Voix d'Afrique N° 51
Algérie - Sahara

Le centenaire du Diocèse du sahara


Mgr Michel Gagnon, évêque du sahara. En arrière fond, la ville de Ghardaïa (Décédé le 1er Juin 2004)

Le diocèse de Laghouat couvre, en Algérie, tout le désert du Sahara. C'est sans doute l'un des plus grands diocèses du monde avec une superficie de 2 millions de km2, pour une population de 3 millions d'habitants .



"Une porte ouverte", mais…

Lorsqu'en 1867, Mgr Lavigerie quitte le diocèse prospère de Nancy pour accepter l'archevêché d'Alger, ses collègues de France et son entourage sont surpris et intrigués. Il s'en explique dans une lettre à ses amis évêques : "Pour moi, l'Algérie n'est qu'une porte ouverte sur un continent… ". Dès qu'il le pourra, il va se préoccuper d'envoyer des missionnaires à l'intérieur de ce continent.

À cet effet, il tourne son regard vers le Sud algérien afin d'y pénétrer et d'y établir des "relais" vers l'Afrique subsaharienne. Une première caravane de Pères Blancs, envoyée vers le Sud, est massacrée en route. On n'abandonne pas le projet, mais il faut chercher une autre voie. On pense alors à Tripoli ou à Ghadamès. Le P. Louis Richard est chargé de préparer une nouvelle tentative pour rejoindre le Sahel.

Installé à Ghadamès en 1878, il multiplie les déplacements à travers le désert et prend contact avec les Touaregs Ajjer. Alors qu'il était prêt à partir avec deux confrères, voilà qu'on apprend le massacre de la Mission Flatters (1881). Tout est remis en question. Finalement, en octobre 1881, les PP. Richard, Pouplard et Morat se mettent quand même en route vers le Sud. Dans la nuit du 20 au 21 décembre, ils sont massacrés par leurs guides.

Il devenait évident qu'il fallait trouver une autre voie pour parvenir en Afrique continentale, et c'est vers l'Afrique Centrale que le cardinal Lavigerie choisit d'orienter ses missionnaires.



Conseil diocésain, à Ghardaïa


Allait-on abandonner
la mission du Sahara ?

La pénétration à l'intérieur de l'Afrique ayant été réalisée par d'autres chemins, certains ne voyaient pas pourquoi on continue-rait à "gaspiller" du personnel dans des régions désertiques où la population était clairsemée, avec des distances considérables entre les oasis. Mais grâce à la ténacité de quelques missionnaires, notamment de Mgr Toulotte, qui avait séjourné au Sahara avant de devenir évêque de Bamako, des démarches furent faites pour maintenir la présence au Sahara et lui donner un caractère plus officiel.

Depuis 1891, en effet, Mgr Toulotte était Vicaire apostolique d'un territoire couvrant le Sahara et ce qu'on appelait alors le Soudan (qui deviendra ensuite l'A.O.F.)
Le siège de cet immense territoire était à Bamako, mais comme Mgr Toulotte avait d'abord été en Algérie, il préféra s'installer à Ghardaïa. Son premier souci fut de faire venir les Sœurs Blanches, qui arrivent en décembre 1892. L'année précédente, trois Pères Blancs étaient revenus à Ouargla, et en 1893, c'est la fondation d'El-Goléa "dans un abominable gourbi infesté de termites et personne n'est très chaud pour laisser les "roumis" y construire une chapelle", dit le diaire de l'époque.
Après le risque de suppression, la mission du Sahara a donc repris de la vigueur. Les Sœurs Blanches sont appelées à servir dans l'hôpital ouvert par l'administration militaire. En 1895, elles inaugureront leur propre hôpital à Biskra.


Consolidation de la mission

Pendant le bref épiscopat de Mgr Hacquart (1897-1901), on assiste à une consolidation de la mission : À El-Goléa, les Pères s'installent dans une meilleure maison.
Il construisent une chapelle au centre de l'oasis et ouvrent une école. Mais les diaires de l'époque font état de l'attitude méfiante des populations.
En 1899, c'est l'entrée des Français à In Salah, à 400 km au sud d'El Goléa et 1300 km au sud d'Alger. Ce qui amène l'installation d'un service de téléphone et de télégraphie qui nécessita 4000 poteaux, qu'il fallut amener de très loin… et 3000 chameaux !


1901, le Sahara devient
une mission autonome.

L'immense Vicariat apostolique du Sahara et du Soudan est restructuré à la mort de Mgr Hacquard. La partie saharienne est détachée et devient auto-nome sous le nom de Préfecture Apostolique de Ghardaïa. Le P. Charles Guérin est nommé pour en prendre la charge en juillet 1901. Il n'a que 32 ans et 5 ans de sacerdoce.
C'est en septembre de la même année que Charles de Foucauld, qui vient d'être ordonné prêtre, vient s'installer à Béni Abbès. Il va entretenir une correspondance très suivie avec le nouveau Chef de mission. En 1905, Mgr Guérin approuve son projet de se rendre au Hoggar, sur l'invitation de son ami le colonel Laperrine.
C'est ce qui lui vaut, à cette époque, dans le contexte de l'affaire Dreyfuss et de la préparation des lois laïques qui seront votées en 1905, d'être le seul prêtre
à pouvoir aller s'installer dans ces régions éloignées et encore inconnues.

Sur le plan de l'apostolat, les premières conversions en Kabylie poussent à une action plus directe. Mgr Guérin est hésitant. Il connaît les consignes du Cardinal Lavigerie et recommande la prudence. Mais il laisse agir les missionnaires qui cherchent à attirer les gens au Christianisme.

En 1910, au retour d'un voyage à El-Goléa où il est allé aider les Pères et les Sœurs à soigner les malades d'une épidémie de typhus, Mgr Guérin est lui-même atteint par cette maladie et succombe en quelques jours. Il n'a que 38 ans et son décès sème la consternation parmi les missionnaires et ses amis.
En 1900, le P. Louis David était arrivé dans la Préfecture. Il y mourra en 1966, après avoir vécu 60 ans à Ghardaïa où son tact, sa douceur et son intérêt pour la tradition "ibadite" du Mzab contribueront largement à gagner la confiance de toute la population.



Ghardaïa: ruelle conduisant à une mosquée


Évolution après la guerre

Après la mort de Mgr Bardou (1916), il faut attendre 3 ans, à cause de la guerre, pour la nomination d'un nouveau chef de Mission : Mgr Nouet est
Préfet Apostolique de 1919 à 1941, pendant une bonne vingtaine d'années où la mission va évoluer.

En 1920, suite à l'application, en Algérie, des lois de séparation de l'Église et de l'État (1906), les limites des diocèses sont modifiées, car les "Territoires du Sud"ne sont pas touchés par ces mesures restrictives à l'égard de l'Église. La Préfecture de Ghardaïa hérite successivement des paroisses de Géryville, Djelfa et Laghouat. S'y ajouteront bientôt Aïn Sefra, Touggourt et Colomb-Béchar.

Plusieurs de ces stations seront dirigées pendant de longues années, par des confrères qui les ont marquées de leur forte personnalité et de leurs initiatives .Vers une vision plus largede la théologie du salut

Entre temps, un homme est désigné par le Conseil Général des Pères Blancs pour réorienter la mission en pays d'Islam, selon les directives de Lavigerie. Il s'agit du P. Henri Marchal, qui fera ensuite partie du Conseil Général pendant plus de 20 ans. Il fait évoluer ce qu'on appelait "la théologie du salut des infidèles" versune vision plus large de l'action de l'Esprit Saint dans les cœurs et exposera ses idées dans un ouvrage qui a fait date : "L'invisible présence de l'Église". Son rôlesera déterminant pour l'avenir. Dans les années 30, il sera à l'origine de la fondation de l'IBLA (Institut des Belles Lettres Arabes) à Tunis, Institut où seront formés les jeunes missionnaires à la connaissance de l'arabe et de l'Islam dans le respect de la tradition musulmane.


Éducation des orphelins

Au Sahara, il y a quelques chrétiens et catéchumènes, qu'il faut aider même matériellement, car ils sont le plus souvent rejetés par la société locale. À partir de 1912, l'administration française confie aux Pères et aux Sœurs d'El-Goléa l'éducation d'orphelins et de métis nés de l'union temporaire entre des militaires français et des femmes du pays. Étant automatiquement de nationalité française, on n'hésitera pas à les baptiser lorsque eux-mêmes le demanderont. Il en résultera des familles chrétiennes dont le nombre était estimé à 300 en 1960. La majorité se trouvait à El-Goléa, mais aussi dans d'autres localités d'Algérie, de Tunisie ou de France.


Lutte contre la pauvreté

Dans plusieurs endroits, on s'attaque à la situation de grande pauvreté dans laquelle vivent la majorité des Sahariens, soumis à des conditions climatiques peu favorables (sécheresse), à des fléaux naturels (sauterelles, oiseaux pillards et rongeurs) et régulièrement affectés par des disettes et famines.
On multiplie les activités artisanales (Centre d'apprentissage, cuir, laine, vannerie pour les garçons, ouvroirs de tissage et de broderie pour les filles).
Ceci évoluera plus tard vers une véritable formation professionnelle organisée pour les garçons, et des écoles ménagères pour les filles.

L'ouverture du procès de béatification du P. de Foucauld, en 1927, conduit Mgr Nouet à Tamanrasset en 1929 pour une enquête canonique. Il en profite pour transférer la dépouille de Frère Charles de Foucauld au cimetière chrétien d'El-Goléa.

C'est l'époque où l'on verra la fondation des Petits Frères de Jésus par le P. René Voillaume (à El-Abiodh Sidi Cheikh en 1933), et des Petites Sœurs de Jésus par Sœur Madeleine (à Touggourt, en 1939).
Mgr Georges Mercier (1941-1968)

D'abord Préfet apostolique, il devient évêque en 1946, et en 1955 c'est la création du diocèse de Laghouat dont il devient le premier évêque.
C'est pendant les années de son mandat que la Mission du Sahara connaît son plus grand essor. À la fin des années "50", il a comme collaborateurs, 50 Pères Blancs, 120 Sœurs Blanches, une cinquantaine de disciples de Charles de Foucauld (Frères et Sœurs) et une centaine de laïques, chrétiens et musulmans. C'est l'époque où le diocèse fonde un certain nombre d'écoles professionnelles hautement appréciées

Rendre compte de son action et des motivations spirituelles qui l'ont fondée nous entraînerait trop loin et pourrait faire l'objet d'un autre article. Il a vécu la période de la Guerre d'Algérie et le Concile du Vatican II. On connaît ses prises de positions fermes, en compagnie de Dom Helder Camara et des "petits monseigneurs", en faveur d'une Église servante et pauvre, au service des plus pauvres et des plus dé-munis.



Ouargla: sable et palmeraies


Une époque de grands
changements

En 1968, c'est Mgr Jean-Marie Raimbaud qui lui succède, résolu à poursuivre la même ligne d'apostolat de promotion humaine et celle du dialogue interreligieux, fortement recommandées par le Concile.

Cependant, les années "60" amènent de profonds changements dans le monde, que ce soit l'évolution des mentalités dans les pays occidentaux ainsi que l'accession des pays africains à l'indépendance. Le nombre des vocations sacerdotales et religieuses commence à diminuer très sensiblement et, en 1976, le Gouvernement algérien décide la nationalisation de toutes les activités éducatives et sociales de l'Église. Une page était tournée et il fallait à nouveauêtre attentif aux "signes des temps"…



Mgr Michel Gagnon en visite dans les montagnes rocheuses du Hoggar


L'Algérie à la croisée
des chemins

Après le décès de Mgr Raimbaud, en 1989, je suis nommé pour lui succéder. Ancien de la mission du Sahara (1958-1972), j'y revenais après un long détour de 19 ans au Yémen, ensuite comme évêque de Djibouti(1980) puis comme recteur de l'Institut Pontifical d'Études Arabes, à Rome. Installé dans mes nouvelles fonctions, à Pâques 1991, je prenais résidence à Laghouat, au début de septembre. C'était quelques mois avant les élections législatives de décembre 1991 qui ont été annulées et qui ont plongé l'Algérie dans une crise aux composantes politiques, religieuses, économiques et sociales, ceci après le renoncement au régime socialiste et de parti unique qui avait marqué le pays depuis près de 30 ans.

L'Algérie est vraiment à une croisée des chemins, devant choisir entre un repli sur soi qui risque de l'asphyxier et une ouverture au monde extérieur en pleine mutation et dont les enjeux font peur : Ils obligent à avancer en terrain quasi inconnu où les pays de l'hémisphère sud n'ont pratiquement pas accès aux niveaux de décision ni au contrôle des nouvelles technologies. Ils se sentent entraînés vers un mode de vie et de relations étranger à leur tradition.



Vue Plongeante sur la vieille ville de Ghardaïa.


Un "droit de cité"

Dans ce contexte, où l'image de l'Algérie apparaît très négative, la Mission éprouve des difficultés à renouveler ses permanents et se voit très limité dans ses initiatives. Toutefois, le fait d'avoir traversé ces années d'épreuve en solidarité avec le peuple algérien, et au prix du sacrifice de 19 de ses membres, l'Église d'Algérie s'est acquis un "droit de cité" qui dépasse le nombre de ses fidèles. Elle est de plus en plus acceptée pour ce qu'elle est, plutôt que pour ce qu'elle fait.

Il y a donc des enjeux de taille, mais nous les abordons avec confiance dans le Christ, notre Chef de mission, confiance également dans l'avenir de l'Algérie et avec la conviction que les croyants de bonne volonté peuvent s'accepter avec et au-delà de leurs différences, afin d'unir leurs efforts pour faire face aux défis d'aujourd'hui en mettant en commun leurs ressources humaines et spirituelles dans un monde fortement sécularisé et en quête de sens et de paix. Puisse le Temps pascal que nous vivons au moment où ces lignes sont écrites être une source de lumière et d'espérance dans l'optimisme au service de Celui qui est venu pour sauver le monde et que personne n'a pu enfermer dans un tombeau !

Mgr Michel Gagnon. P.B.
Evêque de Laghouat