Missionnaires d'Afrique
France
Jacques Crépin, Mours, 50 ans de serment
Sur les Pas
de Moïse
Il y a 80 ans, le 16 juin 1931, deux jumeaux naissaient dans la famille Crépin, à Bierne, près de Bergues. Ce nétait pas rien pour des parents qui, non seulement ne sy attendaient pas, mais avaient déjà trois enfants et dont laînée navait que quatre ans. Comme les deux jeunes frères de la maman, née Libbvecht, étaient jumeaux eux aussi et se nommaient Jacques et Paul, on donna tout naturellement aux nouveau-nés les prénoms de leurs deux oncles. Et puisque loncle Jacques était Père Blanc et loncle Paul prêtre diocésain, spontanément et librement leurs neveux eurent le désir de marcher sur leurs traces.
« Et Çà, çà veut devenir prêtre ! »
« Et Çà, çà veut devenir prêtre ! » Que de fois navons-nous pas entendu cette réflexion de notre maman. « CÂ », cétait deux enfants bruyants, peu brillants à lécole et déjà passionnés de dessins, de chant et de cérémonies liturgiques... Cest plus tard, en novembre 1942, alors quils étaient à Viry-Chatillon chez les prêtres du Sacré-Cur, quils tombèrent en même temps dans la marmite du théâtre, fascinés par les comédiens du Palais de Chaillot. Et « CÂ » continuait de vouloir devenir prêtres.
Une autre date importante fut celle de mon entrée chez les Pères Blancs à St Laurent-dOlt, en I946. Le jeune ado que jétais posait quelques problèmes à ses professeurs : dun côté il était peu doué pour les maths et les langues étrangères, de lautre ce « comédien » connaissait déjà par cur des milliers de vers français. Je noublierai jamais les paroles daccueil du Supérieur de la maison qui connaissait mes difficultés : « Jaccepte que vous soyez premier dans certaines matières et dernier dans dautres » Ce jour-là, éclairé par lEsprit-Saint, il ma accueilli comme jétais. Je nai pas manqué de le remercier par la suite.
Toutes mes années passées à St. Laurent dOlt, Alkircht, Bonnelles, Kerlois, Maison Carrée, Thibar et Carthage nayant pas fait de moi un spécialiste des langues étrangères, javoue que cest avec hésitation que jai accepté de mengager dans la Société des Pères Blancs, bien conscient que prononcer mon serment cétait, par le fait même, accepter dapprendre une langue étrangère. Je men faisais une montagne. Comme Moïse devant le buisson ardent t
Je disais au Seigneur : « Envoie qui tu veux ! » Jétais tenté de rejoindre mes deux frères dans le clergé diocésain de Lille. Cest alors que jai exprimé ce que je vivais en composant une pièce sur Moïse. Heureusement ! Yahweh ma parlé à travers tous ceux qui, me connaissant, mont persuadé que jétais capable de franchir cette colline que je prenais pour une montagne : dapprendre une langue étrangère et donc de partir non pas en Terre Promise mais en Afrique.
Au diocèse de Ouahigouya
Bien men a pris. Une bonne année plus tard après mon ordination à Bonnelles, le 29 juin 1962, et mon stage à Mours, je me suis embarqué à Marseille, en décembre 1962, et jai vécu un Noël chaud et humide à Abidjan. Je remonte jusquen Haute-Volta, commence un stage de langue Moré à Guilongou, près de Ouagadougou. Suite à quoi, je rejoins le diocèse de Ouahigouya où jétais nommé.
Cinquante ans ont passé. Me voici en France depuis une bonne dizaine dannées. Vivant à Mours, jai dabord succédé au Père Rabin comme curé de Mours et de Nointel avant dêtre nommé vicaire à LIsle-Adam, à six kilomètres de Mours. Quand je regarde en arrière, je ne peux pas ne pas comparer ce que je vis en France avec ce que jai vécu, pendant trente ans, au Burkina Faso et rendre grâce au Seigneur pour toutes ces années vécues dans le diocèse de Ouahigouya.
Je ne veux pas métendre sur mes activités théâtrales qui ont aidé collégiens et séminaristes à réfléchir sur les problèmes du monde et les leurs avec laide de quelques pièces de Corneille, Racine et Molière et aussi quelques fables de La Fontaine. Notre spectacle sur les martyrs de lOuganda préparé pendant un an dans un climat de prière par les élèves de lécole des catéchistes de Baam a été présenté une dizaine de fois dans le pays. Je pourrais ajouter ma pièce de Moïse, lAnnonce faite à Marie et lévangile de Jean.
Célébrer les valeurs de la famille chrétienne
Mais je préfère insister sur la vie et le travail communautaire vécus dans toutes les paroisses. Je nai pas toujours trouvé une telle communion dans le clergé de France. Cest,grâce à cette entraide que les chrétiens du diocèse ont pu pendant un an prendre conscience des valeurs de la famille africaine, les comparer aux valeurs de la famille chrétienne et finalement à la suite dun pèlerinage par étapes de plus de cent kilomètres (Il sera suivi de beaucoup dautres) célébrer ces valeurs en chantant dans leur langue :
Soaala, d da zoé n tara me...
Seigneur, nous avions la foi de nos ancêtres
Toi, tu tes levé et tu es sorti de la maison de ton Père
Pour faire grandir notre foi.
Nous sommes un peuple
qui grandit et qui va de lavant.
Mes dons de dessinateur et de metteur en scène ajoutés à ceux de nos compositeurs et chanteurs et danseurs ont permis ce jour-là à des milliers de chrétiens et catéchumènes de louer le Seigneur pendant plus de trois heures. Et cest à la suite de cette célébration que nous avons décidé de composer une nouvelle catéchèse qui suivrait le même parcours : Dieu a parlé à nos ancêtres, Jésus est venu parfaire notre foi ancestrale. Ce fut loccasion pour moi dun merveilleux travail fraternel avec les premiers prêtres de notre diocèse en même temps quun moyen privilégié de progresser dans la connaissance de la langue et des coutumes.
Je sens moins en France ce désir davancer, de créer, dadapter la Bonne Nouvelle à notre monde occidental en pleine évolution. Si certains prêtres commencent à bouger, dautres, hélas, regardent en arrière en regrettant le passé. Si la terre dans laquelle nous semons ici est souvent sèche et peu accueillante, lÉglise dans ses responsables est-elle suffisamment capable de créer de nouvelles semences. ?
Évidemment, comme tous mes confrères, jai connu des échecs, des incompréhensions. Les dons que jai reçus ou plutôt lusage que jen ai fait ont dû parfois agacer certains de mes confrères. On ne sort pas sans blessures de cinquante années dapostolat. Suis-je parfois tombé dans lactivisme comme le Moïse de ma pièce de théâtre inspiré du livre de lExode (Ex. 18,13-27) ? Je suis conscient davoir été bien aidé et surtout den avoir senti le besoin.
Nous vivions avec les prêtres diocésains une vie aussi fraternelle quavec nos confrères pères blancs et les régionaux de Ouaga venaient nous aider à résoudre les difficultés que nous pouvions parfois rencontrer avec nos évêques Jajoute ici limmense chance que nous avons eue davoir comme évêque durant plusieurs années Marius Ouédraogo, un véritable frère dont la mort brutale fut pour nous tous une rude épreuve.
En conclusion, devant les difficultés que rencontrent ici aujourdhui prêtres et laïcs, je me dis que jai été et demeure un privilégié et jen rends grâce au Seigneur à loccasion de mes 80 ans et de cette année jubilaire. Le Moïse de ma pièce comme celui de la Bible finit par devenir un contemplatif qui cause avec Dieu comme un homme cause avec un ami. Sans cesser pour autant mes activités, tant quelles demeurent possibles, y compris parfois un peu de théâtre, puissè-je moi aussi, donner du temps à la contemplation, sans attendre dentrer en Terre Promise.
Jacques Crépin