Le Cardinal Charles-Martial Lavigerie 1825-1892
7. Afrique Centrale

Missionnaires de la 4ème Caravane 1883

Si l'intérieur de l'Afrique semble difficilement accessible à travers le Sahara, d'autres voiess'ouvrent ailleurs. Depuis le début du siècle, des explorateurs européens le pénètrent de divers côtés, et des sociétés de géographie se créent pour stimuler ce mouvement. Pour faciliter entre eux une certaine coordination (du moins est ce le but avoué à l'époque), le roi des Belges Léopold II réunit en 1876 dans son palais de Bruxelles un certain nombre de spécialistes. Le Saint-Siège consulte alors plusieurs chefs de mission sur ces opportunités nouvelles de faire parvenir l'Evangile dans de vastes contrées qui ne l'ont pas encore reçu. Lavigerie répond par un long "Mémoire secret" faisant le point de la situation et offrant des missionnaires immédiatement disponibles.


En février 1878, quinze jours après l'avènement de Léon XIII, il reçoit la charge des missions à établir en Afrique centrale, une zone , débordant le Congo R.D.C.actuel. Durant sa vie, douze " caravanes " de Pères Blancs , s'y rendront pour former deux groupes de mission: l'un autour du lac Victoria et spécialement au Buganda, l'autre autour du lac Tanganyika. Le fondateur, après avoir rassemblé toute la documentation disponible sur l'Afrique centrale, les a pourvus de longues instructions. Ces textes recouvrent de nombreux domaines: vie spirituelle, apprentissage de la langue, apostolat, environnement social et politique, tenue d'un journal, critères de choix pour l'établissement des stations, soins de santé à prendre, etc. Ils forment, avec le "Mémoire secret"et les correspondances échangées par la suite, un vaste corpus dont on ne retiendra ici que quelques points plus importants.

Daniele Comboni/ fondateur des ComboniensLa pensée première s'inspire du principe de Daniele Comboni, chef de la mission dite d' "Afrique centrale" recouvrant l'actuel Soudan. Ce dernier, réfléchissant sur les lourds échecs subis par ses prédécesseurs, avait dégagé de nouvelles approches résumées dans la formule suivante: "régénération de l'Afrique par les Africains eux-mêmes".
Lavigerie l'adopte pleinement et va lui donner un développement original. Les Africains devenus chrétiens seront vraiment apôtres de leurs frères de race s'ils sont toujours considérés par ces derniers comme partie intégrante de leur milieu social. Aussi de vont-ils être formés en les maintenant dans leurs propres habitudes, s'il n'y a pas de contradiction avec l'esprit de l'Evangile. La christianisation n'inclut nullement en elle-même l'européanisation: elle ne doit pas conduire à former des "Européens à peau noire" (la formule est de Lavigerie) devenus finalement des étrangers aux yeux de leurs compatriotes. Dans un premier temps, ils resteront des laïcs, car l'état de célibat est objet de mépris dans leurs sociétés, et l'on ne peut encore prévoir la formation d'un clergé. Pour avoir un certain rayonnement dans le témoignage de leur foi, ils pratiqueront une activité porteuse d'influence: la meilleure s'avère la médecine, car tout individu, quelque soit son rang social, se trouve aux prises avec la souffrance et fait appel à ceux qui peuvent le guérir. Cette profession, on s'en souvient, était prévue pour des orphelins recueillis en Algérie. On la retrouve de nouveau ici.

Les missionnaires envoyés en Afrique centrale reçurent donc pour instructions de déceler des jeunes susceptibles de devenir, selon la formule employée, des "médecins-catéchistes". L'archevêché d'Alger abritait déjà des enfants, anciens esclaves rachetés par les premiers Pères Blancs du Sahara dans les oasis où la traite se poursuivait encore. Lavigerie les envoya à Malte où vinrent les rejoindre des adolescents venus de l 'Equateur. Ce lieu fut choisi pour deux raisons: un climat supportable par des Africains et la présence d'une Faculté catholique de médecine. Après leur scolarité, les jeunes gens devaient y entrer pour trois ans, complétés par une année de stage dans un hôpital d'Afrique du Nord. Durant la vie de Lavigerie, neuf d'entre eux parcoururent effectivement ce cursus et partirent pour l'Afrique centrale. Bien peu de gens, à cette époque, pensaient les Noirs capables de suivre des cours d'Université!


Première année de l'école de Malte (1881)

 LivingstoneStanleySi l'évangélisation en profondeur de l'Afrique doit s'opérer par les Africains eux-mêmes, le premier déclenchement revient toutefois aux missionnaires. En leur donnant ses directives pour leur apostolat, Lavigerie ne prévoit plus de perspectives à très long terme comme en milieu musulman. Cependant il tient toujours grand compte de la lente évolution des esprits et du délai nécessaire pour l'enracinement de la foi. S'inspirant de ses connaissances des premiers siècles de l'histoire de l'Eglise, il remet en vigueur la pratique alors suivie du catéchuménat. La persévérance des néophytes dans des régions où l'Evangile n'a jamais pénétré lui paraît aussi difficile que dans le milieu hostile de l'empire romain. Pour les mêmes raisons, s'impose une sérieuse préparation au baptême, s'échelonnant sur plusieurs étapes. D'abord un postulat constitué par l'enseignement sur l'existence de Dieu et la morale naturelle: à ce stade, le candidat ne participe à aucune assemblée proprement liturgique. Ensuite un catéchuménat initiant aux mystères chrétiens et introduisant à la liturgie de la Parole, mais elle seule à l'exclusion de l'Eucharistie. Un scrutin détermine finalement l'admission au baptême. Le parcours doit s'effectuer sur une période minimum de quatre ans.

Une formation aussi approfondie n'exclut pas pour autant tous les risques de chute et d'abandon. Aussi, tout en renouvelant ses mises en garde contre le découragement, le fondateur incite surtout les missionnaires à la compréhension. Etant professeur en Sorbonne, il avait donné un cours sur le jansénisme, cette attitude de rigueur qui altérait singulièrement le message évangélique. Une telle attitude doit être bannie, et l'avertissement se fait particulièrement vigoureux

" Je recommande aux missionnaires de redouter comme la peste les préjugés du jansénisme qui existent encore, sans qu'il en ait conscience, dans notre clergé français. Ces préjugés ont détruit la religion catholique en France, au moins pour le plus grand nombre des hommes, en leur imposant un fardeau trop lourd pour la faiblesse commune. Ils l'empêcheraient non moins sûrement de s'établir en Afrique ".


Vue d'Ujiji, sur le lac Tanganyika en 1876 (Gravure de Stanley)

L'ancien professeur se révèle sur un autre plan avec le souci de faire connaître les retombées scientifiques de la présence des missionnaires dans ces régions. Il leur prescrit la tenue régulière d'un journal où seront consignés, outre les événements, toutes les informations recueillies sur l'histoire, la géographie, les coutumes, etc., bref tous les éléments susceptibles "de rendre des services véritables au monde savant, dans des contrées aussi peu connues que celles de l'Afrique Equatoriale. "

Comme à Nancy et en Afrique du Nord, Lavigerie veut que l'Eglise soit partie prenante dans les progrès réalisés par le monde de son époque.


Photo de La Maison Mère des Missionnaires d'Afrique - dite Maison-Carrée à Alger

Une telle œuvre devait s'accomplir au milieu de difficultés de toutes sortes que l'on a beaucoup de peine à imaginer aujourd'hui. Néanmoins elle se poursuivit. Le contexte géographique et humain en rendirent les résultats variables d'une région à l'autre. Autour du lac Tanganyika, dans une zone bouleversée par la traite des esclaves, comme nous le verrons bientôt, ils furent au début assez maigres. Les missionnaires durent se contenter, dans la mesure de leurs moyens, d'offrir un refuge à des populations menacées sans qu'ils puissent eux-mêmes rayonner hors de leurs établissements. Les noyaux de chrétienté se formaient essentiellement d'individus obtenus par rachat, mais sans démarche personnelle de leur part. Au Buganda par contre, Etat solidement structuré, se constitua rapidement une communauté solide. Elle le demeura tout au cours des années fort agitées que connut ce pays à la veille de l'époque coloniale.
Les chrétiens, aussi bien catholiques que protestants, manifestèrent une détermination qui se révéla au cours d'une période tragique. En 1886 soixante-quatre d'entre eux, dont trente sept catholiques, mis en demeure de renier leur foi, s'y refusèrent et subirent le martyre. L'Eglise prenait vraiment racine en Afrique centrale


Martyrs de l'Uganda 1886

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