Voix d'Afrique N°63

Le 5 octobre 2003, les évêques du Symposium des Conférences Episcopales d'Afrique et Madagascar, se sont rendus sur l'île de Gorée, au large de Dakar, pour un pèlerinage de repentance. Le Père François Richard était avec eux.

En quittant le port de Dakar et en regardant le rivage s'éloigner, on ne pouvait pas ne pas penser aux millions d'Africains dont ce paysage est la dernière vision qu'ils ont eue du continent africain. Ils avaient été capturés, enchaînés et vendus comme du bétail...

Nous nous sommes rendus sur le parvis de l'église paroissiale pour y célébrer un geste de repentance, car le but principal des évêques africains à Gorée était bien de faire acte de repentance et de purification de la mémoire. A cela, trois motifs.

Solidarité avec les Africains

"Nos pères ont pris part à l'histoire d'ignominie qu'a été celle de la traite et de l'esclavage noir. Ils ont été vendeurs dans l'ignoble traite transatlantique et transsaharienne.
Connaissant leurs frères de race, ils ne les ont pas reconnus comme de la même humanité créée à l'image de Dieu. Ils les ont traités comme des bêtes de somme... Nous reconnaissons le mal commis.
Ce mal est devenu en nous une mentalité de mépris de certaines ethnies, de certaines cultures, conscience d'une prétendue culture supérieure, une cupidité qui nous porte aujourd'hui encore à préférer notre enrichissement personnel à la vie de l'homme, notre frère. Nous lui livrons la guerre et nous le tuons pour pouvoir disposer de ses biens... Nous avons méprisé la dignité inaliénable de nos frères de race et nous en sommes devenus misérables et méprisables..."


Le péché des fils de l'Eglise

Dans la lignée de Jean Paul II venu à Gorée en 1992 demander pardon au nom de l'Eglise pour les crimes de l'esclavage, les évêques ont fait repentance pour les crimes commis par des chrétiens avec le silence des autorités en avouant " le péché des fils de cette Eglise qui, tout en se réclamant de la foi au Christ ont provoqué la chasse au Noir comme à une bête de somme. Nous reconnaissons que ce crime contre l'humanité n'aurait pas duré cinq siècles sans le trop long silence de l'Eglise. Nous reconnaissons que cette complicité tacite a eu pour conséquence une pesanteur accrue du poids de cette histoire de malheur pour la race noire…
Aujourd'hui encore, sous d'autres formes, des chrétiens blancs et noirs continuent le crime de nos pères, dans la personne des enfants sous tutelle, des enfants victimes de négriers modernes, dans les femmes victimes du proxénétisme, dans les victimes des guerres provoquées et entretenues pour l'accès facile aux diamants, au pétrole, à d'autres richesses du sous?sol africain… Nous avouons ces fautes graves et nous nous mettons à genoux pour en demander pardon… Ces péchés exigent que l'Eglise Catholique dont nous répondons en Afrique, mette dix fois plus d'ardeur à redresser la mentalité mauvaise qui a résulté de cette histoire de honte qui l'a permise… "

Conséquences pour aujourd'hui

Gorée-Le port"Nous venons reconnaître combien la haine et la volonté de revanche nées du calvaire de nos ancêtres sont restées vivaces et sont devenues pour nous, descendants des ethnies victimes, une mentalité et une culture négatives. La peur, la méfiance, de sourdes volontés de revanche et d'aversion ethniciste par racisme de réaction paralysent nos sociétés "


Les évêques voient dans ces attitudes une source de déresponsabilisation, un appauvrissement du ressort humain et ils engagent les Africains à un profond retournement consistant à "accueillir le pardon et la réconciliation obtenus par Jésus pour l'humanité afin de les laisser exercer leur efficacité de grâce à travers nos ethnies jusqu'à nos racines culturelles. Vraiment réconciliés les uns avec les autres au sein de l'Afrique, nous pourrons donner la main aux autres, dans la dignité, comme des frères et des sœurs et relever le défi qui est le nôtre à l'échelle du continent : comprendre et réaliser le développement comme un processus de responsabilisation et d'autosuffisance dans le partage. Nous serons alors en mesure de faire cesser les conflits et les guerres, et d'assurer la paix sans laquelle aucun développement n'est possible, parce que l'économie est bloquée. "

Pleurs sur le péché, volonté de conversion, acte de foi

Quai du port de Gorée"L'Eglise d'Afrique pleure amèrement ce gâchis passé et hélas encore actuel : l'holocauste noir, le calvaire de Canaan, et elle dit avec la détermination que donnent la foi, l'espérance et la charité : plus jamais çà ! L'Eglise d'Afrique veut vivre la nouveauté de vie après avoir enterré le vieil homme avec ses tendances matérialistes, cupides, de gain facile, de vente sournoise et hypocrite de l'homme noir et de son continent, pour une richesse vouée à la rouille, pour une parcelle ridicule de pouvoir…
C'est parce que nous croyons que sans la conversion des cœurs et la confiance en Toi et en l'homme acquises par ton Fils sur la croix, rien de stable ni de durable n'est possible, que nous sommes venus au pied de la croix, axe du monde, lever les yeux et regarder celui que nous avons tué et continuons de tuer dans tant d'hommes noirs, et nous laisser attirer par lui hors du péché dans le milieu divin de l'amour. "

Un message des évêques Africains

A l'issue de la célébration eucharistique, Mgr Mosengwo, archevêque de Kisangani (Congo) et président du SCEAM a lu le message dont nous donnons quelques extraits :

Départ vers l'Ile de Gorée"A tous les fils et filles de l'Eglise, famille de Dieu qui est en AfriqueY et à tous les hommes et femmes de bonne volontéY Nous, représentants des Conférences épiscopales régionales et nationales de cet ensemble territorial, sommes venus en pèlerinage ici, à la Maison des Esclaves de Gorée.
L'émotion en ce sanctuaire africain de la douleur noire est forte et intense, et pour nous chrétiens, elle est l'expression d'une présence particulière de l'Esprit Saint, premier protagoniste de l'histoire et artisan d'un monde nouveauY Nous voulons vous faire partager ce que l'Esprit de Dieu nous fait vivre, en ce jour mémorable, comme grâce en faveur de l'homme noir qui a tant souffert des blessures de l'histoire et qui en est arrivé à un sentiment général d'impuissance.
Dans l'histoire de l'évangélisation de cette pointe avancée du Continent, Gorée occupe une place importante . Elle a été comme une porte d'entrée du salut. Mais pour la mémoire collective de l'Afrique, Gorée représente, hélas aussi, une porte du voyage de non?retour pour tant de fils et filles de ce continent, déportés comme esclaves vers les Amériques et l'Europe. Cet holocauste méconnu a été confessé par le Pape Jean?Paul II en ce lieu historique le 22 février 1992, comme péché de l'homme contre l'homme, et de l'homme contre Dieu. Sur ce crime énorme (magnum scelus, écrit Pie II en 1462), il a imploré le pardon du Ciel pour qu'à l'avenir les disciples du Christ ne soient plus jamais les oppresseurs de leurs frères.

Gorée : place du GouvernementL'aveu est une grâce de départ nouveau, de conversion pour une nouvelle vie de purification de la mémoire. C'est pourquoi nous avons confessé ici, en votre nom à tous, le crime contre l'humanité et la blessure au cœur de Dieu notre Père, qu'ont été l'esclavage et la traite négrière. Nous vous invitons à confesser personnellement la part de péché qui est la nôtre dans ce drame, à vous convertir et à vous engager pour une humanité nouvelle.


Le péché contre l'homme noir n'est pas simplement dans le passé. Il est aussi actuel. Nous continuons de le perpétuer sous d'autres formes et dans plusieurs domaines : en vendant et en achetant nos frères et sœurs, en entretenant la haine et la volonté de revanche, en épousant la mentalité de défaite et d'impuissance, le complexe d'infériorité de l'homme noir. Nous condamnons et vous invitons, surtout vous les dirigeants de nos pays, à condamner les nouvelles formes de traite et d'esclavage que sont la déportation de nos filles pour la prostitution, le tourisme sexuel, le commerce des enfants, l'enrôlement de force de nos enfants et adolescents dans les guerres fratricides, néo?coloniales et de pillage des richesses des sous?sols africains. De même nous condamnons et invitons à condamner toute forme d'exclusion ethniciste, tribaliste et régionaliste qui mine dangereusement nos sociétés.

Jeunes étudiants du SénégalComme le Saint Père nous y invitait, il y a déjà onze ans, nous demandons de façon particulière à nos Eglises, à nos communautés chrétiennes, de maintenir l'effort de la pleine fidélité au commandement de l'amour fraternel légué par le Christ et de dire oui à la grâce qui nous sollicite pour un avenir nouveau. Nous avons la conviction que le Seigneur ressuscité nous appelle à vivre en hommes et femmes nouveaux, à la gloire du Dieu créateur et rédempteur et au bénéfice de l'homme noir et de tout homme.
C'est ainsi que nous apporterons la contribution irremplaçable de l'Eglise aux bâtisseurs d'un avenir meilleur pour l'Afrique et ses enfants, et pour l'avènement d'un monde plus solidaire et plus juste. Puisse la Vierge Marie, Notre Dame du Rosaire et Mère des Victoires, nous assister dans cette mission.

Le Père François Richard conclut :
" C'est un geste capital que les évêques d'Afrique ont posé à Gorée. Ils demandent aux Africains de ne plus uniquement se considérer comme victimes face aux multiples maux dont l'Afrique a souffert et souffre aujourd'hui encore. Ils invitent chacun à reconnaître ses responsabilités, car c'est la condition nécessaire pour devenir responsables du futur. La purification de la mémoire permet de se prendre en charge et de construire du neuf. "(1)

Extraits de la circulaire du Père F. Richard, Supérieur Général des Missionnaires d'Afrique.
Titre et sous-titres de le Rédaction de "Voix d'Afrique"


(1). Ce pèlerinage avait été préparé par une conférence du Père Barthélémy Adoukonou " Poids de l'histoire sur la race noire et pastorale de l'Eglise d'Afrique", à consulter sur :
www.sceam-secam.org.

(Musique du film Amistad)