Missionnaires d'Afrique
Jérusalem

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Frans Bouwen M.Afr.

Servir l’Église à Jérusalem…


Depuis le début des sessions-retraites à Jérusalem en septembre 1976, la présence en cette ville des Missionnaires d’Afrique – ou plutôt Pères Blancs, car le mot « missionnaire » n’a pas très bonne cote dans le pays – est bien mieux connue de nos confrères, étant donné le grand nombre d’entre eux qui sont venus vivre cette expérience à Sainte-Anne. Et nous, membres de la communauté de Sainte-Anne, nous en sommes très heureux, en même temps que nous nous sentons confirmés dans notre conviction que la présence à Jérusalem fait partie intégrante de l’être et de la mission des Missionnaires d’Afrique. Pendant de longues années, notre Société ne savait pas bien quoi penser de cette présence.

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Ancien dortoir au bâtiment 1, datant de la fin du 19e/début du 20e siècle
Fanfare du petit séminaire grec-melchite catholique (chrétiens arabes) de Jérusalem (année?)

Les anciens textes des Constitutions ou du Directoire parlaient de « la garde de quelque sanctuaire plus illustre » (Constitutions de 1958, art. 6). Certains savaient que les Pères Blancs s’y consacraient aussi à la formation des prêtres grecs melkites catholiques, mais cette œuvre restait néanmoins pour la plupart une exception étrange à la règle générale de notre apostolat presque exclusif en Afrique.

L’Afrique à Jérusalem
Quand le cardinal Lavigerie a envoyé ses missionnaires à Jérusalem en 1878 – l’année même du départ de la première caravane de Pères Blancs pour l’Afrique centrale – un des principaux objectifs qu’il leur a donnés était la prière pour l’Afrique. Depuis le début des sessions, il ne s’agit plus d’une prière lointaine pour un continent lointain, mais c’est l’Église d’Afrique elle-même qui, dans la personne de ses missionnaires, ses prêtres et ses religieuses, vient prier et se ressourcer à Jérusalem. Notre fondateur ne pouvait pas prévoir cela dans le détail, mais sans la grande vision qui l’animait alors et la présence humble et patiente des confrères en ce lieu pendant plus d’un siècle, cette expérience africaine à Jérusalem n’aurait jamais eu lieu. Toute la communauté de Sainte-Anne est d’une manière ou d’une autre engagée dans ces sessions, et le Petit Écho donne déjà périodiquement des nouvelles de cette activité. Cette dimension africaine est grandement renforcée par la présence du Petit Groupe de Formation de candidats Missionnaires d’Afrique, étudiants en théologie. Mais ceux-ci se présenteront eux-mêmes dans un article spécial.

Toutefois, il est clair que la présence des Pères Blancs à Jérusalem ne se limite pas à cette prière ou ce ressourcement pour et avec l’Afrique. L’accueil des pèlerins qui viennent visiter la basilique romane de Sainte-Anne et les fouilles de la piscine de Béthesda – lieu de la guérison narrée dans l’évangile de Jean, chapitre 5 – est en train de prendre de nouvelles dimensions. Le nombre de visiteurs a varié énormément au cours des années, en fonction de la situation politique surtout. Un point culminant a été le jubilé de l’an 2000, mais il avait été suivi par un vide presque total à cause de la deuxième intifada qui a éclaté fin septembre de la même année. Actuellement, le monde chrétien semble avoir compris qu’il n’y a pas de raisons d’insécurité qui empêchent un pèlerinage fructueux et les visites sont près d’atteindre celles de l’an 2000. Certains jours, Sainte-Anne reçoit plus de deux mille visiteurs ! Deux confrères y consacrent la plus grande partie de leur intérêt et de leur temps, aidés occasionnellement par d’autres membres de la communauté.

Insertion dans le milieu et les Églises orientales
Une deuxième orientation donnée par Lavigerie était « de gagner peu à peu, par l’exemple d’une vie sainte et par la charité la confiance des habitants de Jérusalem ». Cette insertion locale a été un souci constant de la communauté, mais elle a revêtu des traits différents selon les circonstances et le nombre des confrères présents. Ces dernières années, les liens avec l’entourage se sont remarquablement resserrés, d’abord avec le quartier dans lequel nous habitons, qui est un des plus populaires de la vieille ville, en plein milieu musulman. Un club de jeunes installé derrière notre propriété, comprenant des activités sportives, sociales et culturelles, de même qu’un atelier pour jeunes handicapés, est un point de référence privilégié pour certains confrères et étudiants en théologie.

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Héritiers de la tradition œcuménique de Sainte-Anne dont Mgr Pierre Duprey fut un illustre artisan,
Frans Bouwen et Thomas Maier continuent l’œuvre voulue par le Cardinal Lavigerie.
Proche Orient Chrétien est publié depuis 1951.

L’intérêt personnel de Lavigerie pour les Églises orientales était certainement un des motifs principaux qui l’ont poussé à envoyer ses missionnaires à Jérusalem. Après sa visite au Moyen-Orient en 1860, en tant que directeur de l’Œuvre des Écoles d’Orient, il en parle fréquemment et avec enthousiasme. En son temps il était un pionnier par sa vision pour le rétablissement de l’union entre les Églises d’Orient et d’Occident. Déjà le séminaire pour les prêtres melkites, que les Pères Blancs ont dirigé à Sainte-Anne de 1882 à 1967, s’insérait dans cette perspective. Toutefois, le travail œcuménique des confrères de Sainte-Anne a toujours dépassé les murs du séminaire.

Et c’est cette orientation initiale que nous essayons de poursuivre après le transfert du séminaire au Liban en 1967. Un des instruments privilégiés dans ce travail est la publication de la revue Proche-Orient Chrétien, commencée en 1951. Elle paraît actuellement deux fois par an, avec un total de 400 à 450 pages. Son but est de mieux faire connaître les Églises du Proche-Orient et d’encourager leurs efforts de renouveau, leur travail pour l’unité chrétienne et leur responsabilité dans le dialogue interreligieux, en particulier avec les musulmans.

Plusieurs confrères y sont engagés à des titres différents, mais la revue peut se réjouir de la collaboration étroite de beaucoup d’autres personnes travaillant dans les mêmes domaines et dispose d’un comité de rédaction à Beyrouth et au Caire, en plus de celui de Jérusalem. Autour de la revue nous essayons également d’animer une bibliothèque avec les mêmes orientations. Notre ambition serait de faire de Sainte-Anne un centre de rencontre et de rayonnement œcuménique, mais nos possibilités sont malheureusement très limitées, en personnel et en moyens financiers.

Plusieurs confrères participent également à des groupes de rencontre et de dialogue œcuméniques à Jérusalem et s’efforcent d’entretenir des relations personnelles étroites avec les différentes Églises. Ils donnent aussi des conférences d’introduction aux Églises orientales et à l’œcuménisme aux diverses sessions de formation continue qui se tiennent à Jérusalem et à des groupes de pèlerins. L’un ou l’autre est aussi activement engagé dans les dialogues œcuméniques au niveau du Moyen-Orient ou de l’Église catholique au plan mondial.

Cette orientation œcuménique de la communauté de Sainte-Anne s’est tout spontanément ouverte au dialogue interreligieux, étant donné la coexistence à Jérusalem des trois grandes religions monothéistes : judaïsme, christianisme et islam. La rencontre avec l’islam fait partie du charisme des Pères Blancs depuis leurs origines. À Jérusalem, nous sommes souvent encore considérés comme des spécialistes dans ce domaine et sommes régulièrement sollicités pour des cours d’introduction à l’islam. Mais cette ouverture à l’islam s’est peu à peu élargie au judaïsme, en raison des circonstances de vie. Nous ne pouvons pas prétendre être spécialistes dans tous les domaines, mais nous ne pouvons pas non plus nous tenir à l’écart. Les confrères y sont engagés de manières multiples : la simple présence d’écoute et de rencontre, les groupes de dialogue islamo-chrétiens ou judéo-chrétiens ou regroupant les croyants des trois religions. Ils essaient aussi d’ouvrir la communauté chrétienne locale à la réalité et aux exigences du dialogue.

Le défi : se sentir concerné sans devenir partial
À cause de sa signification unique pour ces trois religions, Jérusalem a pour vocation d’être le symbole de la convivialité fraternelle. Malheu­reu­sement, la réalité actuelle est bien différente. Jérusalem est au cœur d’un conflit politique qui dure depuis bientôt un siècle et dans lequel la religion est amplement utilisée et exploitée. Les religions – ou plutôt ce que les humains en ont fait – sont devenues une part inextricable du conflit et devront donc aussi faire partie de la solution.

C’est pourquoi le dialogue interreligieux à Jérusalem est inséparable de la recherche d’une paix véritable, dans la justice et le respect des droits et de la dignité de tous. Dans ce domaine aussi, les engagements des confrères sont multiples : écoute attentive et concernée, prière, collaboration avec des groupes chrétiens ou interreligieux oeuvrant dans ce domaine, interprétation de la situation aux groupes de pèlerins, etc. Il n’est pas facile à Jérusalem de se sentir profondément interpellé et concerné, d’une part, et de ne pas devenir partial, de l’autre. Cela demande une ascèse personnelle qui doit animer toute prière, toute rencontre et toute action.

Vivre à Jérusalem est un privilège unique et un enrichissement inépuisable, mais en même temps aussi un défi continuel ou une écharde dans la chair. Comment vivre cette richesse et permettre à tous d’y participer, tant les habitants de la ville et du pays que les pèlerins et visiteurs et, pourquoi pas, le monde entier ?

Frans Bouwen

Tiré du Petit Echo N° 996 2008/10

 


 

Missionaries of Africa
Jerusalem

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Frans Bouwen M.Afr..

In the Service of the Church at Jerusalem

Since the start of the Session-Retreats at Jerusalem in September 1976, our confreres are much more aware of the presence of Missionaries of Africa in this city, in virtue of the large number of them who lived this experience at St. Anne’s. By the way, the title ‘missionary’ is not highly regarded; ‘White Fathers’ is used instead. Moreover, we, as members of the St. Anne’s community, are very pleased with the Sessions, while at the same time we feel confirmed in our conviction that our presence at Jerusalem is an integral part of the raison d’être and mission of the Missionaries of Africa.

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Former dormitory in the main building, end 19th/beginning 20th cent
Brass band of the catholic Greek Melkite (Christian Arab) Seminary at St. Anne's Jerusalem (year?)

For many a long year, our Society did not quite know how to classify this presence of ours. The former texts of the Constitutions or Directoire (Directorial) spoke of ‘the custody of some more illustrious shrine’(Constitutions 1958, art. 6). Some people knew the White Fathers were also devoted to the training of Catholic Greek-Melkite clergy there, but this task nevertheless remained for most a peculiar exception to the general rule of our apostolate, exercised almost exclusively in Africa.

Africa in Jerusalem
When Cardinal Lavigerie sent his missionaries to Jerusalem in 1878 - the same year as the departure of the first White Father caravan for central Africa - one of the prime objectives he gave them was to pray for Africa. Since the beginning of the Sessions, it is no longer a matter of a remote prayer for a far-off continent, but rather the African Church itself which, in the person of its missionaries, priests and Religious, comes for prayer and renewal at Jerusalem.

Our Founder could not have foreseen this in detail, but without the broad vision that inspired him then and the humble and patient presence of those confreres in this place for over a century, this African experience at Jerusalem would never have taken place. The entire community of St. Anne’s is one way or another involved in these Sessions and the Petit Echo periodically reports its activities. The African dimension is greatly reinforced by the Small Formation Group of Missionary of Africa candidates, students in theology. However, they will introduce themselves in a separate article.

All the same, the presence of the White Fathers at Jerusalem is clearly not confined to prayer or renewal for and with Africa. The reception of pilgrims who come to visit the Romanesque Basilica of St. Anne’s and the archaeological site of the Pool of Bethesda - the place of healing described in John Chapter 5 - is taking on another dimension. The number of visitors has varied throughout the years, primarily resulting from the political situation. The culminating point was the Millennium Year, but it was followed by an almost total vacuum due to the second intifada that broke out at the end of September the same year. Currently, the Christian world seems to have understood that there are no security obstacles to a fruitful pilgrimage and visitor numbers are close to reaching those of 2000. On some days, visitors to St. Anne’s amount to over 2,000! Two confreres devote the best part of their time and interest to this, assisted on occasion by other community members.

Integrating at local level
A second orientation given by Lavigerie was, ‘…little by little, by the example of a holy life and charity, win the trust of the inhabitants of Jerusalem.’ This integration at local level has been a constant concern of the community, but it has taken on various forms according to the circumstances and the number of confreres present. Over the last few years, ties to the surroundings have been remarkably tightened, firstly in the neighbourhood in which we live, which is one of the most populated of the town, in a wholly Muslim environment. A youth club set up behind our property, which includes sporting, social and cultural activities, as well as a workshop for young people with disabilities, is a strong focus of attention for some confreres and students in theology.

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Frans Bouwen and Thomas Maier continue the work begun by Cardinal Lavigerie.
They are heirs of the ecumenical tradition at St.Anne’s of which Bishop Pierre Duprey was an illustrious apostle. Proche-Orient Chrétien has been published since 1951.

Lavigerie’s personal interest in Oriental-Rite Churches was undoubtedly one of the prime motives urging him to send his missionaries to Jerusalem. After his visit to the Middle East in 1860, as Director of the Œuvre des Écoles d’Orient, he often spoke of it and with enthusiasm. In his time, he was a pioneer for his vision to restore unity between the Churches of Oriental and Latin Rite. The seminary for Melkite clergy, directed by the White Fathers at St. Anne’s from 1882 till 1967, was to be seen in this perspective.

Nevertheless, the ecumenical work of the confreres of St. Anne’s always went beyond the walls of the seminary. It was this initial orientation that we tried to pursue after the transfer of the seminary to Lebanon in 1967. One of the specially advantaged instruments in this task was the publication of the Proche-Orient Chrétien Review, begun in 1951. Currently, it appears twice a year with a total of 400-450 pages. Its aim is to make the Churches of the Near East better known and to encourage their efforts in renewal, their work in Christian Unity and their responsibility in interreligious dialogue, in particular with Muslims. Several confreres are involved in it at varying degrees, but the Review enjoys the close collaboration of many other people working in the same areas and has an editorial board at Beirut and Cairo, in addition to Jerusalem.

Around the Review, we also try to run a library with the same orientations. Our ambition would be to make of St. Anne’s a centre for encounter and of ecumenical influence, but our possibilities are sadly greatly lacking in personnel and finance. Several confreres also take part in encounter and ecumenical dialogue groups in Jerusalem and try hard to maintain close personal relations with different Churches. They also give introductory talks on Oriental-Rite Churches and Ecumenism to various Ongoing Formation Sessions that are held in Jerusalem, as well as to groups of pilgrims. One or other is also actively involved in ecumenical dialogue at the level of the Middle East, or of the Catholic Church worldwide.

This ecumenical orientation of the St. Anne’s community quite spontaneously opened onto interreligious dialogue, given the co-existence in Jerusalem of the three great monotheistic religions, Judaism, Christianity and Islam. Encounter with Islam forms part of the White Fathers’ charism from their origins. In Jerusalem, we are often still considered specialists in this area and are regularly called upon for introductory courses in Islam. However, this opening to Islam gradually expanded to Judaism, due to the prevailing circumstances. We cannot claim to be specialists in every area, but neither can we stand apart. Confrere are involved in countless ways: simply being there to listen and to practice encounter, groups for Islam-Christian or Judeo-Christian dialogue or gathering believers of all three religions. They also try to open the local Christian community to their reality and the demands of dialogue.

The challenge: feel concerned without becoming one-sided
Due to its unique significance for these three religions, Jerusalem’s vocation is to be the symbol of amicable co-existence between them. Unfortunately, the current reality is far different. Jerusalem is at the heart of a political conflict that will soon have lasted for a century and in which religion is fully put to use and exploited. Religions – or rather what human beings have made them – have become an inextricable part of the conflict and therefore must form part of the solution. That is why interreligious dialogue in Jerusalem is inseparable from the quest for a genuine peace, in justice and respect for the rights and dignity of all. In this area also, confreres’ commitments are manifold: use of attentive and concerned listening skills, prayer, collaborating with Christian or interreligious groups working in this area, interpreting the situation for pilgrim groups, etc. In Jerusalem, it is not easy to feel deeply challenged and concerned on the one hand, and not become one-sided, on the other. It requires personal self-discipline that has to inspire every prayer, every encounter, every action.

Living in Jerusalem is a unique privilege and an inexhaustible richness, but at the same time a continual challenge and a thorn in the flesh. How can we live this richness and enable everyone to take a share of it, the inhabitants of the town and the entire country, as well as the pilgrims and visitors and why not the whole world?

Frans Bouwen

From Petit Echo n°996 2008/10