Missionnaires d'Afrique
France


Georges Jeanney,
Bry-sur-Marne
104 ans

80 ans de jubilé !
Du jamais vu
dans notre Société




Georges Jeanney le 3 juillet, jour de la célébration
des jubilés à Bry.


Le 3 juillet dernier, la communauté de Bry-sur-Marne, avec bien des invités amis, célébrait 4 jubilés, dont les 80 ans de serment du Père Georges Jeanney. C’est une première pour notre Société: jamais nous n’avions eu un confrère arrivant à ce record !

Il faut dire que quelques jours auparavant, le 22 juin, Georges fêtait l’anniversaire de ses 104 ans. Le doyen des Pères Bancs étonne tous ses confrères plus jeunes par sa vivacité physique et intellectuelle. Georges a acquis une notoriété autour de la maison de retraite. Dernièrement une journaliste est venue l’interviewer, et l’article est paru dans la Vie de Bry, édité par la mairie.

C’est cet article que nous vous retransmettons ici.

 

Il est presque 10 heures, en ce lundi du mois de mai. J’arrive au 4 rue du Bois des Chênes, où je trouve une petite bâtisse sans extravagance, mais fort sympathique. C’est bien là le foyer de retraite des Pères Blancs. J’ai rendez-vous avec le père Jeanney, un prêtre missionnaire. Je le trouve assis dans sa chambre, j’ai du mal à croire que l’homme qui se tient devant moi va fêter fin juin ses 104 ans, il n’y paraît pas. II est prêt, il m’attendait, je m’installe et il commence à me raconter…

D’une éducation
naît une vocation

Georges Jeanney est né le 22 juin 1906 à Besançon. Issu d’une famille chrétienne, il reçoit, comme beaucoup d’autres enfants à cette époque, une éducation très religieuse. En écoutant sa mère, en servant la messe chaque matin et en voyant des missionnaires passer de temps en temps dans la famille, lui naît une vocation : il sera prêtre. À l’âge de 11 ans, il entre donc au séminaire de Luxeuil, où il restera sept ans. Durant ces années, l’envie lui prend de rentrer chez les Pères Blancs. Le bac en poche, il suivra donc le chemin qui le mènera d’Hennebont à Carthage, en passant par Alger, pour aboutir à une ordination de prêtre en 1931.

C’est maintenant l’heure du choix des missions. Pour le père Jeanney, c’est clair, ce sera l’Afrique noire. Les véritables institutions chrétiennes y sont encore rares, mais paradoxalement on y fait beaucoup de baptêmes, et c’est ce qu’il aime. II est bien nommé en Afrique… mais celle du Nord. Ce sera l’Algérie, plus exactement la Kabylie.

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Cérémonie des jubilés de Bry présidée par Peter Welsh, Assistant Général.

À la découverte
de la Kabylie

À la mi-juillet 1931, il est envoyé à Bounouh, petit village de Kabylie. Le voilà donc lui, prêtre chrétien catholique, en pays musulman, où il est interdit de baptiser les enfants, excepté les mourants.

Alors, à défaut de pouvoir prêcher, il s’est mis à soigner les malades. Au dispensaire le matin, il s’en allait l’après-midi, trousseau de médicaments sous le bras, faire le tour des villages voisins pour soigner, distribuer des médicaments et parler avec les gens.

II y avait tout de même une petite chrétienté à Bounouh, une centaine de fidèles peut-être. II existait donc une école de garçons et une de filles, tenues par les Sœurs Blanches et les Pères Blancs. Son meilleur souvenir reste d’ailleurs son premier Noël en Kabylie.

Dans les années 1930, il y a eu une grande famine. Beaucoup d’enfants se sont retrouvés seuls. Le père Jeanney a donc ouvert un orphelinat. Les plus petits étaient mis à l’école, alors que les plus grands étaient employés dans les vignes. Les Sœurs Blanches, elles, apprenaient aux jeunes filles la couture, le chant et comment fabriquer des paniers en osier. Cependant, à l’insu des vieux du village, elles leur faisaient également la classe. Si bien qu’à un moment, certaines d’entre elles étaient prêtes pour passer le certificat. L’heure était donc venue de passer aux aveux : le mécontentement général fut violent. Mais qu’importe, ni une, ni deux, les petites furent conduites en cachette à Tizi-Ouzou pour passer le diplôme qu’elles réussirent sans difficulté. À leur retour, elles reçurent, les félicitations de tout le village devenu fier d’elles. L’année qui suivit, tout le monde voulait passer le certificat ! Une belle victoire.

Un prêtre multifonctions
Médecin, arracheur de dents, directeur d’école ou professeur, les missions de Georges Jeanney étaient variées, mais c’est ce qui lui permettait de rencontrer des gens de tous âges et de tous horizons. II s’était habitué à la vie en Kabylie et s’investissait pleinement dans chacune des tâches qui lui étaient confiées. Puis il fut rappelé.

En 1939, d’abord envoyé à Constantine, il finit par atterrir à Rennes, à l’école des officiers d’administration du service de santé. Quelque temps plus tard, il est fait prisonnier par les troupes allemandes. Après six mois de captivité, il est relâché, car c’est un soignant. De retour en Algérie en 1941, il est remobilisé en Italie en tant qu’aumônier, en 1943.

En 1945, iI revient en Kabylie continuer ce qu’il a toujours fait : soutenir, soigner et enseigner. II prend la charge, en 1960, du petit séminaire de Notre-Dame d’Afrique déserté en ce temps-là. Alors, la décision est prise de le transformer en école pour les musulmans. Au départ, elle comptait 500 élèves du primaire, puis, avec l’ouverture du secondaire, trois ans plus tard, on en dénombrait 1080.

L’année 1976 marque la fin de cette belle aventure. Le père Jeanney rentre définitivement en France, où il sera tour à tour curé et économe.

II réside depuis 1991 à Bry, au foyer de retraite des Pères Blancs.

À cet homme, qui a dû voir tant de choses, je demande : « Qu’est ce qui vous a le plus frappé durant ce siècle ? ». Ayant cerné le personnage, je ne m’étonne pas quand il me répond malicieux : « Qu’il n’est pas un homme qui se frappe ». Son seul regret aujourd’hui est qu’il n’y ait presque plus de Pères Blancs en Kabylie…

C’est donc un homme comblé que j’ai eu le plaisir de rencontrer. II a consacré sa vie aux autres, il aimait ça, il a été heureux et il le dit lui-même : « Dans ma vie j’ai été heureux, très heureux, et partout où j’ai été et que j’en ai eu la possibilité, j’ai fait quelque chose. Les gens étaient gentils. C’était tout simplement parfait ».

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Ci-dessus, des invités aux jubilés de Bry, le 3 juillet.
Photo de droite, le Directeur, le P. Georges Salles, anime le repas
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Christelle,
rédactrice du journal
la Vie à Bry,

Les bons mots
du Père Jeanney

De la terrasse de notre maison, on peut voir les feux d’artifice du 14 juillet. L’an dernier, en 2009, il avait donc 103 ans. J‘avais invité le P. Jeanney à monter sur la terrasse vers les 11 heures du soir. Il m’a dit oui, mais il n’est pas venu… Le lendemain, il me dit : « Hier, pour les feux d’artifice, j’ai oublié ! » Alors je lui réponds que c’est dommage et que si j’avais su, je serais allé le chercher. Réponse : « ça ne fait rien. Ce sera pour l’an prochain ! »

Le 21 juillet 2009, nous avons fêté les 90 ans du P. Fouché. Pour l’occasion, nous avons pris l’apéritif. Le P. Jeanney est sourd, et il n’avait pas saisi ce que nous célébrions. Il me demande : « C’est pour qui cet apéritif ? » Je lui réponds que c’est pour fêter les 90 ans du P. Fouché. Réaction : « 90 ans ? C’est un enfant ! »

Le P. Jeanney est sourd, mais pour le reste il ne demande rien à personne, lit beaucoup, marche et ne prend jamais l’ascenseur. Mais voilà que, vers Pâques 2010, un petit caillot de sang se bloque dans sa jambe gauche et l’empêche de marcher et de se tenir debout. L’infirmière l’assied alors dans un fauteuil roulant, ce qu’il n’apprécie guère ! Il nous regarde et dit : « Je commence à vieillir… »

À l’approche de ses 104 ans, la Mairie de Bry a proposé de venir l’interviewer pour rédiger un article dans le journal local, La vie à Bry (celui reproduit sur cette page). Je lui demande s’il est d’accord pour cette proposition. Il répond : « Si ça leur fait plaisir… »

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Crédit Photos JY Chevalier M.Afr