Voix d'Afrique N°64...........

Des étudiants plein nos ruelles


Le Père Waly Neven est un Missionnaire d'Afrique Belge, à Buyenzi (Burundi)
où il est le Supérieur Régional.
Il nous envoie cet article sur les conditions de travail des étudiants de Buyenzi.

Je vous écris de la paroisse saint Augustin, bien installé dans le nouveau presbytère. Notre maison est construite de manière solide et l'entrepreneur a veillé à creuser des rigoles tout autour de la maison pour assurer un bon écoulement des eaux quand il pleut.

Mais il y a autre chose que le constructeur n'a pas prévu. Quoi ? Qu'un jour toutes ces rigoles serviraient de… salle d'étude ! Eh oui, venez voir, et vous verrez des étudiants assis dans les rigoles en train d'étudier. Ils, elles trouvent la rigole confortable. On s'assied sur un bord et l'on appuie son dos contre le mur et on pose les pieds sur l'autre bord, les genoux légèrement pliés pour servir de tablette où l'on pose le livre ou le plus souvent les cahiers de notes prises au cours.

Pourquoi est-ce que je vous écris cela ? Tout simplement parce que ce spectacle suscite en moi beaucoup de réflexions.

D'abord un sentiment d'admiration. Les étudiants de Buyenzi se contentent de peu. Du moment qu'il y a un peu de calme, peu importe la position corporelle, pourvu qu'on puisse étudier loin du bruit des avenues de Buyenzi grouillantes de vie et de vacarme de toutes sortes. Tous ces élèves se réfugient à la paroisse pour trouver un calme tout relatif d'ailleurs, car à moins de dix mètres il y a les garçons qui jouent au ballon et crient presque tout le temps. Il faut croire que c'est encore moins gênant que d'être à la maison dans le 'lupango' où la vie et tous ses bruits se concentrent. Les rigoles du presbytère, c'est un moindre mal.

De là naît dans mon cœur un sentiment de pitié et de compassion. Vraiment les élèves de notre Afrique ne sont pas gâtés. Ils sont contraints d'étudier dans des conditions extrêmement défavorables et ils acceptent, ils se font une raison…c'est comme ça, qui peut y changer quelque chose ? Pourvu qu'on puisse étudier, avoir une place dans une école, passer les examens et réussir. Tant pis s'il faut étudier assis dans un caniveau ou une rigole. On accepte l'inconfort et on prépare son avenir… !

Je n'ai pas l'impression que les élèves de nos rigoles soient prêts à descendre dans la rue pour réclamer de meilleures conditions d'études. Sans doute devinent-ils qu'on ne leur fera que des promesses et que rien ne changera.
Ils sont réalistes : la rigole à la paroisse, c'est une solution pour eux, élèves des quartiers modestes et surpeuplés. On peut aussi y préparer son avenir. Alors, un jour on se souviendra des rigoles de la paroisse Saint Augustin avec humour.

On demandait un jour au général Wellington où il avait appris à remporter des grandes victoires (souvenez-vous de Waterloo !). Il se contenta de montrer le terrain de foot de sa vieille école.

Je rêve du jour où un médecin Burundais se rappellera les rigoles de Buyenzi en disant : "C'est là que j'ai cherché le calme pour étudier, c'est là que j'ai préparé mon avenir et que, avec les autres, on s'est encouragé mutuellement. "

Les rigoles de Buyenzi sont un symbole de courage et d'espoir. Elles sont devenues un lieu où s'expriment la rage de vivre et la volonté de progresser et d'aboutir.

Bien sûr, j'aimerais voir tous ces étudiants dans de belles salles d'étude, bien éclairées, ou encore dans de belles maisons où les garçons ont leur chambre et les filles, la leur…mais ici, à Buyenzi, on ne rêve pas, on vit, on s'adapte, on fait face et c'est pour cela que j'aime parler de ces rigoles et de leurs occupants.

Sans le savoir, sans prétention, ceux et celles des rigoles nous donnent un bel exemple de courage et de persévérance. Bien sûr, je ne souhaite pas que toute leur vie se passe dans les rigoles. C'est évident qu'avec eux je rêve d'un Burundi où chacun aurait sa place, une place convenable. Mais voilà, au lieu d'attendre que cette place soit offerte à chacun sur un plat d'argent qui descendrait du ciel, ils sont réalistes : faute de palais on s'installe dans les rigoles du presbytère de Buyenzi. Bravo pour votre courage et votre débrouillardise !

Ne lâchez pas prise ! Je ne dis pas que le paradis est au bout de la rigole, mais vous vivez de manière réaliste et courageuse. C'est dans nos rigoles que vous forgez votre caractère. Vous n'êtes pas des enfants gâtés qui reçoivent tout, tout fait, tout cuit. Vous serez une génération trempée - comme une barre de fer rougie au feu et qu'on trempe dans l'huile - par la vie dure, l'absence de confort et de facilité.

Oui, que quelque chose des rigoles de Buyenzi demeure en vous, pendant toute votre vie ! Contre mauvaise fortune, faire bon cœur, dit le proverbe. Saisir le possible immédiatement et en faire son ordinaire plutôt que de gémir et ne rien faire en attendant qu'on fasse tout pour vous.

Oui, jeunes, à vos rigoles !

Waly Neven,
Missionnaire d'Afrique