Voix d'Afrique N°63..Juin 2004

DE LA BOURGOGNE
AU SOUDAN

Le Père Hubert Barbier est bien connu de tous ceux qui, de près ou de loin, s'intéressent à la situation au Soudan. Son cheminement vaut d'être connu. Nous l'avons rencontré, et il nous a raconté.

Les Coteaux de Bourgogne

Il fait bon vivre à Nuits Saint Georges ! Le soleil sur les coteaux, le vin généreux, les chais fleurant bon le bois de chêne, tout cela favorise à la fois l'ardeur au travail, la compétition des vignerons et la joie de l'amitié. Hubert est le deuxième enfant d'une famille de six. Son père a été un des fondateurs de la Confrérie des Tastevins. Au collège, en Bourgogne, il abandonne vite le latin pour les maths : c'est plus concret. Il termine ses études avec le bac. Ses parents ne sont pas surpris lorsqu'en sortant de l'église où ils avaient célébré l'anniversaire de leur mariage, il leur déclare : "J'ai l'intention de devenir missionnaire, en Afrique." "C'est le plus beau cadeau que tu puisses nous faire !" répondent?ils.

Formation missionnaire

Hubert a vingt deux ans ; la guerre est à peine terminée. Kerlois, le séminaire de philosophie, accueille une bonne centaine d'étudiants venant de toute la France. Après cinq ans de souffrances et de combats, c'est enfin la paix. Ils ont l'Afrique pour idéal et l'Evangile pour unique motivation.

Après deux ans à Kerlois, Hubert traverse la Méditerranée pour le noviciat à Maison Carrée, puis, après le service militaire en Afrique du Nord et en France, il commence les quatre ans de théologie à Thibar, dans le djebel tunisien. Le climat y est rude : en été, c'est parfois le sirocco qui souffle du Sahara ; l'hiver est souvent enneigé. Les scolastiques, ils sont une centaine, prennent en main leur vie commune ; chacun, selon ses capacités, met la main à la pâte. Ils suggèrent des initiatives, entreprennent des améliorations dans la grande maison, manient truelle et pioche pour se détendre des longues heures d'études. Hubert, pour ses activités manuelles, travaille à la forge et au service de l'eau, entreprend le chauffage des douches ; ce n'est pas un luxe. Une bonne douche chaude serait bienvenue, ne serait?ce qu'une fois par semaine, après la partie de football ou de volley?ball ou la culture du verger. C'est là peut?être qu'il apprend à gérer un budget dont il trouve une partie du financement,. Il a les pieds sur terre et n'a pas peur de se salir les mains. Cet esprit pratique l'accompagnera tout au long de son aventure missionnaire.

Première étape en Afrique de l'Ouest

Il est ordonné prêtre à Carthage le jour de Pâques 1953. Et lorsque arrive sa nomination, proclamée à toute la communauté rassemblée dans la chapelle, du haut des marches de l'autel, par le Père Supérieur, il s'effondre presque : "Père Hubert Barbier, économe au Moyen Séminaire de Nasso, en Haute Volta !" Econome ! Les constructions, les finances, la nourriture et l'entretien d'un internat, alors qu'il rêvait de brousse, d'évangélisation, de tournées dans les villages à moto ou à bicyclette. Qu'importe, c'est l'Afrique !

Pendant quatre ans au nouveau séminaire de Nasso, en Haute Volta (aujourd'hui Burkina Faso) il organise constructions et cultures ; il est l'intendant du séminaire et doit prévoir chaque jour la nourriture de 180 jeunes étudiants et trouve encore le temps de donner des classes de maths et de sciences. Mais il garde le désir de l'évangélisation et du contact direct avec les villageois, et obtient une nomination "en brousse", à Sikasso au Mali.

Enfin il est plongé dans la vie africaine. Il passe de longues heures avec les forgerons pour apprendre la langue senoufo. Il écrit, prend des notes de vocabulaire, proverbes et dictons et commence même un dictionnaire. Mais les gestionnaires sont rares chez les missionnaires et c'est à lui que l'évêque de Sikasso fait appel pour lui confier la gestion financière de son diocèse. Il rentre en France pour un congé, dans la perspective de retourner à Sikasso pour poursuivre sa formation en sénoufo et faire du ministère.

Mais il ne retournera pas en brousse ; on lui demande d'aller à Bamako, la capitale de l'ancien Soudan (aujourd'hui Mali) et d'assurer la gestion financière et le développement de l'archidiocèse. La charge est lourde, car il s'agit de gérer tout l'argent que les soldats africains en service en France mettent en dépôt chez les missionnaires, depuis leurs campements, pour être sûrs de le retrouver quand ils reviendront chez eux.

Aux premières années de l'indépendance, le jeune Mali est en plein développement ; l'archidiocèse de Bamako, la capitale, a un urgent besoin de lycées, collèges, dispensaires ; églises et paroisses surgissent après les années de guerre. Hubert met sur pied une usine de préfabriqués et de charpentes métalliques. Avec deux frères, il gère une véritable entreprise : 350 ouvriers, maçons, charpentiers, soudeurs et couvreurs s'activent sur les chantiers, aux quatre coins de l'immense territoire. Chaque franc reçu de métropole doit être utilisé au mieux pour créer les structures d'une jeune église dans un pays très pauvre, assurer la comptabilité et une saine gestion financière.

Vers les plus pauvres


Aide humanitaire au Soudan

Hubert ne se laisse pas accaparer par les tâches présentes ; aumônier du centre hospitalier dans la banlieue de Bamako, il garde les yeux et le cœur ouverts vers les plus pauvres, les lépreux en particulier, obligés de mendier, tenus à distance, souffrant de leur infirmité mais surtout de leur sentiment d'être inutiles, comme des parasites à peine tolérés. "J'étais malade, et vous m'avez soignéY " Il y a bien un Institut de recherche et de soin pour les lépreux mais il faut essayer d'aller plus loin. "C'est bien de guérir ou plutôt de stabiliser la lèpre, mais il faudrait que les lépreux retrouvent une place dans la société", lui dit le médecin général, membre, avec Hubert, du Lion's Club. " D'accord ! Créons un village pour la réhabilitation sociale des lépreux." Et c'est ainsi que démarre le village de Samanko ; ils y vivent en famille, apprennent la culture attelée et différents artisanats. Au bout de trois ans, ils sont prêts à retourner chez eux, avec quelques matériels agricoles ; ils mènent de nouveau une vie autonome dans leurs villages. Hubert sensibilise le Lion's Club local pour financer cette œuvre, puis, de fil en aiguille, les instances régionales et mondiales de cette organisation humanitaire ; cela demande mille correspondances et rapports, visites et conférences, en Afrique et jusqu'à Mexico pour un congrès mondial.

Pendant seize ans au Mali, à travers des rencontres aussi bien avec les plus pauvres qu'avec les dirigeants européens ou américains, Hubert poursuit un seul but : partager et faire partager la vie, les souffrances, les épreuves et les espoirs des Africains ; la priorité de la mission, ce pour quoi il est venu sur les rives du Niger, c'est l'attention aux plus pauvres. Ainsi le Concile du Vatican II n'est pas une découverte, son enseignement vient le conforter dans sa pratique quotidienne depuis des années.

L' autre Soudan


La cathédrale de Khartoum

Et lorsqu'il y a une urgence ailleurs, c'est à Hubert qu'on pense.
L'ancien Soudan Anglo-Egyptien devient indépendant en 1956 ; une longue guerre éclate, dix sept ans de souffrances, 800 000 morts. Lorsque la paix est signée entre le Nord et le Sud, l'urgence est pour le développement et la reconstruction du Sud.

A Wau, le jeune évêque Soudanais Gabriel Zubeir Wako reçoit Hubert pour participer à cette tâche. Ce dernier s'y est préparé par un séjour outre-Manche pour remettre à jour sa connaissance de l'Anglais. Il arrive à Khartoum, puis à Wau, et se met à l'œuvre. Parmi de nombreuses organisations internationales, l'Eglise allemande propose la construction d'un institut polyvalent médical, pour former infirmiers et infirmières, agents de santé publique, sages?femmes : construire à 2000 km du port le plus proche vingt bâtiments à étages, les meubler, les équiper complètement, pour recevoir 180 étudiants soudanais, telle est la tâche confiée à Hubert ; il faut également organiser des séminaires pour définir les programmes avec le ministère de la santé et l'OMS.
Le pays appartient à deux mondes : le Nord est arabe, et musulman. Le Sud est négro?africain, animiste et christianisé ; ils forment 58 % de la population. Après des années de tensions et de conflits, une relative tranquillité règne sur les bords du Nil.

Hubert se lie d'amitié avec son jeune évêque et partage son souci des plus pauvres. Un collège d'infirmiers et infirmières, d'agents de service d'hygiène, est ouvert pour former 180 étudiants et étudiantes. Trouver des partenaires pour financer le projet, recruter des enseignants, acheter le matériel indispensable, lits et matelas, tables et chaises, livres et microscopes, partir de rien pour transformer la vie des Sud?Soudanais longtemps ignorés, c'est là le défi qui ne déplaît pas à Hubert. Le Soudan est un immense pays ? près de cinq fois la France ? ses besoins sont immenses. De Wau à Juba (capitale du Sud Soudan) et Khartoum, Hubert coordonne les activités de l'Eglise au service de l'éducation et de la santé, sollicite les aides extérieures, assure une saine gestion de ces fonds. Une équipe de religieuses indiennes arrive du Kérala, et prend en charge les cours des sages?femmes et la gestion matérielle du centre. Caritas International est l'agence catholique la plus active ; Hubert en est le délégué pour le Soudan. Pendant six ans, il parcourt des milliers de kilomètres, entre la Mer Rouge et l'Ouganda, sur l'équateur, pour évaluer des projets, collecter les fonds, assurer les budgets, surveiller les réalisations. Tel le gestionnaire de la Parabole des cinq talents, il en fait cinquante ou cinq cents pour que vivent les Soudanais et les Soudanaises.

Vigilance Soudan

Après neuf ans, Hubert revient à Paris, le Soudan attaché à ses semelles. Il s'occupe du "service de relations" des Pères Blancs et constate avec tristesse que la situation au Soudan est totalement ignorée par les dirigeants de l'économie française. La situation politique y est très agitée : révolutions, dictatures, révolte du Sud contre le Nord, famines et épidémies jalonnent l'histoire du Soudan. Il sillonne la France pour éveiller et informer, partager ses préoccupations missionnaires avec les évêques et leurs diocèses, mais aussi les autorités, les ministères, les assemblées. Il plaide auprès des instances internationales, jusqu'à la Commission des Droits de l'Homme à Genève.

Il est à l'aise aussi bien avec les ministres et les commissions parlementaires qu'avec les évêques et les petites communautés chrétiennes. Les Soudanais, ceux du Sud en particulier, souffrent cruellement ; les droits de l'homme y sont constamment bafoués, les pauvres souffrent, les enfants meurent et la communauté internationale reste indifférente. Il crée alors avec un ami le "Comité de Vigilance pour la défense des droits de l'homme au Soudan", organise colloques et conférences pour informer et dénoncer ; il va jusqu'à Genève où il est invité par la Commission des Nations Unies pour les Droits de l'Homme. Son intervention aboutit à la nomination d'un rapporteur spécial qui soumet un rapport chaque année, soumis à l'Assemblée Générale et à la Commission spéciale.


Le Cardinal Wako et le Père Hubert Barbier

Le bulletin "Vigilance Soudan" en est aujourd'hui à son 122ème numéro, envoyé à plus de qua?tre mille abonnés. Personne désormais ne peut ignorer ce qui se passe là bas. Les organisations chrétiennes sont mobilisées. Le gouvernement, en 1997, est interpellé par des députés et des sénateurs.

Hubert Barbier a aujourd'hui 78 ans. La retraite ? Il n'y pense pas. Son petit bureau au rez-de-chaussée de la rue Friant est encombré de livres et de dossiers, téléphone et ordinateurs. Chaque jour, il partage le pain et le vin de l'eucharistie avec les Franciscaines Missionnaires de Marie La flamme continue de brûler, jaillie doucement en lui, sur les coteaux de Bourgogne ; elle a jailli sur les rives du Niger et du Nil, du Mali au Soudan : rêve de Justice et de Paix, rêve d'Evangile pour les pauvres, les préférés de Dieu.

Voir site Eglise au Soudan

Voir aussi Vigilance soudan

Voix d'Afrique