Voix d'Afrique N°101.

Grigris


Grigris a fait partie de la Sélection officielle du Festival de Cannes 2013. Habitué de la Croisette, Mahamat Saleh Haroun y avait déjà présenté Abouna (2002), et Un homme qui crie auréolé du Prix du Jury en 2010. Il a également fait partie du jury présidé par Robert de Niro en 2011. Pour Grigris, il s’est inspiré de l’histoire de son personnage principal, interprété par le Burkinabè Souleymane Démé. C’est en le voyant se produire sur scène malgré son handicap que le réalisateur a trouvé l’inspiration nécessaire à l’écriture de son film. Grigris est sorti en salles en France le 28 Août 2013.


Cannes 2013 et le cinéma africain

À chaque décennie son cinéaste d’Afrique noire invité à Cannes : Souleymane Cissé dans les années 1980, Abderrahmane Sissako dans les années 1990, Cheick Oumar Sissoko dans les années 2000, Mahamat Saleh Haroun depuis les années 2010… Cette année encore, la sélection à Cannes a représenté bien pauvrement le continent africain. Seul un film s’est hissé en compétition : Grigris, une œuvre trop conventionnelle mais touchante qui ne manque pas d’aborder les problèmes du Tchad sans sombrer dans le misérabilisme. Pour le réalisateur de Grigris, le cinéma africain a besoin du Festival de Cannes pour «banaliser» sa présence et lutter contre «son invisibilité à l’étranger». Il renvoie aussi les cinéastes de son continent à « leurs responsabilités ».

Le film

« La première image du film naît dans la musique d’une boîte de nuit à Ndjamena. Sur le dance floor de cette discothèque branchée, le jeune handicapé Grigris montre ses chorégraphies saccadées, pour gagner sa vie et ravir son public : « J’adore ta danse. C’est comme le tonnerre ». Malgré sa jambe gauche paralysée, Grigris se voit déjà à l’affiche en tant que danseur professionnel. Une autre personne ose, elle aussi, rêver : c’est Mimi, une jeune prostituée qui veut devenir mannequin. Leurs destins se croisent quand elle a besoin de photos pour une candidature. Elle se rend alors au magasin d’un tailleur-photographe qui s’avère être l’oncle de Grigris. Leur histoire commune commence … et leurs problèmes aussi.

Pour payer le séjour à l’hôpital de son oncle, Grigris se lie avec les trafiquants d’essence qui, au péril de leur vie, traversent la frontière entre le Cameroun et le Tchad, avant de passer par les égouts pour entrer en ville. Afin d’obtenir les 700 000 francs CFA nécessaires pour les médicaments, il détourne quelques bidons. Les malfrats forcent Grigris à jurer sur le Coran qu’il n’a pas volé la marchandise. Comme les choses ne s’arrangent pas, les deux amoureux sont obligés de fuir la ville. C’est dans le village de son enfance que Mimi peut enfin devenir « une femme comme les autres ». Fini la perruque afro pour cacher la « tache » du métissage, son père inconnu d’origine française. Et Grigris aussi arrive enfin à se mettre véritablement sur ses deux pieds. »

Que dit la critique

« Mahamat-Saleh Haroun nous offre des vues rares du Tchad : une traversée des rues et de l’univers nocturne de la capitale, le vivre ensemble en ville et dans les villages. Il rend visible les souterrains de la société tchadienne, la profondeur des visages et des paysages : des marginaux jusqu’à la solidarité des femmes au village qui savent garder un secret mortel. Il dépeint une société dans laquelle il faut trahir pour rester humain. Et derrière les grands principes se cache toujours l’hypocrisie. »
Grigris repose sur deux piliers forts : les trafiquants d’essence et Souleymane Démé, jeune dan-seur handicapé que le réalisateur rencontre en 2011. C’est autour de ces deux éléments qu’il bâtit Grigris, lui conférant une identité forte, portée essentiellement par son personnage principal, aidé de la charmante Anaïs Monory.

Le défaut du film découle peut-être de cette nature légère, en dépit des nombreux sujets graves ou tabous abordés : la prostitution, la contrebande, les règlements de compte mafieux, la violence, l’exclusion sociale, la maladie et la misère. Car on en sort avec cette impression d’avoir vu un film un peu simplet, avec deux héros attachants certes, mais dont les péripéties n’amènent aucune émotion forte, aucune réelle inquiétude pour leur devenir.

Ce qui est appréciable en revanche est son message fort en faveur de l’émancipation féminine au Tchad, son ambiance chaleureuse à grand renfort de paysages colorés et de belles atmosphères nocturnes. On remarque les scènes de danse impressionnantes menées avec brio par l’acteur-danseur qui a su faire de son handicap un atout, et qu’on espère revoir dans d’autres rôles à l’avenir.

Grigris aimerait être le fils sauveur. Alors, sans beaucoup parler, sans jamais se livrer, il fait ce qui est en son pouvoir sans se soucier des conséquences. La force du film de Mahamat Saleh Haroun, c’est ce personnage taciturne et ambitieux, cet homme naïf et inconscient qui imagine le monde plus beau et plus facile qu’il ne l’est.

Les critiques de films ont presque tous le même avis :
* Telerama.fr « Mahamat-Saleh Haroun peine cette fois à transformer un récit un peu convenu en fable mythologique. L’exercice sur le fil d’un cinéma naïf, symbolique, en appelant aux mythes éternels ne convainc qu’à moitié. »

* Rfi.fr : « Parfois trop construite, la mise en scène peine à convaincre. Reste l’essentiel : l’histoire, les images et un danseur hors norme (Souleymane Démé), prêt à se cogner la tête et à manger le feu pour donner chair à la vie. »

* Metronews.fr : « Malheureusement à l’image, le film sonne aussi faux que ses interprètes. Certes les scènes de danse sont très belles, et la manière dont bouge le jeune héros handicapé est fascinante. Mais ça ne suffit pas pour faire un bon film. »

* 20 minutes : « Malgré une façon très juste d’aborder des tabous de la société tchadienne, comme le handicap ou la prostitution, et quelques jolies scènes (...) Grigris reste un film mineur dans ce qu’il montre et ce qu’il raconte. »

* Ecran Large : « Si l’on saura gré au réalisateur de nous avoir épargné une vision misérabiliste de l’Afrique Noire (...), lui préférant une image plus souriante (...) sans pour autant oublier de pointer du doigt les trafics et la prostitution qui gangrènent ces régions, bien vite on s’ennuie ferme devant les (més)aventures de Grigris. »

« C’est toujours dommage lorsqu’un film n’est pas à la hauteur de son personnage principal. On parle ici de GRIGRIS, tout petit à côté de Grigris, jeune homme passionné par la danse, plutôt surdoué dans ce domaine, malgré une jambe meurtrie par la poliomyélite. »

Le réalisateur

Mahamat-Saleh Haroun est un cinéaste apprécié des plus grands festivals. Déjà en 1999, son premier film, Bye Bye Africa, est sélectionné à la Mostra de Venise et obtient le prix du Meilleur Premier Film. Suivent ensuite Abouna (notre père) à la Quinzaine des réalisateurs en 2002, et Daratt, Prix spécial du jury, Venise 2006. Enfin, Un homme qui crie avait remporté le Prix du jury à Cannes en 2010. Nul doute que ces belles références ont poussé les sélectionneurs à s’intéresser au film.

D’après des sources diverses
Voix d’Afrique

.............. Suite