Voix d'Afrique N°65

POUR QU'ILS AIENT

LA VIE

François Richard a terminé son mandat
de Supérieur Général de la Société des Missionnaires d'Afrique.
De passage à Paris, il a accepté de décrire son cheminement.

Maine et Loire. Click pour les villesLa vie est débordante à Cholet, aux confins de la Vendée malgré les événements de 1940 ; c'est la défaite, l'armistice, quand François arrive au monde, le 2ème d'une famille de 10. Dans la famille d'industriel du textile, il y a toujours un enfant qui grandit, et c'est sans doute cette expérience qui l'a marqué dès le début : il y a toujours un petit frère ou une petite sœur qui arrive, qui grandira en tenant la main du grand frère. La vie foisonne malgré les conditions difficiles d'après guerre.

St Pierre de CholetL'ambiance générale est très chrétienne. à Cholet, comment peut-on ne pas être chrétien et catholique ? François se lance dans le scoutisme : ce sont les jeux de piste, les camps sous la tente, la cuisine au feu de bois entre trois pierres, mais aussi la joie du service, le sens de l'entraide en équipe, l'amitié, la prière : "Seigneur Jésus, apprenez moi à être généreux… " Un étudiant ivoirien est accueilli pendant les vacances ; il fait partie de la famille. Pas surprenant qu'à 18 ans, François demande à entrer chez les "pères blancs". Il choisit l'aventure missionnaire, la vie en Afrique, chez les pau-vres, la Bonne Nouvelle à annoncer à des peuples qui ne l'ont pas encore entendue.

Après le baccalauréat, il commence à Kerlois, en Bretagne, la formation missionnaire. La philosophie scolastique ne le passionne guère. Il est intéressé plutôt par le pratique ; son père l'avait inspiré depuis longtemps dans la ligne sociale . Il étudie la doctrine sociale de l'Eglise, les grands mouvements qui agitent le monde des années 50, le marxisme, l'action catholique, le développement intégral. Il suit attentivement les cheminements vers l'indépendance des pays du "tiers-monde". C'est là qu'est la vie ! La spiritualité missionnaire l'inspire, avec le Père Voillaume et le Père Lebbe. Il rêve d'enfouissement total "au cœur des masses" africaines. Après son noviciat à Gap, il demande un dépaysement, la Grande Bretagne, le scolasticat de Totteridge, dans la grand Londres, l'étude de la théologie dans une langue nouvelle, un environnement œcuménique, une autre histoire coloniale.

C'est le Concile du Vatican, suivi au jour le jour avec enthousiasme. Ce qui l'intéresse plus particulièrement, c'est l'œcuménisme et déjà la rencontre avec les religions non chrétiennes, terrain de réflexion pas encore défriché... Les champs de recherche sont largement ouverts : la mise à jour de l'Eglise, "aggiornamento", c'est l'œcuménisme, la rencontre des religions non chrétiennes, les grands courants qui agitent la communauté humaine, les indépendances des anciennes colonies. à Londres, il fréquente les Anglicans et les Protestants, et également les étudiants africains et asiatiques. Il étudie, écoute, discute, réfléchit. Le Service militaire le voit infirmier : pour être plus près des hommes, il refuse toute promotion ; il est fier aujourd'hui de pouvoir dire qu'il a été démobilisé comme 2ème classe ! Décidément, il n'est pas à l'aise dans les sentiers battus !

Après son ordination en 1966, il est nommé aux études, à Strasbourg plutôt qu'à Rome. La théologie historique lui convient mieux que les spéculations en vigueur dans les facultés romaines. C'est là qu'il vit les événements de mai 1968. Là aussi la vie exulte ! Assemblées d'étudiants, manifestations et défilés, discussions tard dans la nuit, réflexion et prière pour nourrir l'espérance. Bien sûr, il y a des excès, des égarements, quelques naïvetés, mais quel foisonnement de générosité ! On refaisait le monde ! Jeune prêtre étudiant, il fait partie du groupe des formateurs des jeunes pères blancs venus des quatre coins du monde. Il présente sa thèse de doctorat en théologie sur le dialogue inter-religieux, thème qui prend alors son essor après le concile Vatican II.

Enfin, après six ans d'études et d'accompagnement des jeunes, il reçoit son billet pour l'Afrique, la Zambie, en Afrique de l'Est. L'ancienne Rhodésie du Nord vit ses premières années d'indépendance ; l'expérience socialiste y semble prometteuse. C'est le "copperbelt " "la ceinture de cuivre ". Le pays n'est pas très peuplé et la terre est fertile. François passe les premiers mois à apprendre la langue, le chichewa, avec sa grammaire assez compliquée, le vocabulaire tout nouveau, la prononciation à assimiler : pas de problème ! Il est nommé dans une mission classique : un centre avec les écoles et des centaines de jeunes, et des succursales dans un rayon d'une cinquantaine de kilomètres ; ni eau courante ni électricité, lampe à pétrole et cuvette d'eau de la rivière ! et pas de téléphone. Chaque semaine, ce sont les tournées dans les succursales, les instructions aux catéchumènes, les leçons de catéchisme aux enfants, la rencontre avec les responsables chrétiens, la collaboration avec les catéchistes, les visites aux malades dans les villages, les confessions pas centaines, les sermons : le soin de la communauté chrétienne prend tout le temps des missionnaires. Ils sont trois pour parcourir la brousse : chacune des cinquante communautés chrétiennes est visitée une fois chaque cinq ou six semaines. Puis il est nommé aumônier des mouvements de jeunes du diocèse. Mais on a besoin d'un professeur au petit séminaire ; François est mis à contribution. Il faut suivre le programme officiel, ce qui l'amène à étudier en profondeur la géographie et l'histoire du pays, ses racines, l'organisation de la société zambienne et ses traditions.

 

Un seul regret : François n'a guère le temps d'étudier les religions traditionnelles. Il est choisi assistant du supérieur régional : son terrain d'action s'élargit à d' autres diocèses du pays, car il doit visiter tous les missionnaires dans les postes distants de centaines de kilomètres. Il écoute, écoute, écoute, car les broussards ont surtout besoin d'être écoutés ; il partage, conseille, encourage et re-prend la route pour de nouvelles rencontres.

Nouveau tournant en 1985 : il est nommé à Toulouse pour diriger le foyer de Toulouseformation des étudiants en théologie, la dernière étape avant l'engagement final et l'ordination. Pour la première fois, il est le plus âgé de la communauté. Les Africains sont les plus nombreux, à côté de quelques Européens et Américains . Il étudie en profondeur la question qui lui tient à cœur : le dialogue inter-religieux, et donne des cours sur ce sujet à l'Institut Catholique de Toulouse.. Il repart en Zambie en 1990 ; il anime un Centre de Pastorale, au service de groupes chrétiens, d'agents pastoraux de tous les niveaux. Mais l'aventure ne dure pas : en 1992, il est appelé à la tête de la Province de France.


Zambie: c'est le copperbelt, la ceinture du cuivre

Quatre missionnaires sont tués à Tizi Ouzou, en Kabylie. Les massacres font rage au Rwanda. Cent ans après la mort de leur fondateur, le Cardinal Lavigerie, les épreuves arrivent. Le Provincial est au cœur de la tourmente : des missionnaires doivent revenir en France après avoir été témoins de massacres. Aux débuts de l'Eglise, le vieux dicton affirmait : "le sang des martyrs est semence de chrétiens" ; une chose est de le lire dans des livres édifiants, autre chose de le vive concrètement ! Il lui faut aider les missionnaires rentrés au pays à trouver leur place dans une Eglise de France qui a énormément changé pendant qu'ils étaient en Afrique. D'autre part les missionnaires âgés sont nombreux dans les maisons de retraite, mais ils ne se considèrent pas à la retraite ; attentifs à tout ce qui se passe "là-bas", leur prière et toute leur vie est en communion avec les souffrances de l'Afrique.

L'élection de François à la tête de la Société des Missionnaires d'Afrique n'est une surprise pour personne. Pour la énième fois, il fait ses valises, pour Rome cette fois. Pendant six ans, avec l'équipe des assistants, il sillonne toute l'Afrique, pour rencontrer, écouter, encourager les missionnaires travaillant à la base. Six ans de dialogue, de partage de nouvelles expériences. A la question : Les Pères Blancs, qui sont-ils ? Il répond : la qualité qui frappe est la générosité et la disponibilité. Les missionnaires d'Afrique, il faut plus souvent les freiner que les pousser. La souffrance, elle est surtout de ne pas pouvoir répondre aux demandes urgentes, de devoir fermer des postes faute de personnel, d'être obligé d'accepter les limites…

Lusaka

Aujourd'hui, François prend quelques mois de repos et de silence. Il se prépare à repartir en Zambie. La parole qui l'anime, depuis Cholet jusqu'à Strasbourg, Chipata et Rome, c'est celle qui continue de retentir après vingt siècles : "Je suis venu pour qu'ils aient la Vie, et en plénitude" (Jean 10 :10) et : "Si le grain de blé ne meurt pas, il reste seul, mais s'il meurt il porte beaucoup de fruit" (Jean 12 :24).

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