Témoignages

Jean-Claude Baratte, 50 ans de serment

Conscientiser la personne


Jean-Claude Baratte,
préside les jubilés de Mours


Serment en 56, ordination à Heverlee en 57, arrivé en Ituri en octobre 57, j’ai été nommé provisoirement au petit séminaire, alors à Bambumines. Six mois plus tard, le petit séminaire a déménagé à Fataki. Au cours de cette première année, en janvier 58, nous avons eu une inspection par un jésuite envoyé par la conférence épiscopale pour vérifier le niveau de l’enseignement dans les petits séminaires. J’ai été inspecté pendant un cours de latin en 4e. Comme le latin n’était pas mon fort, au moment du sous-diaconat, je m’étais acheté un bréviaire latin-français et je me souviens que, quand l’inspecteur est entré dans la classe, je lisais phrase par phrase la “lectio brevis” de la fête de saint Martin (c’était la fête d’un de mes élèves). Et je faisais traduire par les élèves. Facile, avec la traduction en face du texte latin ! ça m’a valu une très bonne note de la part de l’inspecteur, car j’enseignais le latin comme une langue vivante ! Deux confrères de la communauté n’ont pas eu le même bonheur et ont été déclarés inaptes à l’enseignement. C’est sans doute à cause de ça que le provisoire a duré 22 ans ! !

II y a eu, en 1958, et plus tard encore, en 1968 et en 1978, un recensement de la population. Les conclusions de ces recensements étaient les mêmes : doublement de la population tous les 20 ans. ça m’a fait réfléchir, car si la population augmente, les surfaces cultivées n’augmentent pas, et je le voyais. En effet, étant économe, j’achetais les patates douces pour la nourriture des élèves, et, au fil des ans, j’ai vu la taille de ces patates diminuer régulièrement. En 20 ans, les plus grosses passaient de 500 g à 200 g maximum. La conséquence de ce phénomène est que les gens cultivaient des surfaces de plus en plus grandes pour avoir suffisamment à manger : la terre s’appauvrissait de plus en plus. Il y avait belle lurette que la jachère avait disparu.


À cette époque-là, je m’intéressais beaucoup aux méthodes de conscientisation de Paulo Freire. Je me suis rendu compte que le développement passe par la conscientisation. C’est vrai aussi pour le développement de la personne. Je me souviens d’un élève de 5e ; à plusieurs reprises, je l’avais surpris en train de bavarder avec son voisin, mais lui ne se rendait pas compte qu’il bavardait constamment pendant l’étude. Je lui ai demandé de faire un petit signe au bas de son journal de classe chaque fois qu’il se rendrait compte qu’il parlait pendant l’étude et de revenir me voir 15 jours plus tard. Il avait fait deux petits signes. Je lui ai demandé de continuer encore et, 15 jours plus tard, il avait 7 ou 8 signes. Je lui ai alors fait remarquer qu’il parlait de plus en plus souvent pendant l’étude ; il m’a dit : Maintenant je me rends compte que je parle beaucoup pendant l’étude !

Au bout de 22 ans au petit séminaire, j’ai demandé à l’évêque d’être libéré et d’être nommé responsable diocésain pour le développement ; le poste était libre, car le responsable était malade en Belgique. Alors, avec les animateurs diocésains et le P. Moyersoen, nous avons organisé une session pour inciter les gens à changer leurs méthodes de culture. Toute la session était basée sur le voir, juger, agir. Où sont vos champs ? autour de la maison et sur la colline. Où est-ce que ça produit le plus ? Pourquoi ? Et vos champs sur la colline. est-ce qu’ils produisent toujours autant qu’autrefois ? Pourquoi ? Un peu à la fois, ils se sont rendu compte que la terre produit mieux quand on lui donne ce dont elle a besoin, et que, pour eux, le plus simple était d’enfouir dans la terre de l’engrais vert qui ne leur coûtait que le travail de le couper et de l’enfouir (l’engrais chimique coûte assez cher et il faut savoir quelle quantité mettre et en cas de fortes pluies, on perd tout). Après cette session, les gens étaient contents, car dans les années suivantes, ils ont vu la production de leurs cultures augmenter un peu.

Personnellement, je me rends compte que mon évolution spirituelle est aussi fonction de la conscience que j’en ai. Je pense aussi que notre vie de communauté dépend de la conscience que nous avons de vivre quelque chose de commun ensemble, mais ce n’est pas facile d’échanger et de pren-dre conscience ensemble.

Jean Claude Baratte