Voix d'Afrique N°45 (1999)
ALGERIE

 

NOTRE-DAME D'AFRIQUE

Le Père Henri Maurier, 78 ans, est originaire d'Angers.
Après une longue carrière de professeur au Burkina Faso, à
Lumen Vitae (Bruxelles) et à l'Institut catholique de Paris,
il s'occupe de la bibliothèque africaniste des Pères Blancs, à Rome.
En 1996, on lui propose d'aller
à Notre Dame d'Afrique.
"Je n'y avais jamais pensé, j'ai pris çà comme un coup du Saint Esprit". Il a publié plusieurs ouvrages sur les religions africaines.

Quand on arrive par bateau dans la baie d'Alger, à l'extrême droite, se dresse un promontoire à 124 m au-dessus de la mer, la basilique Notre-Dame d'Afrique. Bien reconnaissable par son style "néo-byzantin", sa coupole métallisée et son campanile, ses murs ocres ornés de faïences bleues; elle est entourée d'une esplanade, où il fait bon se reposer, et se trouve adossée à la montagne de la Bouzaréah, presque entièrement bâtie maintenant, mais coiffée tout de même d'un bois de pins.

Un ministère d'accueil
Trois missionnaires d'Afrique, Paul Marioge, Etienne Desmarescaux, Henri Maurier, gardent le sanctuaire, avec une communauté de quatre Sœurs Franciscaines Missionnaires de Marie, dont l'une assure l'entretien et la décoration. Notre ministère n'est pas proprement paroissial, (ici les chrétiens sont rares), mais vise l'accueil des gens presque tous musulmans. Femmes, jeunes filles et grands-mères, parfois seules, parfois avec leurs enfants ou les maris, viennent prier Notre-Dame, principalement pour des affaires de femme. "Comment faut-il faire ?", demandent certaines. - "Marie est une maman, parlez-lui comme à une maman ; entre femmes on se comprend".


Trois missionnaires d'Afrique,
Paul Marioge, Etienne Desmarescaux, Henri Maurier


Un lieu de silence et de paix
Mais les hommes et les jeunes gens ne sont pas en reste. Certains veulent seulement voir un beau bâtiment et s'intéressent à son histoire et à son architecture. D'autres sont heureux de trouver là un lieu de silence et de paix. Des couples viennent pour se rencontrer. Étudiants et étudiantes viennent demander de la documentation: "Nous avons à faire un exposé sur l'éducation chrétienne", c'est un professeur de psychologie et d'éducation comparée qui le demande. Et puis, il y a les personnes affligées, de tout rang, qui cherchent à qui parler : "Il n'y a qu'à vous qu'on peut parler de ça" ! Enfin toutes sortes de questions sur la ou les religions, sur la foi chrétienne. "Je ne veux pas qu'on m'impose ma religion", m'a dit un jeune homme kabyle.

Beaucoup de questions

"Qui est Marie ? Est-elle enterrée ici ?" (car il y a en Algérie des pèlerinages à des "marabouts", saints hommes musulmans, enterrés sur place). "Qu'est-ce que la bible? Pourquoi quatre évangiles…?" - "Comment fait-on pour devenir chrétien" ? Les visiteurs regardent longuement les stations du chemin de croix ; aussi avons-nous le projet de décorer la nef de fresques évoquant les paraboles de Jésus (quelqu'un a même précisé "surtout n'oubliez pas l'épisode de la femme adultère !"). En attendant, depuis un an, on peut réfléchir devant huit fresques évoquant la vie de St Augustin, né à Thagaste et évêque à Hippone (Annaba). Augustin est l'algérien antique le plus célèbre en chrétienté; l'Algérie, en quête de ses racines, s'y intéresse. Une petite biographie est à la disposition des visiteurs, qui peuvent ainsi se faire une idée du travail d'un évêque. Ces fresques sont couronnées par une phrase d'Augustin "L'amour fraternel vient de Dieu et est Dieu même", en français, en arabe et en kabyle. Parole très forte dans le contexte difficile du pays, où l'on a tué au nom d'Allah.

En moyenne 65 visiteurs par jour
Voilà donc l'essentiel de notre tâche. Chaque après-midi la basilique est ouverte au public. Soixante-cinq visiteurs en moyenne quotidienne cette année, contre une vingtaine les deux années précédentes. Mais ce n'est pas tout. La basilique (à bien distinguer de la cathédrale d'Alger) reste un lieu privilégié très intégré à la vie algéroise. C'est ainsi que notre évêque a rassemblé quelques 150 personnes pour une prière pour la paix en Afrique, au moment où l'OUA était en conférence à Alger, en juillet 1999.


Basilique de N-D d'Afrique à Alger;
à gauche : l'intérieur


Et d'autres occupations
Il y a en fait bien d'autres occupations à Notre-Dame d'Afrique. Paul Marioge, le curé responsable, s'occupe surtout de l'entretien et de l'économat. La basilique terminée en 1872, bien qu'en pierres de taille très solides, a besoin d'un entretien constant. Le presbytère aussi : c'est un ancien hôtel-restaurant centenaire qui arborait jadis l'enseigne de "Charmant Séjour". Pour le rester, il a besoin de quelques attentions ! Etienne Desmarescaux travaille à la nonciature, qui se trouve à côté de la basilique.

Naissance d'un pélerinage
Henri Maurier fait le jardin, tient l'orgue, et se livre à divers travaux d'histoire. Celle, notamment, d'Agarithe Berger, migrante italienne installée à Lyon, qui débarque à Alger en 1848 et sera la véritable instigatrice du pèlerinage. Celui-ci commença par une petite statue de la vierge mise au creux d'un arbre dans un ravin profond près du petit séminaire où elle était infirmière. Agarithe fit des pieds et des mains pour que l'évêque de l'époque, Monseigneur Pavy, fasse quelque chose de plus conve-nable: une chapelle, qui est toujours là, derrière la Basilique, et que nous appelons chapelle Saint Joseph. C'est cette petite "Notre-Dame d'Afrique", construite en 1857, qui vit l'éclosion des Pères Blancs et des Sœurs Blanches (Sœurs mission-naires de Notre Dame d'Afrique), et les premiers départs des caravanes missionnaires pour l'Ouganda et la Tanzanie. Agarithe y est inhumée, après y avoir passé dix-huit ans de sa vie à recueillir les oboles des pèlerins. Un des projets du P. Marioge est de faire de cette chapelle un mémorial illustré de nos débuts missionnaires.

Henri Maurier



La statue de Notre Dame d'Afrique a aussi toute une histoire. Habillée d'une robe opulente brodée dans le style de Tlemcen, la statue est en fait une œuvre en bronze, imitation d'une statue d'argent faite par Bouchardon ( 1698-1762), et détruite pendant la Révolution française. La position de la vierge, visage souriant incliné et mains tendues en accueil est typique de ce qui a été appelé la Vierge fidèle, modèle connu de Catherine Labouré et de Thérèse de Lisieux. C'est Monseigneur de Quélen, archevêque de Paris, qui fit faire la copie dont est issue la statue d'Alger, en exécution d'un vœu, préoccupé qu'il était de la conversion et du salut éternel du prince de Talleyrand (mai 1 838). La copie d'Alger a été offerte au premier évêque d'Alger, Monseigneur Dupuch, en 1 838 par un pensionnat des Dames du Sacré-Cœur, à la Ferrandière, près de Lyon. Les Algériens, pour qui Notre-Dame d'Afrique est "madame l'Afrique", ne se soucient point de cette histoire franco-française. S'ils demandent pourquoi elle est noire, on explique qu'elle est en bronze et s'ils questionnent sur le titre, je réponds : "Quand les Français chrétiens ont mis le pied en Algérie, ils avaient l'impression d'aborder sur tout un continent nouveau, et spontanément ils nommèrent ce sanctuaire Notre-Dame d'Afrique". L'Algérie phare de l'Afrique, pour qui pense relier l'immense continent à l'Occident chrétien, voilà une idée qui a enchanté bien des imaginations.