Missionnaires d'Afrique
France

Joseph Leduc, 70 ans de serment, Billère

Mon âme, bénis le Seigneur,
n’oublie aucun de ses bienfaits !

C’est à l’âge de onze ans, en 1926, que je commençai à répondre à l’appel du Seigneur, quittant ma famille de modeste milieu rural pour entrer au Petit Séminaire de Nantes. J’y fis toutes mes études secondaires avant d’entrer en 1933, pour deux ans, au Grand Séminaire. Après deux autres années de service militaire, j’entre, en octobre 1937, au Noviciat des Pères Blancs à Maison Carrée. Après la première année de scolasticat, une année de guerre (1939-1940) J’ai évité providentiellement la captivité. Retour à Thibar, serment en avril 1942, diaconat.

Débarquement des Américains en novembre 42, je commençais la 4e année de théologie. Mobilisation et ordination sacerdotale en “prématuré” à Constantine, et affectation comme aumônier militaire d’un régiment. Nous étions cinq diacres de Thibar dans le même cas, dont le Père Henri Canaud qui fut tué à Cassino. Pour moi, un jour à Cassino, un petit éclat d’obus a été arrêté par la custode contenant l’Eucharistie que je portais sur le cœur. On a dit que c’était un petit éclat “perdu”. Je garde un très bon souvenir de l’audience du Pape Pie XII à l’armée française de passage à Rome… Que ceux qui seraient scandalisés par mon ordination “prématuré” soit rassurés, car j’ai fait ensuite ma 4e année de théologie en 1945 — 1946, après la guerre.

Au pays des Samos
En 1946, une première affectation de professeur au petit séminaire de Saint Laurent d’Olt, changée deux mois plus tard en nomination à la Préfecture Apostolique de Nouna, fondée en 1944, qui comprenait tous les espaces contenus actuellement par les diocèses de Mopti, San, Nouna, Dédougou. J’aboutis à la paroisse de Toma en novembre 1946.

A Kiembara avec  Maurice OudetJ’arrivais au pays des “Samos”, à l’ouest de la Haute-Volta, à Toma, vaste paroisse fondée en 1913, qui, rapidement par la suite, donnera naissance à trois autres paroisses (Zaba, Tougan, Kiembara). La Préfecture Apostolique de Nouna ne comptait en 1946 que 3 paroisses : Nouna, Toma et Mandiakuy. Sur le même espace, on compte maintenant 20 paroisses (diocèses de Nouna et de Dédougou).

La paroisse de Toma a été fondée en 1913. En 1946 on pouvait y compter environ 1700 chrétiens. Déjà une vingtaine de catéchistes, formés à une petite école de catéchistes locale (en samo), étaient installés dans différents villages.

Mon premier travail fut d’apprendre la langue du pays, le samo : pas facile se s’accorder sur les tonalités dans la prononciation des mots comme un peu partout d’ailleurs en Afrique subsaharienne. Je me souviens encore de ma première sortie après mes cinq premiers mois d’apprentissage. Après la messe du matin, je donne une dernière allocution aux catéchumènes et chrétiens. Le catéchiste exhorte les assistants à mettre en pratique ce que vient de dire le Père. Une jeune fille lève la main : « Mais, qu’est-ce qu’il a dit ? » Là, je me suis rendu compte que j’avais encore de gros progrès à faire…

Le confort de l’époque n’était pas très “moderne” : on s’éclairait au pétrole avec des “lampes tempêtes”. Peu à peu elles seront remplacées par des lampes à gaz, puis par l’électricité, avec des batteries rechargées par des panneaux solaires. Moyens de locomotion : le vélo (durant 3 années) puis la moto. Ensuite la 2 ou 3 CV, et la C15. À mon arrivée, il n’y avait qu’une seule voiture dans le diocèse, celle de l’évêque, et un camion, celui de la “procure” du diocèse. Notre cuisinier savait faire le pain et bien utiliser toutes les ressources locales : légumes du jardin, viandes du marché. Mais il faudra attendre 1958 pour jouir d’un réfrigérateur au pétrole. La ville la plus proche où se trouvent des magasins “petites surfaces “ est à 200 kilomètres.

Six langues ou dialectes différents
Le grand travail est évidemment l’évangélisation. Durant ces tournées parfois de quatre à huit jours de durée, pour visiter tous les villages, je me rendis vite compte de l’utilité, de la nécessité des catéchistes. Que ferions-nous sans eux ? Qui instruirait les catéchumènes ? À l’époque il y avait de 100 à 200 baptêmes d’adultes chaque année. Tous sont instruits dans la langue du pays, or le diocèses comprend au moins six langues ou dialectes différents. Les Samos, où je suis, ont eux-mêmes trois dialectes bien différents. Cela donne du travail pour fonder les paroisses de Tougan et Kiembara.

En 1949 le Père Decastecker, le curé de Toma, est envoyé pour fonder le poste de Tansilla. Je le remplace comme curé de la paroisse

Février 1952 c’est le sacre épiscopal de notre Préfet Apostolique, Mgr Lesourd, comme évêque de Nouna.

Maître des novices frêres.
En juin 1952, changement de décor : je suis appelé à aller à Bonnelles comme Maître des Novices Frères. Sans aucune préparation spéciale, j’essaie de répondre de mon mieux à cet appel. Deux ans plus tard, en 1954, le noviciat est dirigé sur Maison Carrée pour être uni au noviciat des Pères, comme autrefois. En 1957, nouveau déménagement : tout le noviciat (Pères et Frères) quitte l’Algérie pour arriver à Gap. J’y attends mon successeur, le Père Hehn, pour rejoindre la Haute-Volta, et je me retrouve à Toma.

L’église
de Nouna-Dédougou se développe

En 1958, grande fête : c’est l’ordination de l’abbé Zéphyrin Toé. C’est, à ce moment-là, le deuxième prêtre africain dans le diocèse de Nouna. Ils sont maintenant une centaine dans les diocèses de Nouna et Dédougou, dont 23 originaires de la paroisse de Toma. Cet abbé Zéphyrin Toé sera sacré évêque du diocèse en 1973.

Avec le catéchiste JM Kietaja à TomaEn août 1960, nous vivons encore une autre grande fête pour l’Indépendance du pays. On plante, ce jour-là, l’arbre de l’indépendance, un caïlcédrat, devenu un très grand arbre majestueux, qui domine ses voisins.
Les Mossis (ethnie majoritaire du Burkina) comptent de nombreux émigrés dans le diocèse, et l’évêque me demande de me joindre à deux autres confrères pour ce ministère, donc une nouvelle « langue ». Tournées dans toutes les paroisses du diocèse ; à trois, on se partage le travail, résidant en 3 postes différents : trouver et former les catéchistes et visiter les villages. Pour moi, j’ai habité à Toma 23 ans en trois séjours, à Kiembara (fondé en 1967) 19 ans en 2 séjours, et à Boni 4 ans. Avec des tournées dans tout le diocèse, pour les Mossis surtout.

Région sahélienne = grosse famine en 1973, à Kiembara, ....avec beaucoup de soucis et de travail pour assurer des secours, en liaison avec toutes les organisations caritatives.

Toma, Tougan, Kiembara sont peu à peu remis au clergé africain. En 1993 je quitte Kiembara pour Boni, où se trouve une forte minorité mossi ; et en 1997 la paroisse de Boni à son tour est remise à un successeur africain.

Joseph Leduc a travaillé dans la paroisse de Boni, petite commune située entre Ouagadougou et Bobo-Dioulasso. À Boni l’église est assez originale. Sa conception a été réalisée par feu notre confrère Staf Campforts. Il n'était pas architecte, mais avait vraiment des dons artistiques et manuels. Avant sa construction, Staf avait proposé aux anciens du village le modèle de ce masque pour la réalisation du clocher pour leur demander leur avis et surtout leur accord, les symboles évoqués touchant directement aux coutumes les plus profondes de leur ethnie Bwaba … Le clocher et la porte d’entrée ont donc la forme d’un masque qui représente le calao. Le calao est un oiseau coloré au gros bec qui donne l’impression de porter un casque grâce à son plumage. Il est très sociable, très fidèle et l'on peut l'apprivoiser facilement. Une vraie capacité de tolérance entre l’animisme et la religion chrétienne…


Je rentre en France. À 82 ans, près de Nantes, je deviens aumônier d’une maison de retraite jusqu’en 2002. Je rejoins alors les confrères à la maison de retraite de Billère.

Il me reste évidemment à rendre grâce au Seigneur et j’invite tout le monde à faire de même avec moi. Malgré quelques petits incidents de parcours, la santé a toujours été relativement bonne, résistant aux ardeurs du soleil, aux moustiques et aux nombreux obstacles ou dangers de la route.

Je rends grâce au Seigneur qui m’a appelé, conduit et soutenu durant ces 70 ans de sacerdoce après 27 années de protection depuis mon enfance.

Joseph Leduc