JP II et le dialogue interreligieux
Dar es Salaam march 2003

Le pape Jean-Paul II a tendu la main

Karol Wojtyla a été élu pape en octobre 1978, choisissant le nom de Jean-Paul II en signe de continuité. En avril de l'année suivante, il recevait en audience les membres et les consulteurs du Secrétariat pour les non-chrétiens qu'il allait plus tard renommer Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux. Il leur dit alors:
"Le regretté Paul VI qui a fondé ce Secrétariat et s'est prodigué avec tant d'amour, tant d'intérêt et de manière si inspirée en faveur des non-chrétiens, n'est hélas plus parmi nous, et je suis sûr que la plupart d'entre vous se demandent si le nouveau Pape accordera autant d'attention au vaste monde des religions non-chrétiennes."

Répondant à sa propre question, Jean-Paul II fit référence à sa première encyclique, Redemptor hominis, publiée le mois précédant, dans laquelle il faisait remarquer combien le concile Vatican II avait présenté " La vision de l'ensemble du monde comme celle d'une carte de diverses religions". Il parla de l'estime que le Concile avait manifestée pour les valeurs enchâssées dans les autres religions et conclut avec une assurance ferme: "Le monde non-chrétien se trouve donc constamment sous le regard de l'Église et du Pape. Nous sommes réellement mandatés pour le servir généreusement."

Jean-Paul II a très certainement vécu dans la ligne de cet engagement. Il n'a pas hésité à accepter l'invitation du roi du Maroc, Hassan II, à s'adresser à de jeunes musulmans. En août 1985, quelque 80.000 d'entre eux l'écoutent au stade de Casablanca. En janvier de l'année suivante, à New Delhi, il visite le monument de Mahatma Gandhi. Pendant de longs moments, il demeura agenouillé en prière silencieuse pour ensuite faire l'éloge de l'apôtre de la non-violence. Le 13 avril 1986, il fait une visite historique à la synagogue de Rome. Le 27 octobre de la même année, il accueille à Assise les leaders religieux, à la fois chrétiens et non chrétiens, qu'il avait invités à venir prier ensemble pour la paix du monde. Ce jour fut important aussi bien par son contenu que par son style. Les leaders religieux étaient rassemblés autour du pape en amitié, unis dans le jeûne, de même que dans le repas fraternel final. On a offert des prières tout en faisant attention à ce que les distinctions de croyances ne soient pas obnubilées. Le pape lui-même a tiré une leçon de ce jour quand il a déclaré:
"Puissions-nous y voir une préfiguration de ce que Dieu voudrait que soit le cours de l'histoire de l'humanité: une route fraternelle sur laquelle nous nous accompagnons les uns les autres vers la fin transcendante qu'il établit pour nous."


Journée de prière pour la paix à Assise. Jean Paul II avec les autorités de différentes religions.
On reconnaît le Dalaï Lama à la gauche du pape.

Ce jour de prière à Assise, vu par tant de gens grâce à la télévision, a véritablement marqué l'imagination et fait naître chez les personnes de diverses religions, le désir de se rencontrer. Alors que le monde prenait conscience de la pluralité religieuse grandissante du monde d'aujourd'hui, on reconnaissait la nécessité de s'engager dans des relations qui transcendent les frontières religieuses. En janvier 1993, Jean-Paul II a réitéré son invitation à Assise afin de prier pour la paix en Europe et particulièrement dans les Balkans, et de nouveau en 2002, en réponse aux événements du 11 septembre 2001.

Dans son ministère d'enseignement, Jean-Paul II a réfléchi sur l'impact de la pluralité religieuse. Pour lui, sa mission consiste à appliquer la vision du concile Vatican II. Régulièrement, il est revenu sur l'enseignement de Nostra aetate, la déclaration du Concile sur les relations de l'Église avec les religions non chrétiennes. Parlant un jour avec les évêques de l'Iran, il déclare:
" La déclaration, Nostra aetate, du concile Vatican II donne des indications claires qui inspirent l'Église pour le dialogue interreligieux. Il s'agit du respect de la conscience personnelle, du rejet de toute coercition ou de toute discrimination en ce qui concerne la foi, la liberté de pouvoir pratiquer sa religion et de pouvoir en témoigner, ainsi que de la considération et de l'estime pour toutes les traditions religieuses authentiques."

Pour Jean-Paul II, la vision du concile était centrée sur le Christ. Déjà dans sa première encyclique, Redemptor hominis, il avait souligné une ligne du document sur l'Église dans le monde moderne: "Par son incarnation, le Fils de Dieu s'est en quelque sorte uni Lui-même à tout homme" (Gaudium et spes, 22). Le pape a souvent fait référence à cette vérité afin de montrer que l'Église, et le pape lui-même, doivent avoir un intérêt pour tous les êtres humains et ne pas se laisser décourager par les différences religieuses. Dans ce même sens, il relève une autre affirmation du même paragraphe de Gaudium et spes:
" Puisque le Christ est mort pour tous (Rm 8,32) et que la vocation dernière de l'homme est réellement unique, à savoir divine, nous devons tenir que l'Esprit Saint offre à tous, d'une façon que Dieu connaît, la possibilité d'être associé au mystère pascal" (GS 22).

Les gens ne doivent donc pas être condamnés pour le simple fait de n'être pas chrétiens. En reconnaissant que Dieu, par l'Esprit saint, est à l'œuvre en eux, il est possible d'engager un dialogue qui n'est pas simplement de la politesse mais bien une porte d'entrée dans le mystère pascal, une mort à l'égoïsme de façon à vivre pour les autres. C'est là un véritable dialogue de salut.

On ne doit pas penser que cette insistance sur le dialogue signale la fin de l'activité missionnaire de l'Église. Le décret de Vatican II sur l'activité missionnaire de l'Église, Ad gentes, affirme clairement que "'Église pèlerine est missionnaire de par sa nature même". Jean-Paul II, afin de stimuler l'application fidèle du concile, a écrit une importante encyclique missionnaire, Redemptoris missio. On doit remarquer que cette lettre adopte une compréhension élargie de la mission, non pas confinée dans une proclamation explicite du nom de Jésus Christ, mais comprenant d'autres activités de l'Église, incluant le dialogue interreligieux. Cette même encyclique affirme clairement: "dialogue interreligieux fait partie de la mission évangélisatrice de l'Église" (RM 55). Il explique davantage:
"Le dialogue n'est pas la conséquence d'une stratégie ou d'un intérêt, mais c'est une activité qui a ses motivations, ses exigences et sa dignité propres : il est demandé par le profond respect qu'on doit avoir envers tout ce que l'Esprit, qui 'souffle où il veut', a opéré en l'homme."

Dans ce passage, deux éléments méritent une attention particulière.

Le premier, c'est la valeur intrinsèque du dialogue interreligieux. On ne doit pas le voir comme un simple préambule à la proclamation ou à l'annonce de Jésus Christ en invitant les gens à devenir membres de l'Église par le baptême. Il a son propre but qui consiste à aider les gens de diverses religions à vivre en harmonie et en paix, à se comprendre les uns les autres, à travailler ensemble pour le bien de l'humanité et à s'entraider à répondre à l'appel de Dieu. Dialogue et proclamation ne doivent pas s'opposer. Le dialogue lui-même contient un élément de proclamation dans la mesure où il inclut le témoignage de sa propre foi, alors que la proclamation ne doit jamais être une imposition de la vérité mais doit toujours être menée dans un esprit de dialogue. Les deux sont des activités de l'Église à poursuivre en obéissance aux impulsions de l'Esprit saint.

Ceci nous amène à une deuxième observation, l'importance de l'Esprit. Il était déjà mentionné dans la citation donnée plus haut de Redemptoris missio. Le passage poursuit ainsi:
"Grâce au dialogue, l'Église entend découvrir les "semences du Verbe" (AG 11-15), les "rayons de la vérité qui illumine tous les hommes" (NA 2), semences et rayons qui se trouvent dans les personnes et dans les traditions religieuses de l'humanité. Le dialogue est fondé sur l'espérance et la charité, et il portera des fruits dans l'Esprit. Les autres religions constituent un défi positif pour l'Église d'aujourd'hui; en effet, elles l'incitent à découvrir et à reconnaître les signes de la présence du Christ et de l'action de l'Esprit, et aussi à approfondir son identité et à témoigner de la Révélation dont elle est dépositaire pour le bien de tous."

Dans la section précédente de l'encyclique, s'appuyant sur un enseignement déjà donné dans Dominum et vivificantem, une lettre explicitement dédiée à l'Esprit saint, Jean-Paul II avait fait référence à l'action universelle de l'Esprit qui affecte "non seulement les individus mais aussi la société et l'histoire, les peuples, les cultures et les religions". C'était cette confiance dans le travail de l'Esprit, disait-il, qui l'avait guidé dans ses rencontres avec un large éventail de gens. C'est ainsi qu'il fut amené à réaffirmer une conviction qu'il avait exprimée à l'occasion de la journée de prière pour la paix à Assise: "prière authentique est inspirée par l'Esprit qui est mystérieusement présent dans chaque cœur humain."


Mgr Michael Fitzgerald donnant une conférence lors d'un symposium sur le dialogue interreligieux et la mission au Providence College de Washington D.C. Assis à la table : le Dr. Sandra Keating, professeur de théologie, et le Cardinal Avery Dulles S.J.

Pour Jean-Paul II, le concile Vatican II était une préparation providentielle au troisième millénaire. Dans sa lettre, Tertio millennio adveniente, invitant l'Église à se préparer au grand Jubilé qui allait lancer le millénaire, il réfléchit sur la redécouverte par l'Église de sa propre identité et sur l'appel à la conversion et au renouveau que cela implique : "Dans le cadre de ce profond renouveau, le Concile s'est ouvert aux chrétiens des autres Confessions, aux membres des autres religions, à tous les hommes de notre temps." En préparation au Jubilé, le pape invite l'Église à s'engager dans une réflexion de trois ans, se concentrant chaque année sur une des personnes de la sainte Trinité. La dernière année était dédiée au Père. Le pape y voit un moment approprié pour réfléchir à l'unité de la famille humaine, en dépit de toutes ses divisions, y compris celles de nature religieuse. Il encourage donc le dialogue interreligieux, affirmant que "dans ce dialogue les Juifs et les Musulmans devraient avoir une place de choix".

Jean-Paul II fut capable, au moins partiellement, de réaliser le désir de son propre pèlerinage jubilaire aux endroits significatifs de l'histoire du salut. Quoique les circonstances ne lui permirent pas d'en faire la partie abrahamique qui l'aurait amené à Ur dans le sud de l'Irak. On se contenta de commémorer Abraham par une célébration au Vatican à laquelle furent invités des Juifs et des musulmans. Le pape réussit à suivre les traces de Moïse en Égypte et à se rendre en Terre sainte. Il n'y eut pas de rencontre interreligieuse sur le mont Sinaï, comme on l'avait espéré, mais le pape eut une rencontre très significative et particulièrement chaleureuse avec les leaders musulmans à al-Azhar, au Caire. A Jérusalem, où demeure encore vivant chez les Juifs le symbole du pape déposant sa propre prière au Mur occidental , se tint une rencontre de Juifs, de chrétiens et de musulmans. Certains tensions sont cependant apparues sur les revendications de la ville sainte. Il y eut également des rencontres séparées entre les leaders juifs et musulmans. L'année suivante, le pèlerinage sur les traces de saint Paul amena le pape en Grèce et ensuite à Damas avec la fameuse rencontre à la mosquée d'Omayyad.

Le souci de Jean-Paul II ne se limitait cependant pas aux seules soi-disant grandes religions du monde. Il a manifesté son intérêt et son respect pour les religions traditionnelles africaines. S'adressant, par exemple, aux représentants du vaudou à Cotonou, au Bénin, en février 1993, il salue leur attachement aux valeurs de la tradition tout en référant également à la nouveauté de l'Évangile. Il vaut la peine de le citer au complet:
"Vous êtes fortement attachés aux traditions que vous ont léguées vos ancêtres. Il est légitime d'être reconnaissant envers des aînés qui ont transmis le sens du sacré, la croyance en un Dieu unique et bon, le goût de la célébration, l'estime pour la vie morale et l'harmonie dans la société. Vos frères chrétiens apprécient, comme vous, tout ce qui est beau dans ces traditions, car ils sont, comme vous, des fils du Bénin. Mais ils sont également reconnaissants à leurs 'ancêtres dans la foi', depuis les Apôtres jusqu'aux missionnaires, de leur avoir apporté l'Évangile. Ces missionnaires leur ont fait connaître la Bonne Nouvelle que Dieu est Père et s'est rendu proche des hommes par son Fils, Jésus-Christ, porteur d'un joyeux message de libération."

Il est aussi nécessaire de mentionner combien l'action de Jean-Paul II en faveur de la paix l'a rendu sympathique à plusieurs, aux musulmans en particulier. Il a condamné la première guerre du Golfe. Il s'opposa aux sanctions contre l'Irak et la Libye. Il n'a jamais cessé de parler en faveur du Liban qu'il a appelé 'un message' pour l'humanité et déjà, en 1989, dans un geste inhabituel, il adresse, à ce sujet, une lettre à tous les musulmans. Écrivant à la fois à Netanyahu et à Arafat, il les appelle à mettre un terme au conflit israélo-palestinien. Il essaye d'empêcher l'invasion de l'Irak, envoyant des cardinaux pour plaider après de Saddam Hussein et de George Bush. C'est sûrement cette action qui a amené tant de leaders musulmans à assister à ses funérailles et encore davantage à faire parvenir des messages de condoléances.

Étant donné l'état actuel du monde, marqué par la pluralité religieuse, on peut s'attendre, quel que soit celui qui sera élu pour succéder à Jean-Paul II, que les relations interreligieuses demeureront importantes. Laissez-moi conclure en citant quelques mots de Jean-Paul II, prononcés en novembre 1992. A la fin de son adresse aux membres de l'assemblée plénière du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, il concluait:

"Enfin, je vous exprime ma gratitude, à vous tous qui partagez généreusement mon service apostolique dans le monde à travers ce Conseil pontifical. Votre oeuvre contribue à l'accomplissement de ce que j'ai toujours considéré comme une partie très importante de mon ministère: la promotion de relations plus amicales avec les croyants d'autres traditions religieuses."



+ Michael L. Fitzgerald, M. Afr.,

Président du Conseil pontifical
pour le dialogue interreligieux
Assistant Général 1980-1986
Rome

 



Prière de Jean Paul II
à Casablanca, le 19 août 1985,
au stade où le roi Hassan II l'avait présenté à 80.000 jeunes Marocains

Dieu,
Tu es notre Créateur.
Tu es bon et Ta Miséricorde est sans limites.
À toi la Louange de toute créature.

Dieu,
Tu as donné aux hommes que nous sommes
une loi intérieure dont nous devons vivre.
Faire Ta volonté,
c'est accomplir notre tâche.
Suivre Tes voies,
c'est connaître la Paix de l'âme.
À Toi nous offrons notre obéissance.
Guide-nous en toutes les démarches
que nous entreprendrons sur la terre.
Affranchis-nous des penchants mauvais
qui détournent notre cœur de Ta volonté.
Ne permets pas qu'en invoquant Ton Nom,
nous venions à justifier les désordres humains.

O Dieu,
Tu es l'Unique.
A Toi va notre adoration.
Ne permets pas que nous nous éloignions de Toi.

Dieu,
juge de tous les hommes,
aide-nous à faire partie de Tes élus au dernier jour.
Dieu, auteur de la Justice et de la Paix,
accorde-nous la Joie véritable
et l'amour authentique,
ainsi qu'une fraternité durable entre les peuples.
Comble-nous de Tes dons à tout jamais.

Amen !


Pour le récit de la rencontre de Casablanca, voir Ce jour là Jean Paul II par Joseph Vandrisse,
Éditions du Cerf, 2003.