LE MISSIONNAIRE et SON COMPAGNON
Gérard Grimonpont
Comme Nicodème
" Odi ! " : c'est ainsi que le visiteur s'annonce avant d'entrer dans une maison. " Odi ! " Daniel Poulin, le missionnaire, est plongé dans son bréviaire, à la lumière d'une méchante lampe à pétrole ; la nuit est tombée depuis plus d'une heure, le repas frugal - boule de maïs et quelques haricots secs - est terminé. Normalement, ce n'est pas le moment des visites : les travaux sont terminés dans les villages, les familles veillent autour d'un feu de bois avant d'aller se coucher ; le missionnaire se prépare à en faire autant.
" Qui est là ?" demande-t-il ? " C'est moi, Kachali ! Vous ne me connaissez pas, mais je viens de loin et je voudrais vous saluer !" " Revenez demain ! il fait nuit et je suis fatigué, et vous aussi sans doute ! " Mais le visiteur insiste et finalement le prêtre l'invite, lui propose l'unique chaise et s'assoit sur son lit de camp. D'après les coutumes, ce n'est qu'une fois installés confortablement qu'on échange les salutations.
" Qu'est-ce que je peux faire pour vous ? "
" Excusez-moi de venir vous voir la nuit, comme Nicodème ! Mais il faut que personne ne me voit entrer chez vous… J'ai entendu parler de vous et je vous ai croisé parfois ; j'ai été intrigué par ce " blanc " qui parle si bien notre langue, qui connaît bien nos coutumes et nos proverbes ; j'ai voulu mieux vous connaître. Je suis l'assistant du pasteur presbytérien de Rumphi, et dans mon église on dit beaucoup de mal de vous et des catholiques : je voudrais en avoir le cœur net. "Rumphi
Ainsi a commencé l'aventure missionnaire à Rumphi, dans les montagnes du Nord du Malawi. La mission était à peine " fondée " : quelques maisons, des cases plutôt, en pisé et toit de chaume, un pied-à-terre pour les missionnaires, une petite école primaire, humble commencement ; de nombreux villages bordent la rivière ; la vallée est assez encaissée, le vent s'y engouffre parfois violemment ; les montagnes sont proches, avec des champs grignotés sur leurs flancs ; au loin, la plateau du Nyika domine de plus de 2000 m., comme une longue falaise qui barre l'horizon ; le territoire confié aux missionnaires s'étend sur un rayon de 100 Km, depuis les bords du Lac Malawi jusqu'aux hautes plaines de Rhodésie (aujourd'hui Zambie). Depuis les début de l'époque coloniale, vers 1880 , les presbytériens écossais avaient sillonné le pays, baptisé et construit églises et écoles : ils étaient solidement établis dans les populations locales. Soixante dix ans après, une équipe de missionnaires catholiques était envoyée avec pour tâche de se faire connaître, de visiter et de rencontrer les populations locales, les chefs et leurs tribus, les watumbuka, sur un territoire équivalent à deux ou trois départements français.
Chapelle de la maison de Lilongwe.
Sculptures sur bois de l'atelier de Mua
Groupe de : "mariage et rencontre"L'aventure
" Dites-moi, Kachali, d'où viens-tu ? "
Pour comprendre la suite, il faut se souvenir qu'on était alors en 1949. bien avant le Concile de Vatican II ; l'œcuménisme était une spécialité réservé à quelques chercheurs ; les premiers missionnaires catholiques étaient considérés comme de dangereux concurrents ; les ministres écossais ou autochtones mettaient leurs ouailles en garde contre cette intrusion. " Je viens de la mission protestante, où j'accompagne les révérends ; ils n'arrêtent pas de vous dénoncer comme " romains ", ceux-là même qui ont crucifié le Christ ; j'ai voulu en avoir le cœur net. "Kachali continuait à rencontrer Daniel Poulin, la nuit ; les conversations duraient jusque tard dans la nuit : une amitié commençait à s'établir entre eux : aucune animosité de la part de ce blanc qui parlait le " chitumbuka " aussi bien que lui, maniant les proverbes et les références aussi bien à la bible qu'aux traditions locales. Petit à petit, il se sentait poussé à franchir le pas : bras droit du pasteur il avait une situations très en vue dans la communauté presbytérienne ; il se sentait poussé à se remettre à l'écoute, s'asseoir sur la natte ou le banc d'écolier, se laisser enseigner comme un enfant. Le missionnaire discernait chez lui une grande intelligence, beaucoup de jugement, des qualités de " leader " et surtout une profonde honnêteté avec lui-même et les autres : Kachali n'était pas un homme des demi-mesures, des atermoiements. il lui imposa l'épreuve du catéchuménat, pendant deux ans. A sa grande surprise, son baptême ne fût pas renouvelé car il l'avait déjà reçu; il fut confirmé et appelé à la communion.
Préparation de la culture des patatesCatéchiste missionnaire
A partir de ce moment là, il devînt catéchiste de secteur nord de la mission. Chaque matin, il prenait son petit sac de toile et partait visiter les villages, jusqu'à vingt ou trente kilomètres de chez lui ; il revenait le soir, ou après trois ou quatre jours de tournée. Il retrouvait sa femme et son unique fils ; à la saison des pluies, il cultivait du maïs dans le champ que le chef lui avait donné pour nourrir sa famille. Et puis il repartait. Souvent il était appelé pour accompagner un mourant, conduire un défunt au cimetière, mais aussi surveiller la bonne marche d'une petite école primaire, encourager les instituteurs, rencontrer les autorités locales. Souvent, il accompagnait le missionnaire dans ses tournées : il est le compagnon de la mission.
Compagnon de Gérard Grimonpont
" J'étais nouveau missionnaire ; je tâtonnais encore dans le chitumbuka, dans la culture locale, les coutumes et les croyances des gens. Je ne crois pas l'avoir formé, il l'était depuis longtemps, mais ce dont je suis sûr c'est que lui m'a formé, au cours de longues conversations sur le chemin, au cours du repas du soir ou autour du feu le soir. Il me faisait comprendre les réactions des gens, me racontait l'histoire du pays, m'indiquait ce qu'il fallait dire ou ne pas dire, et comment écouter et se faire écouter. Il savait m'encourager lorsque je pensais avoir eu un échec dans une rencontre, lorsque le chemin me semblait long, lorsque j'étais fatigué par les marches dans les montagnes et au soleil. Il devinait lorsque j'avais besoin d'une halte, d'un verre d'eau ou d'une douche. Il était avec moi lorsque nous étions mal reçu, lorsqu'il fallait se coucher sans repas et prier sans se plaindre. Comme beaucoup de watumbuka, il avait un aspect plutôt sérieux, voire sévère ; au physique, il était petit et sec, mais d'une endurance remarquable, et son sourire, plutôt rare, n'avait rien d'artificiel Ce n'était pas un mercenaire : les semailles et la croissance du Royaume lui tenaient autant à cœur, si ce n'est plus, qu'à moi même ; les watumbuka étaient tous ses frères et ses sœurs, ses enfants ou ses parents et son principal souci était de leur apporter la bonne nouvelle.
Passage d'un pont sur une piste au nord MalawiC'est lui qui m'a formé !
Nous avons marché ensemble, partageant peines et joies, de 1952 à sa mort en1957. Par la suite, lorsque j'ai été envoyé dans d'autre missions, d'autres aventures, j'ai gardé non seulement le souvenir d'un ami, mais la reconnaissance pour tout ce qu'il m'avait apporté dans mes débuts de missionnaire. Il est mort, en pleine maturité. Et moi je suis parti pour d'autres aventures missionnaires. "
C'était le temps des débuts de la mission à Rumphi ; depuis ses premières expériences avec Kachali, Gérard a parcouru le pays, travaillé sur les rives du lac Malawi et dans les montagnes. Pendant quelques années, il a travaillé à l'animation missionnaire à Lille : cela l'a conduit à rencontrer " Mariage et Rencontre " : une nouvelle rencontre, une nouvelle inspiration. Lorsqu'il est retourné au Malawi après quatre ans à Lille, il cherchait à partager son expérience avec des couples chrétiens et d'autres missionnaires ; visites et longues soirées de partage, week-end de réflexion avec des couples, des kilomètres et des journées au volant sur les routes du Malawi en compagnie de couples animateurs, tout ce travail d'accompagnement ne l'empêchait pas l'engagement traditionnel dans la mission.
Gérard a décidé de revenir en France : nouveau départ comme cinquante ans auparavant, lorsqu'il avait pris le petit avion pour l'Afrique des Grands Lacs ; nouvelle mission pour continuer l'Evangélisation, ici, dans le pays qui l'avait envoyé en Afrique, il y a longtemps.
Avec Kachali, avec de nombreux couples amis, il a appris le métier de Semeur de la Parole ; ici, dans la région parisienne, il continue à semer, comme il l'a appris.Gérard Grimonpont et
Voix d'Afrique