service de l'Eglise au Sénégal : à la demande de la Conférence épiscopale, il est en train de rédiger une histoire de cette Eglise. Présent à Gorée en 1444 avec les premiers prêtres portugais, le christianisme a partagé toutes les péripéties de la traite négrière, de la colonisation et de l'indépendance du pays. Joseph de Benoist n'a jamais oublié qu'il est d'abord missionnaire. Depuis 1976, il était vicaire dominical à la cathédrale de Dakar. Depuis l'an dernier, ses confrères Sénégalais l'ont invité à s'installer au sein de leur communauté pour pouvoir célébrer chaque jour l'Eucharistie dans cette Eglise cathédrale, et prendre quotidiennement le pain et le vin, "fruits de la terre et du travail des hommes" d'Afrique et du monde entier pour qu'advienne enfin un règne de Justice et de Paix.

Voix d'Afrique
J.R. de Benoist